SIMON FRASER/SPL/PHANIE
La "super spécialisation" de la médecine représente-t-elle un danger pour le bien-être des patients ? C'est ce qu'affirme le Dr Ranjana Srivastava, une oncologue australienne, dans une tribune publiée par The Guardian. Pour l'auteure, il s'agit même d'un problème alarmant pour la médecine moderne. Selon elle, certes, la spécialisation permet de « protéger les patients de médecins persuadés de tout savoir » mais « aucune spécialité ne doit exempter les médecins de l'évaluation du patient dans son ensemble ».
Prestige et récompenses
Le Dr Ranjana Srivastava se demande ainsi pourquoi les médecins et chirurgiens modernes préfèrent s'occuper d'un « seul organe » ou d'un « seul type d'os ». Selon l'oncologue, la réponse se trouve dans la reconnaissance du métier. « On se demande pourquoi, plus la spécialité est précise, plus le prestige est grand alors que le patient moyen polypathologique chronique a désespérément besoin de quelqu'un pour avoir une vision d'ensemble. » L'oncologue met ainsi en lumière l'un des paradoxes des systèmes de santé modernes : « Les patients aspirent à être soignés par un généraliste compétent mais la société continue de récompenser les spécialistes de niche », déplore-t-elle.
Selon la spécialiste, faire passer « ses larges connaissances, sa curiosité et ses idées avant sa spécialité » était auparavant gage de maturité et de sagesse. Aujourd'hui, « ces médecins qui regardent au-delà d'un seul problème sont considérés comme des ringards », ajoute-t-elle.
Nez dans le guidon
Mais comment expliquer ce phénomène de super spécialisation si celui-ci ne sert pas le patient ? Selon l'auteure, l'une des explications est que le savoir médical est tel aujourd'hui qu'il est difficile à suivre. « Si un médecin peut à peine se rappeler des recommandations pour près d'une vingtaine de nouveaux traitements contre le cancer, comment peut-il connaître le tout nouveau traitement contre le diabète ? », fait remarquer le Dr Ranjana Srivastava. L'auteure estime également, qu'à trop défendre leur propre expertise, les médecins « finissent par se dévaluer les uns les autres ». « Je me souviens d'un ami généraliste qui, lorsqu'il appelait le gynécologue, se voyait répondre tout le temps "pourquoi c'est toi qui gères cette grossesse ?" », témoigne-t-elle.
L'exemple du coronavirus
La crise sanitaire liée au coronavirus illustre bien, selon le Dr Srivastava, ce glissement d'une vision du patient dans son ensemble à la super spécialisation. Selon elle, les autorités n'auraient pas pris au sérieux le Dr Li Wenliang, ophtalmologue et premier médecin lanceur d'alerte de cette épidémie en Chine aujourd'hui décédé du coronavirus à cause de sa spécialité, à première vue certes éloignée de l'infectiologie. « Finalement, qu'est-ce que connaît un ophtalmo aux virus ? Mais ce médecin a eu cette rare qualité de réaliser qu'il faisait face à un problème, même si celui-ci n'avait rien à voir avec ce pour quoi il était payé, à savoir une cataracte ou un glaucome. À 34 ans, il a ainsi atteint le statut de "ringard" de la médecine moderne, en regardant au-delà d'un seul organe », conclut la praticienne.
Avoir une vision globale du patient, de son parcours, de son environnement est aussi le quotidien des médecins généralistes. Pratiquent-ils une spécialité "ringarde" pour autant ? Ce n'est pas l'avis du Dr Srivastava.
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