Depuis la médiatisation de la mort d’Anne Bert, à l’automne 2017, les médecins belges constatent une augmentation des sollicitations de patients français.
C’est dans une pièce située à l’étage – 1, du côté de l’ascenseur A, dans les tréfonds de l’hôpital de la Citadelle, sur les hauteurs de Liège, que le docteur François Damas reçoit une demi-journée par semaine les malades atteints par une affection grave et incurable lui ayant adressé une demande d’euthanasie.
Depuis que l’écrivaine Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, a médiatisé à l’automne 2017 son choix de venir mourir en Belgique, les sollicitations venues de France ont fortement augmenté, « avec un ou deux appels par semaine contre un tous les six mois auparavant », constate ce praticien âgé de 65 ans. Ces demandes émanent en majorité de personnes atteintes de pathologies neurodégénératives ou de cancers, insatisfaites de la loi française – ou des conditions de sa mise en œuvre – qui n’autorise une sédation profonde et continue jusqu’au décès que dans les tout derniers temps de la vie.
A notre demande, le médecin parcourt les dernières requêtes reçues par e-mail. Certaines sont lapidaires. « Bonjour. Français de 42 ans ayant une ataxie. Tout me fatigue. Comment profiter de vos services ? Je peux payer plusieurs milliers d’euros si vous venez à… » S’ensuit un échange où le docteur Damas explique au patient qu’il devra nécessairement venir faire une première consultation en Belgique, que son médecin traitant en France devra donner son avis et que, même si la loi belge ne le prévoit pas, ses proches devront être prévenus.
« Je devrai vous convaincre ? », semble s’étonner l’homme. « C’est l’essentiel de votre tâche. Vous devez me faire consentir à votre demande », répond François Damas.
Situation mal vécue par les soignants
Parmi les quelque cent demandes reçues en moyenne par an, toutes n’aboutiront pas, loin de là, dans la mesure où certaines sont « farfelues », que d’autres ne rentrent pas dans le cadre de la loi et que quelques-unes – acceptées – ne seront jamais mises en œuvre. « Je viens d’apprendre que deux personnes qui étaient venues me voir avec la ferme intention de revenir sont décédées à l’hôpital en France », raconte le docteur Damas.
En 2019, il assure avoir réalisé l’euthanasie d’une douzaine de Français, soit presque un tiers des quarante à cinquante euthanasies de patients français qui auraient eu lieu à travers tout le pays. Il a par ailleurs « vingt ou trente personnes en attente », avec qui il correspond régulièrement.
En Belgique, les médecins acceptant de répondre à des demandes d’euthanasie de patients étrangers ne sont pas si nombreux. Sur Internet, quelques noms de praticiens reviennent fréquemment, souvent parce qu’ils ont accepté de parler à des journalistes.
« Dès qu’un médecin est identifié, il est harcelé, en partie par des demandes non justifiées, regrette Jacqueline Herremans, la présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Il y a dix ans, les demandes de Français étaient très rares, car il y avait le sentiment que la chose n’était pas possible. Or rien ne s’oppose légalement à l’euthanasie d’un non-résident. C’est petit à petit venu à la connaissance des Français. Mais il serait ingérable que toutes les demandes d’euthanasie d’Europe soient gérées en Belgique. Ce ne serait humainement pas tenable pour les médecins. »
Michèle Morret-Rauis, l’ancienne directrice de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Brugmann, à Bruxelles, et vice-présidente de l’ADMD, se souvient qu’après la diffusion d’un reportage sur France 4, il y a quelques années, « le téléphone avait sonné non stop pendant plus de quinze jours dans le service, avec des gens qui disaient : “Allô, je suis bien à l’unité d’euthanasie ?” » Une fois que les Français ont une filière, ça va vite, le bouche-à-oreille fonctionne à plein ».
Pour éviter cette situation, mal vécue par les soignants, un nouveau chef de service a décidé début 2016 de suspendre la venue de patients étrangers pour ce motif. Une suspension toujours en vigueur aujourd’hui.
Trois à quatre sollicitations par jour
A l’hôpital de Charleroi, le docteur Jean-Claude Legrand, 69 ans, reconnaît avoir « hésité à accepter des patients français » dans sa consultation fin de vie. « N’est-ce pas déresponsabiliser la France que de prendre en charge ce problème ?, demande-t-il. D’autre part, notre service ne souhaitait pas devenir l’“euthanasieur” des Français. » Il dit cependant avoir réalisé cinq ou six euthanasies de patients français ces deux dernières années et avoir cinq ou six demandes « en cours », dont deux originaires du sud de la France, « grâce à Ryanair qui arrive pas loin de l’hôpital ».
Certaines demandes transitent par des voies plus détournées. A 200 kilomètres de Bruxelles, à Longwy (Meurthe-et-Moselle), près de la frontière avec la Belgique, Claudette Pierret, 72 ans, une secrétaire de direction à la retraite, reçoit chaque jour trois ou quatre nouvelles sollicitations de patients français. Bénévolement, cette militante de l’ADMD oriente certains de ces « appels au secours » vers la Belgique, principalement vers Yves de Locht, un généraliste bruxellois qui a publié en septembre 2018 Docteur, rendez-moi ma liberté (Michel Lafon).
Au total, Mme Pierret estime avoir permis ces dernières années l’euthanasie d’une trentaine de Français : « J’en ai trois en attente et Yves n’en fait qu’une par mois. Il y en a qui ont demandé pour mars et avril… Après, il faut qu’ils attendent. »
Obtenir une euthanasie en Belgique relève souvent du « parcours du combattant », prévient-on à l’ADMD. L’association envoie systématiquement à toute demande de renseignement (348 ont été faites par des « non-résidents » en 2019) une lettre type recensant les difficultés prévisibles. « A l’heure actuelle, les médecins belges sont extrêmement réticents lorsqu’il s’agit de prendre en charge des patients non-résidents, et ce en raison des difficultés pratiques évidentes que cela implique », peut-on notamment y lire.
« Inégalité flagrante »
Pour être pris en charge, un patient français doit obligatoirement faire état de souffrances physiques ou psychiques inapaisables causées par une affection grave et incurable. Il doit également nouer une « relation thérapeutique » avec un médecin belge, c’est-à-dire se déplacer pour une première consultation et se soumettre ensuite à un deuxième avis médical.
Or ce déplacement en Belgique est généralement éprouvant pour des personnes gravement malades. « J’ai des patients qui arrivent parfois en ambulance, après avoir fait près de mille kilomètres de trajet », raconte Yves de Locht. « Ce que la France oblige à faire faire à ces malades est honteux », abonde Claudette Pierret, à Longwy (Meurthe-et-Moselle).
A la fatigue du trajet, s’ajoute la question du prix. A Bruxelles, Yves de Locht demande 50 euros pour la première consultation, 150 euros pour l’injection létale, et conseille à ses patients de compter une provision de 2 500 euros pour la nuit à l’hôpital, une somme possiblement prise en charge ensuite par l’Assurance-maladie ou une assurance en France.
« En prenant tout en compte, cela doit coûter entre 5 000 et 6 000 euros à un Français de venir mourir en Belgique, juge le docteur de Locht. Un Belge qui décide de mourir chez lui, ça ne lui coûte rien, à part le produit et quelques consultations. Il y a là une inégalité flagrante. »
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