REPORTAGEQuinze ans après la loi handicap, les personnes à mobilité réduite peinent encore à se déplacer : environ 60 % du réseau de transport francilien leur est inaccessible.
Le plus simple serait qu’Alexandre Martel reste chez lui. Mais le jeune homme de 24 ans n’est pas du genre à renoncer. A 9 heures, comme chaque matin, il est en bas de sa résidence, dans le 14e arrondissement. Atteint d’une paralysie cérébrale depuis sa naissance, il se rend tous les jours près du stade Charléty, dans le 13e arrondissement, à la délégation de l’APF France handicap, où il se bat pour que les revendications des personnes handicapées soient entendues.
Pour rejoindre le siège de l’association, impossible de prendre le métro : seule la ligne 14 – neuf stations sur 303, soit 3 % du réseau parisien – est accessible aux personnes en fauteuil roulant. Alors, Alexandre Martel fonce avec son fauteuil électrique jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche. Le réseau de bus parisien est, lui, entièrement adapté aux utilisateurs de fauteuil roulant : les 4 500 bus en circulation sont équipés de rampes d’accès, que les chauffeurs peuvent déployer.
En arrivant à Denfert-Rochereau, Alexandre peste contre les poubelles mal stationnées qui gênent sa descente de la rampe.
En arrivant à Denfert-Rochereau, Alexandre peste contre les poubelles mal stationnées qui gênent sa descente de la rampe. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
A l’arrêt Denfert-Rochereau, si la rampe fonctionne correctement et que le trottoir a bien été rehaussé, la descente d’Alexandre Martel est gênée par des poubelles mal stationnées. Il rouspète, avant de retrouver le sourire en voyant que l’ascenseur qui lui permet d’aller prendre le RER B fonctionne. Il suffit que celui-ci soit en panne pour qu’un banal trajet quotidien se transforme en mission impossible.
Les déplacements sont l’un des angles morts des récentes annonces du président. Le 11 février, à l’issue de la cinquième conférence nationale du handicap, Emmanuel Macron a notamment promis la création de 6 000 nouvelles places d’hébergement, des efforts en matière de scolarisation ou encore la mise en place d’un numéro de téléphone unique pour faciliter les démarches administratives. Mais rien concernant le domaine des transports.
Quinze ans après la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui donnait dix ans aux administrations, commerces, écoles, habitations, transports et voirie pour être accessibles aux personnes en fauteuil roulant, mais aussi aux personnes ayant une déficience physique, auditive, visuelle, cognitive ou mentale, des millions de Français à mobilité réduite peinent toujours à se déplacer. En Ile-de-France, 38 % du réseau de transport – métro, train, RER et tramway – est accessible.
Pierre Emmanuel Robert, lui, a trouvé une façon de se déplacer en toute autonomie : le vélocimane, un vélocipède entraîné par la force des bras, adapté à son handicap.
Carences des transports en commun
En fauteuil depuis l’âge de 20 ans en raison d’une sclérose en plaques, Liliane Morellec est condamnée à faire ses courses en bas de chez elle, à Noisy-le-Roi (Yvelines). Sa maladie l’empêche de conduire et de travailler. A une trentaine de kilomètres de la capitale, elle n’a pour se déplacer qu’une seule option : les petits bus du PAM 78-92 (Yvelines et Hauts-de-Seine), le service Pour un accès à la mobilité. Créé en 2003 pour combler les carences des transports en commun et cofinancé par les départements, la région et Ile-de-France Mobilités, le service public de transport collectif bénéficie régulièrement à 5 000 usagers dans la capitale.
Dès qu’elle doit sortir du périmètre que lui autorise son fauteuil roulant, Liliane Morellec compose le numéro du PAM 78-92. Mais selon elle, le service est loin d’être satisfaisant. « On peut se voir refuser une course parce qu’il s’agit d’un loisir », dénonce-t-elle, en parlant d’« assignation à résidence ». Il y a aussi l’obligation de réserver à l’avance, des retards importants, des prix prohibitifs (8,20 euros le trajet de moins de 15 kilomètres alors qu’un ticket de métro classique coûte 1,90 euro)…
Ces failles « catastrophiques et aberrantes » lui font craindre « un isolement total » si le service devenait encore moins performant. Pour exprimer son ras-le-bol, elle a participé l’an dernier à la création du collectif Roulettes en colère, qui vise à en dénoncer les dysfonctionnements. « On en a marre d’être des oubliés, des citoyens de seconde zone. Les politiques ne pensent à nous que lorsque notre voix est bonne à prendre. » Conscientes des critiques, les PAM répondent que la nécessité d’assurer des véhicules adaptés, conduits par un accompagnateur formé, rend le coût de ces courses élevé.
Alexandre prend la route pour une réunion dans les locaux de l’APF, situés à 3 kilomètres à pied de son foyer. Il va mettre une heure et dix minutes pour rejoindre les locaux de l'association en prenant un bus, puis un RER et un tram. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
Une lettre aux candidats aux municipales
Mannig Georgelin, une collégienne parisienne atteinte d’une amyotrophie spinale, regrette elle aussi de n’avoir le choix qu’entre les bus, souvent très lents, ou la PAM. A 14 ans, elle a écrit une lettre qu’elle a envoyée aux candidats aux élections municipales de son arrondissement pour les alerter sur ses difficultés quotidiennes.
« La spontanéité de mes déplacements est quasi impossible, car il est nécessaire de prévenir les transporteurs au minimum trois jours à l’avance sur l’horaire de l’aller et du retour pour être sûr d’avoir un véhicule au moment voulu, écrit-elle. De plus, depuis quelques mois, les chauffeurs sont obligés de grouper les courses. Concrètement, cela signifie qu’il faut faire des détours sur le trajet habituel pour aller chercher un autre passager, et nous ne sommes évidemment jamais prévenus à l’avance de cette situation, ce qui a pour conséquence de retarder notre arrivée. »
L'appartement de Mannig est au rez-de-chaussée. Une marche existait à son arrivée à l’entrée de l'immeuble, mais la coproprieté a accepté de construire une petite pente pour permettre à Mannig d'accéder à son domicile. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
Faute de solution adaptée, l’adolescente compte avant tout sur l’aide de ses proches pour ne pas être exclue de tout ce qui fait son quotidien. Il y a cette professeure et ces élèves qui se sont organisés pour l’accompagner à tour de rôle à un atelier « sciences et cuisine », auquel elle souhaitait participer. Ou cette autre professeure qui avait pensé à lui réserver un vélo adapté (un rickshaw) pour qu’elle puisse participer à une promenade à vélo à Berlin, lors d’un voyage scolaire.
Mannig Georgelin espère aussi que l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 poussera les autorités à lancer des travaux d’adaptabilité du métro parisien. « Athènes était arrivé à rendre ses quatre lignes de métro accessibles en 2004, ça serait fou qu’on n’arrive pas à faire la même chose ici », dit-elle. En juillet 2019, la présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse, a demandé à la RATP « de lancer les études pour rendre tout ou partie de la ligne 6 accessible ». L’objectif, pour 2024, étant de rendre 60 % du réseau francilien adapté aux personnes handicapées.
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