Neuf cents accidents médicaux par jour dans les hôpitaux français
26.11.10
Neuf cents accidents médicaux, en moyenne, surviennent chaque jour dans les hôpitaux et cliniques français, révèle la deuxième enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins (Eneis), publiée par le ministère du travail et de la santé. Sur ce total, quatre cents seraient "évitables" estime le rapport. Ce résultat élevé est proche de celui de 2004.
Chaque année, ce sont donc entre 275 000 et 395 000 "événements indésirables graves" (EIG) qui surviendraient dans les établissements hospitaliers français, estime l'étude. "Globalement, ça n'est pas brillant", convient Philippe Michel, directeur du Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA), coauteur de l'étude réalisée avec la Drees (évaluation et statistique). "Mais cela ne doit pas masquer les progrès qui ont été faits, par exemple en anesthésie-réanimation ou contre les infections nosocomiales, c'est-à-dire contractées à l'hôpital", tempère-t-il.
Les EIG évitables (de 160 000 à 290 000 par an) sont ceux "qui n'auraient pas eu lieu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de leur survenue". "Vingt pour cent des EIG évitables survenus à l'hôpital ou en clinique sont associés à des médicaments (...). Ils sont en cause dans quasiment la moitié des cas d'EIG ayant entraîné une hospitalisation", ajoute Philippe Michel.
DES ACCIDENTS EN LIEN AVEC DES CONDITIONS DE TRAVAIL DÉGRADÉES
Il évoque le problème des traitements anticoagulants, où l'on n'enregistre guère de progrès, avec des traitements compliqués qui peuvent être difficiles à gérer par des patients âgés. Autre tendance, "une augmentation des hospitalisations pour infection du site opératoire, qui peut être liée à l'identification au domicile d'une infection contractée dans un établissement de santé. Mais cela peut être aussi la conséquence d'une mauvaise prise en charge des plaies opératoires en ambulatoire [hors de l'hôpital]", dit-il. Comme en 2004, l'étude pointe des "défaillances humaines des professionnels", moins souvent en lien avec des défauts de connaissances qu'avec des conditions de travail dégradées, "une supervision insuffisante des collaborateurs" ou encore une "mauvaise organisation" ou un "déficit de communication entre professionnels", note le Dr Michel.
Cependant, tous les événements indésirables liés aux soins ne sont pas considérés comme évitables. Ils peuvent aussi résulter de risques auxquels est exposé le patient dans le cadre de soins optimaux, souligne l'étude. Ils touchent plus fréquemment des patients fragiles, âgés, souvent déjà dans un mauvais état de santé.
Le plus souvent, l'événement indésirable entraîne un prolongement d'hospitalisation, mais le pronostic vital ou une incapacité à la sortie de l'hôpital peuvent être en jeu, voire, plus rarement, la mort.
"L'accident médical est lié à un système d'organisation des soins inefficient"
Neuf cents accidents médicaux, en moyenne, surviennent chaque jour dans les hôpitaux et cliniques français, dont quatre cents seraient évitables, selon une nouvelle étude du ministère de la santé. Ces "événements indésirables graves" (EIG) ont des causes multiples, sur lesquelles revient Nicolas Gombault, directeur de la mutuelle d'assurance du corps de santé français Sou médical et membre de l'association La Prévention médicale.
Le chiffre de 900 accidents médicaux par jour vous paraît-il élevé ?
Nicolas Gombault : Cette étude conforte les données dont nous disposons. Il faut noter que le nombre de sinistres déclarés est beaucoup plus faible : de 12 à 15 000 accidents chez les médecins praticiens et en hôpitaux et cliniques donnent lieu à des réclamations par an. Cette étude-ci est fondée sur les cas avérés d'EIG signalés par les professionnels de santé. Le nombre d'EIG reste en fait faible par rapport au volume des actes médicaux, estimé à environ 500 millions d'actes médicaux remboursés par les caisses d'assurance maladie par an. Mais il reste toujours trop important, notamment si l'on considère que 40 à 50 % d'EIG sont évitables. Pour le reste, il faut savoir que toute prescription médicamenteuse ou tout acte médical peut comporter des risques. Et, si l'on est alcoolique, diabétique ou hypertendu, on a plus de risques de contracter des maladies nosocomiales.
A qui la faute ?
Les EIG sont très variés et peuvent aller de la chute d'un patient dans un couloir à une faute évidente du personnel médical comme laisser sortir le patient opéré sans anticoagulants, ou se tromper de patient ou de côté à opérer. Les causes sont multiples et plurisectorielles : défaut ou erreur de médicamentation, erreurs et défaillances humaines, infections nosocomiales ou mauvaise coordination entre professionnels de santé et entre établissements de santé.
Ces derniers problèmes dits "systémiques" sont les plus fréquents. Chaque professionnel de santé est très bon dans son domaine mais il y a un problème dans la prise en charge globale du patient. C'est toute l'organisation du système de soins qui peut être remise en cause. La multiplicité des tâches du personnel de santé et le manque de personnel jouent notamment sur cette organisation, mais il est difficile de dire qu'il y a une dégradation sur ce point ces dernières années. Ce sont davantage les pratiques qui sont en cause et le manque de prise en considération des risques.
Prenons le cas d'une opération de prothèse globale de la hanche gauche où le patient se retrouve finalement opéré de la hanche droite. La première réaction est de dire que la faute incombe au chirurgien et in fine, s'il y a plainte, le juge établira la responsabilité du chirurgien. Mais, quand on creuse, on remarque souvent que l'accident est lié à un système d'organisation des soins qui n'est pas efficient, où aucune procédure n'a été mise en place pour empêcher l'accident, comme par exemple la check-list utilisée aux Etats-Unis. Cette dernière, qui consiste à vérifier tous les paramètres avant l'opération, n'est obligatoire que depuis peu. En obligeant le chirurgien à apposer ses initiales sur la hanche à opérer, on limite les risques d'erreur.
Quelles mesures doivent être prises pour réduire le nombre des EIG ?
Outre l'introduction de procédures de vérification comme la check-list, le passage, il y a quelques jours, du décret d'application obligeant chaque établissement de santé à déclarer tout EIG va dans le bon sens : cette déclaration permettra de mieux connaître les causes des EIG pour éviter les erreurs. Elle va changer en profondeur les pratiques et instaurer une culture de la sécurité et de la qualité qui n'est actuellement pas une priorité. En matière de prévention des risques, il est nécessaire de passer d'une culture défensive à une "culture de l'erreur". Il faut repenser l'organisation des établissements de santé en ce sens.
Sur quoi portent les réclamations en matière d'accidents médicaux ?
Elles varient d'une spécialité à l'autre. Il y a plus de généralistes que de spécialistes mais l'on estime que seul un généraliste sur cent est visé chaque année par une réclamation, contre un chirurgien sur deux. Pour les généralistes, ce sont en majorité des erreurs de diagnostic. La plupart du temps, le médecin est passé à côté de la maladie. Pourquoi ? L'exemple typique est la méningite, où le patient a été vu dans le cadre d'une routine d'épidémie de grippe, entre 36 patients atteints de grippe. Le médecin n'a pas cherché un autre diagnostic. Il faut mettre en place une méthodologie.
La communication avec le praticien est un facteur déterminant. Certains médecins, quand l'événement est survenu, ne savent pas communiquer et ne savent pas reconnaître qu'il y a eu un incident. C'est une cause significative des réclamations. On reproche également beaucoup au médecin des manquements au devoir d'information.
Le nombre de réclamations est-il en augmentation ?
Globalement, les réclamations sont en nette augmentation. La jurisprudence évolue vers davantage de mise en cause de la responsabilité des médecins et une plus grande sévérité des magistrats : 68 % des dossiers jugés sur le fond se terminent par une condamnation et le coût moyen des indemnités augmente. C'est une très grande source d'inquiétude pour ceux qui sont les plus exposés au risque : les chirurgiens et obstétriciens. Ces derniers peuvent être condamnés à titre personnel à des indemnités importantes, ce à quoi il faut trouver une solution. Car, à échéance, on va vers la suppression des obstétriciens en clinique.
Propos recueillis par Hélène Sallon
26.11.10
Neuf cents accidents médicaux, en moyenne, surviennent chaque jour dans les hôpitaux et cliniques français, révèle la deuxième enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins (Eneis), publiée par le ministère du travail et de la santé. Sur ce total, quatre cents seraient "évitables" estime le rapport. Ce résultat élevé est proche de celui de 2004.
Chaque année, ce sont donc entre 275 000 et 395 000 "événements indésirables graves" (EIG) qui surviendraient dans les établissements hospitaliers français, estime l'étude. "Globalement, ça n'est pas brillant", convient Philippe Michel, directeur du Comité de coordination de l'évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA), coauteur de l'étude réalisée avec la Drees (évaluation et statistique). "Mais cela ne doit pas masquer les progrès qui ont été faits, par exemple en anesthésie-réanimation ou contre les infections nosocomiales, c'est-à-dire contractées à l'hôpital", tempère-t-il.
Les EIG évitables (de 160 000 à 290 000 par an) sont ceux "qui n'auraient pas eu lieu si les soins avaient été conformes à la prise en charge considérée comme satisfaisante au moment de leur survenue". "Vingt pour cent des EIG évitables survenus à l'hôpital ou en clinique sont associés à des médicaments (...). Ils sont en cause dans quasiment la moitié des cas d'EIG ayant entraîné une hospitalisation", ajoute Philippe Michel.
DES ACCIDENTS EN LIEN AVEC DES CONDITIONS DE TRAVAIL DÉGRADÉES
Il évoque le problème des traitements anticoagulants, où l'on n'enregistre guère de progrès, avec des traitements compliqués qui peuvent être difficiles à gérer par des patients âgés. Autre tendance, "une augmentation des hospitalisations pour infection du site opératoire, qui peut être liée à l'identification au domicile d'une infection contractée dans un établissement de santé. Mais cela peut être aussi la conséquence d'une mauvaise prise en charge des plaies opératoires en ambulatoire [hors de l'hôpital]", dit-il. Comme en 2004, l'étude pointe des "défaillances humaines des professionnels", moins souvent en lien avec des défauts de connaissances qu'avec des conditions de travail dégradées, "une supervision insuffisante des collaborateurs" ou encore une "mauvaise organisation" ou un "déficit de communication entre professionnels", note le Dr Michel.
Cependant, tous les événements indésirables liés aux soins ne sont pas considérés comme évitables. Ils peuvent aussi résulter de risques auxquels est exposé le patient dans le cadre de soins optimaux, souligne l'étude. Ils touchent plus fréquemment des patients fragiles, âgés, souvent déjà dans un mauvais état de santé.
Le plus souvent, l'événement indésirable entraîne un prolongement d'hospitalisation, mais le pronostic vital ou une incapacité à la sortie de l'hôpital peuvent être en jeu, voire, plus rarement, la mort.
"L'accident médical est lié à un système d'organisation des soins inefficient"
Neuf cents accidents médicaux, en moyenne, surviennent chaque jour dans les hôpitaux et cliniques français, dont quatre cents seraient évitables, selon une nouvelle étude du ministère de la santé. Ces "événements indésirables graves" (EIG) ont des causes multiples, sur lesquelles revient Nicolas Gombault, directeur de la mutuelle d'assurance du corps de santé français Sou médical et membre de l'association La Prévention médicale.
Le chiffre de 900 accidents médicaux par jour vous paraît-il élevé ?
Nicolas Gombault : Cette étude conforte les données dont nous disposons. Il faut noter que le nombre de sinistres déclarés est beaucoup plus faible : de 12 à 15 000 accidents chez les médecins praticiens et en hôpitaux et cliniques donnent lieu à des réclamations par an. Cette étude-ci est fondée sur les cas avérés d'EIG signalés par les professionnels de santé. Le nombre d'EIG reste en fait faible par rapport au volume des actes médicaux, estimé à environ 500 millions d'actes médicaux remboursés par les caisses d'assurance maladie par an. Mais il reste toujours trop important, notamment si l'on considère que 40 à 50 % d'EIG sont évitables. Pour le reste, il faut savoir que toute prescription médicamenteuse ou tout acte médical peut comporter des risques. Et, si l'on est alcoolique, diabétique ou hypertendu, on a plus de risques de contracter des maladies nosocomiales.
A qui la faute ?
Les EIG sont très variés et peuvent aller de la chute d'un patient dans un couloir à une faute évidente du personnel médical comme laisser sortir le patient opéré sans anticoagulants, ou se tromper de patient ou de côté à opérer. Les causes sont multiples et plurisectorielles : défaut ou erreur de médicamentation, erreurs et défaillances humaines, infections nosocomiales ou mauvaise coordination entre professionnels de santé et entre établissements de santé.
Ces derniers problèmes dits "systémiques" sont les plus fréquents. Chaque professionnel de santé est très bon dans son domaine mais il y a un problème dans la prise en charge globale du patient. C'est toute l'organisation du système de soins qui peut être remise en cause. La multiplicité des tâches du personnel de santé et le manque de personnel jouent notamment sur cette organisation, mais il est difficile de dire qu'il y a une dégradation sur ce point ces dernières années. Ce sont davantage les pratiques qui sont en cause et le manque de prise en considération des risques.
Prenons le cas d'une opération de prothèse globale de la hanche gauche où le patient se retrouve finalement opéré de la hanche droite. La première réaction est de dire que la faute incombe au chirurgien et in fine, s'il y a plainte, le juge établira la responsabilité du chirurgien. Mais, quand on creuse, on remarque souvent que l'accident est lié à un système d'organisation des soins qui n'est pas efficient, où aucune procédure n'a été mise en place pour empêcher l'accident, comme par exemple la check-list utilisée aux Etats-Unis. Cette dernière, qui consiste à vérifier tous les paramètres avant l'opération, n'est obligatoire que depuis peu. En obligeant le chirurgien à apposer ses initiales sur la hanche à opérer, on limite les risques d'erreur.
Quelles mesures doivent être prises pour réduire le nombre des EIG ?
Outre l'introduction de procédures de vérification comme la check-list, le passage, il y a quelques jours, du décret d'application obligeant chaque établissement de santé à déclarer tout EIG va dans le bon sens : cette déclaration permettra de mieux connaître les causes des EIG pour éviter les erreurs. Elle va changer en profondeur les pratiques et instaurer une culture de la sécurité et de la qualité qui n'est actuellement pas une priorité. En matière de prévention des risques, il est nécessaire de passer d'une culture défensive à une "culture de l'erreur". Il faut repenser l'organisation des établissements de santé en ce sens.
Sur quoi portent les réclamations en matière d'accidents médicaux ?
Elles varient d'une spécialité à l'autre. Il y a plus de généralistes que de spécialistes mais l'on estime que seul un généraliste sur cent est visé chaque année par une réclamation, contre un chirurgien sur deux. Pour les généralistes, ce sont en majorité des erreurs de diagnostic. La plupart du temps, le médecin est passé à côté de la maladie. Pourquoi ? L'exemple typique est la méningite, où le patient a été vu dans le cadre d'une routine d'épidémie de grippe, entre 36 patients atteints de grippe. Le médecin n'a pas cherché un autre diagnostic. Il faut mettre en place une méthodologie.
La communication avec le praticien est un facteur déterminant. Certains médecins, quand l'événement est survenu, ne savent pas communiquer et ne savent pas reconnaître qu'il y a eu un incident. C'est une cause significative des réclamations. On reproche également beaucoup au médecin des manquements au devoir d'information.
Le nombre de réclamations est-il en augmentation ?
Globalement, les réclamations sont en nette augmentation. La jurisprudence évolue vers davantage de mise en cause de la responsabilité des médecins et une plus grande sévérité des magistrats : 68 % des dossiers jugés sur le fond se terminent par une condamnation et le coût moyen des indemnités augmente. C'est une très grande source d'inquiétude pour ceux qui sont les plus exposés au risque : les chirurgiens et obstétriciens. Ces derniers peuvent être condamnés à titre personnel à des indemnités importantes, ce à quoi il faut trouver une solution. Car, à échéance, on va vers la suppression des obstétriciens en clinique.
Propos recueillis par Hélène Sallon