Projet de loi sur la récidive des délinquants sexuels
André Gisselmann du CHU Dijon : « Je suis psychiatre pas « flichiatre »! »
par Julie Philippe | dijOnscOpe | jeu 19 nov 09 |
http://www.dijonscope.com/001923-andre-gisselmann-je-suis-psychiatre-pas-fliciatre
Les députés examinaient mardi 16 novembre un projet de loi pour tenter de réduire le risque de récidive criminelle. Dans le cadre de cette loi*, un amendement propose de renforcer les règles relatives à l’injonction de soin des délinquants sexuels, "contraints de subir une castration chimique". Ainsi le signalement par le médecin traitant du refus ou de l’interruption du traitement anti-hormonal serait rendu obligatoire. dijOnscOpe a donc rencontré un spécialiste sur la castration chimique, le professeur André Gisselmann, Chef du service Psychiatrie Générale et Addictologie de l’hôpital général de Dijon. Il nous explique les tenants et aboutissants de cet amendement et s’exprime sans détours sur le sujet de la « dénonciation »...
Pouvez-vous expliquer de manière concrète ce qu’est la castration chimique ?
"La castration chimique est connue depuis très longtemps. Il s’agit d’utiliser des anti-hormones mâles ; le produit chimique bloque la production de testostérones (hormones qui gèrent les caractères masculins, l’agressivité etc.). Le plus souvent, on prescrit Androcur, une hormone sexuelle féminine. Il s'agit d'un produit chimique utilisé pour bloquer les désirs sexuels de personnes qui ont des tendances dites anormales, non autorisées par la société. C’est la société qui fixe les limites de cette normalité. Le traitement concerne surtout les gens qui auraient des pulsions pédophiles hétéro ou homosexuelles, et les violeurs. Ce sont les deux grandes indications.
Ce traitement a-t-il des effets secondaires ? Est-il dangereux ?
Il faut trouver le bon dosage chez certains patients : quelques-uns veulent continuer à avoir une vie sexuelle. Le traitement peut développer quelques caractères féminins (un gonflement des mamelons) et dans certains cas rares, des hépatites. Certains voient l’Androcur comme s’il s’agissait de la peste. Pourtant, cette hormone est déjà utilisée depuis longtemps. Certaines femmes qui ont trop d’hormones mâles (pilosité importante par exemple) en prennent en association avec une hormone féminine. C’est un produit qu’on utilise déjà mais avec précaution.
A elle seule, la castration chimique est-elle suffisante ?
Seul, le traitement n’est pas suffisant ; il faut aussi une prise en charge. Nous devons comprendre pourquoi ces gens ont ce comportement. Il faut donc établir une relation de confiance afin que le patient évoque ses problèmes sexuels par exemple. La notion de volontariat me semble également capitale. De plus, Androcur doit être dosé et diminué avec le temps ; un suivi médical est donc nécessaire pour surveiller la dose.
Certains psychiatres ne sont pas d’accord sur ces traitements anti-androgènes. Moi, je suis pour la castration chimique à condition qu’il y ait un accompagnement. Quelques patients me demandent des produits pour les aider mais ça ne suffit pas. Il faut une relation avec le médecin même pour ceux qui sont volontaires. Ce traitement ne va pas tout résoudre : il faut quelque chose à côté !
Ce traitement hormonal peut il être administré sous la contrainte ?
L’hospitalisation sous la contrainte existe déjà. Il s’agit d’une hospitalisation par un tiers lorsque la personne peut être dangereuse. C’est ensuite à nous de l’inciter à suivre un traitement. Il est certain que la société a besoin d’une relative protection. Si une personne est forcée de suivre un traitement, cela relève du judicaire : ça ne me choque pas. C’est si l’on mélange les genres qu’on est foutus ! J’ai très peu de patients qui veulent une castration chimique. Ce sont surtout les prisonniers qui me la demandent. Mais en prison, les détenus ne sont pas obligés de suivre un traitement. Leur liberté est déjà amputée et un traitement amputerait plus encore cette liberté ! Les prisonniers jugés irresponsables sont suivis durant leur peine mais à leur sortie de prison, ils sont libres de ne plus l’être. On devrait désigner un psychiatre pour les suivre mais c’est à eux de faire la démarche d’aller voir la police pour s’assurer du suivi médical.
Justement, que pensez-vous du fait d’avertir le juge en cas d'interruption par le délinquant sexuel de son traitement hormonal ?
Ça me choque que les médecins puissent être délateurs. Moi, je suis psychiatre pas « fliciatre » ! Le jour où le patient ne vient plus, je ne crois pas que ce soit mon rôle d’appeler la police. C’est au patient de se rendre chez les policiers pour montrer son certificat. C’est à lui de faire la démarche, pas à moi. Avec cette proposition, les sénateurs se mettent tous les médecins à dos ! La loi de 2004 avait déjà prévu des médecins coordonateurs. Leur rôle est de prévenir les autorités si le patient ne s’est pas présenté chez son collègue médecin. Saisir la justice, ce n’est pas le rôle d’un médecin. Comment le médecin peut-il revoir un patient après l’avoir dénoncé ? En médecine, la confiance doit être réciproque. Il y a déjà une relation triangulaire entre le médecin, le patient et la sécurité sociale. Maintenant, on veut ajouter la justice ? Ça me choque. On est là pour soigner, avoir une relation avec un patient. Ce projet est peut être un effet de mode. Ça va peut être sortir mais il n’y aura pas de décret d’application je pense.
Et que pensez-vous de l’éventualité d’une castration physique pour certains criminels sexuels (qui fut suggérée par Michèle Alliot-Marie puis annulée)?
La castration chimique est réversible contrairement à la castration physique. Sans être un grand défenseur des droits de l’homme, quand on commence à toucher au corps, ça me choque aussi !"
* Le texte de loi prévoit de renforcer le suivi médico-judicaire des criminels sexuels, d'assurer le contrôle et la surveillance des délinquants après leur libération et de garantir une meilleure protection des victimes
André Gisselmann du CHU Dijon : « Je suis psychiatre pas « flichiatre »! »
par Julie Philippe | dijOnscOpe | jeu 19 nov 09 |
http://www.dijonscope.com/001923-andre-gisselmann-je-suis-psychiatre-pas-fliciatre
Les députés examinaient mardi 16 novembre un projet de loi pour tenter de réduire le risque de récidive criminelle. Dans le cadre de cette loi*, un amendement propose de renforcer les règles relatives à l’injonction de soin des délinquants sexuels, "contraints de subir une castration chimique". Ainsi le signalement par le médecin traitant du refus ou de l’interruption du traitement anti-hormonal serait rendu obligatoire. dijOnscOpe a donc rencontré un spécialiste sur la castration chimique, le professeur André Gisselmann, Chef du service Psychiatrie Générale et Addictologie de l’hôpital général de Dijon. Il nous explique les tenants et aboutissants de cet amendement et s’exprime sans détours sur le sujet de la « dénonciation »...
Pouvez-vous expliquer de manière concrète ce qu’est la castration chimique ?
"La castration chimique est connue depuis très longtemps. Il s’agit d’utiliser des anti-hormones mâles ; le produit chimique bloque la production de testostérones (hormones qui gèrent les caractères masculins, l’agressivité etc.). Le plus souvent, on prescrit Androcur, une hormone sexuelle féminine. Il s'agit d'un produit chimique utilisé pour bloquer les désirs sexuels de personnes qui ont des tendances dites anormales, non autorisées par la société. C’est la société qui fixe les limites de cette normalité. Le traitement concerne surtout les gens qui auraient des pulsions pédophiles hétéro ou homosexuelles, et les violeurs. Ce sont les deux grandes indications.
Ce traitement a-t-il des effets secondaires ? Est-il dangereux ?
Il faut trouver le bon dosage chez certains patients : quelques-uns veulent continuer à avoir une vie sexuelle. Le traitement peut développer quelques caractères féminins (un gonflement des mamelons) et dans certains cas rares, des hépatites. Certains voient l’Androcur comme s’il s’agissait de la peste. Pourtant, cette hormone est déjà utilisée depuis longtemps. Certaines femmes qui ont trop d’hormones mâles (pilosité importante par exemple) en prennent en association avec une hormone féminine. C’est un produit qu’on utilise déjà mais avec précaution.
A elle seule, la castration chimique est-elle suffisante ?
Seul, le traitement n’est pas suffisant ; il faut aussi une prise en charge. Nous devons comprendre pourquoi ces gens ont ce comportement. Il faut donc établir une relation de confiance afin que le patient évoque ses problèmes sexuels par exemple. La notion de volontariat me semble également capitale. De plus, Androcur doit être dosé et diminué avec le temps ; un suivi médical est donc nécessaire pour surveiller la dose.
Certains psychiatres ne sont pas d’accord sur ces traitements anti-androgènes. Moi, je suis pour la castration chimique à condition qu’il y ait un accompagnement. Quelques patients me demandent des produits pour les aider mais ça ne suffit pas. Il faut une relation avec le médecin même pour ceux qui sont volontaires. Ce traitement ne va pas tout résoudre : il faut quelque chose à côté !
Ce traitement hormonal peut il être administré sous la contrainte ?
L’hospitalisation sous la contrainte existe déjà. Il s’agit d’une hospitalisation par un tiers lorsque la personne peut être dangereuse. C’est ensuite à nous de l’inciter à suivre un traitement. Il est certain que la société a besoin d’une relative protection. Si une personne est forcée de suivre un traitement, cela relève du judicaire : ça ne me choque pas. C’est si l’on mélange les genres qu’on est foutus ! J’ai très peu de patients qui veulent une castration chimique. Ce sont surtout les prisonniers qui me la demandent. Mais en prison, les détenus ne sont pas obligés de suivre un traitement. Leur liberté est déjà amputée et un traitement amputerait plus encore cette liberté ! Les prisonniers jugés irresponsables sont suivis durant leur peine mais à leur sortie de prison, ils sont libres de ne plus l’être. On devrait désigner un psychiatre pour les suivre mais c’est à eux de faire la démarche d’aller voir la police pour s’assurer du suivi médical.
Justement, que pensez-vous du fait d’avertir le juge en cas d'interruption par le délinquant sexuel de son traitement hormonal ?
Ça me choque que les médecins puissent être délateurs. Moi, je suis psychiatre pas « fliciatre » ! Le jour où le patient ne vient plus, je ne crois pas que ce soit mon rôle d’appeler la police. C’est au patient de se rendre chez les policiers pour montrer son certificat. C’est à lui de faire la démarche, pas à moi. Avec cette proposition, les sénateurs se mettent tous les médecins à dos ! La loi de 2004 avait déjà prévu des médecins coordonateurs. Leur rôle est de prévenir les autorités si le patient ne s’est pas présenté chez son collègue médecin. Saisir la justice, ce n’est pas le rôle d’un médecin. Comment le médecin peut-il revoir un patient après l’avoir dénoncé ? En médecine, la confiance doit être réciproque. Il y a déjà une relation triangulaire entre le médecin, le patient et la sécurité sociale. Maintenant, on veut ajouter la justice ? Ça me choque. On est là pour soigner, avoir une relation avec un patient. Ce projet est peut être un effet de mode. Ça va peut être sortir mais il n’y aura pas de décret d’application je pense.
Et que pensez-vous de l’éventualité d’une castration physique pour certains criminels sexuels (qui fut suggérée par Michèle Alliot-Marie puis annulée)?
La castration chimique est réversible contrairement à la castration physique. Sans être un grand défenseur des droits de l’homme, quand on commence à toucher au corps, ça me choque aussi !"
* Le texte de loi prévoit de renforcer le suivi médico-judicaire des criminels sexuels, d'assurer le contrôle et la surveillance des délinquants après leur libération et de garantir une meilleure protection des victimes