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mercredi 23 novembre 2011


Meurtre d'Agnès : violences sexuelles et mineurs en questions


mercredi 23 novembre 2011

Violences sexuelles, pédophilie, assassinat, préméditation… deux meurtres particulièrement sordides, ceux d’Agnès et d’Océane, ont récemment fait la Une. En sus des émotions intenses et compréhensibles suscitées par la médiatisation de ces drames familiaux, plusieurs questions sont régulièrement posées, notamment sur les réseaux sociaux. Voici quelques tentatives de réponses basées notamment sur des informations et chiffres glanés sur les sites gouvernementaux.

Les violences sexuelles envers les mineurs ont-elles récemment augmenté ? Et les meurtres de mineurs de moins de 15 ans ?

Depuis quelques années, il y a en France une importante médiatisation des faits divers les plus sordides, phénomène que l’on peut peut-être rapprocher de l’envahissement des programmes télévisés par des séries policières, le plus souvent anglo-saxonnes. Mais ce déferlement de violence télévisée quotidienne, réelle ou scénarisée, correspond-il à une réalité sociétale ?

De fait, le nombre d'actes de violence répertoriés par la police augmente plus ou moins depuis le milieu des années 70 en France. Et cette augmentation concerne aussi les violences sexuelles. Ainsi, d’après le dernier bulletin mensuel de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), il y a eu environ 24 000 cas de violences sexuelles constatées entre novembre 2010 et octobre 2011, chiffre en légère augmentation : "les faits constatés de violences sexuelles sont en hausse de 1,4 % sur 12 mois (soit +333 faits constatés)". Mais cette hausse moyenne ne concerne pas les violences sexuelles contre les mineurs, qui "sont en baisse de 2,9% sur 12 mois (soit - 392 faits constatés)". A l’inverse, les faits constatés de violences sexuelles sur victimes majeures sont en hausse de près de 8 % sur 12 mois (soit +725 faits constatés).
En ce qui concerne les assassinats d’enfants de moins de 15 ans, il y en a eu 52 entre novembre 2010 et octobre 2011, toujours selon l’ONDRP. Un chiffre stable par rapport à l’année précédente. Quant aux assassinats de mineurs par des mineurs, comme dans le cas d’Agnès, ils sont heureusement extrêmement rares (1 ou 2 cas par an).  

Peut-on prévoir la récidive ?


Immédiatement ou presque après la découverte du meurtre sordide d’une adolescente par un jeune de 17 ans en attente de jugement pour viol aggravé commis l’année précédente, l’expertise psychiatrique a été remise en cause, par exemple sur les commentaires d’articles des grands medias, de droite comme de gauche : "pourquoi les psychiatres n’ont pas compris qu’il allait recommencer ?", "Comment a-t-on pu laisser sortir un tel monstre après 4 mois de préventive seulement ?", etc.


Mais si la psychiatrie et la psychanalyse sont des disciplines qui permettent de faire un diagnostic, d’évaluer une situation à un temps donné, elles ne permettent pas de prédire l’avenir. Ce n'est pas de la voyance ! Les psychiatres ne sont donc pas aujourd’hui capables de prévoir avec certitude si tel ou tel individu va récidiver. Ils peuvent par contre dire ce qu’ils pensent de son état psychologique et du risque de récidive à un instant T et préconiser un changement de contexte : ce sont le plus souvent certaines situations particulières qui rendent propices le passage à l’acte, comme un divorce, le chômage, la violence intrafamiliale, les addictions, un problème d’héritage, de garde d’enfants, de voisinage, etc. Mais de toute façon les experts psy font une estimation et non un pronostic fiable à 100 %, ils ne peuvent donc garantir que le changement de contexte suffira à annihiler la dangerosité potentielle de l’individu.


Alors, puisqu’il est et sera impossible de prédire avec certitude les risques, même si les conditions de l'expertise peuvent être modifiées (pluridisciplinarité par exemple), faut-il mettre tous les délinquants violents en prison à vie, pour éviter la survenue possible de faits qu’ils n’ont pas encore commis ? Non, bien sûr. Les psychiatres spécialisés dans la criminologie, comme par exemple Pierre Lamothe lors de l’émission Mots Croisés le 21 novembre, soulignent que le plus souvent la dangerosité disparaît avec le changement de contexte : les ex-délinquants peuvent alors la plupart du temps être réintégrés socialement.


D’une manière générale, les faits divers médiatisés sont donc les exceptions tragiques d’un système plutôt efficace par ailleurs, du moins pour la prévention de la récidive des plus jeunes : les meurtres de mineurs sont rares et la récidive est rarissime.

La récidive des violences sexuelles est-elle plus fréquente que pour d’autres crimes ?

Le cas du meurtre de la jeune Agnès est particulier, puisque son meurtrier présumé était certes en état de récidive, mais n’avait pas encore été jugé pour la première agression (viol avec violences).


D’une manière générale, une personne qui sort de prison (déjà condamnée à une peine ferme d’emprisonnement, donc pour un crime au moins assez grave), a environ 59 % de risques d’être recondamnée dans les 5 années qui suivent pour un ou plusieurs autres faits délictueux, selon la Direction de l’administration pénitentiaire.


La récidive est plus fréquente lorsque l’infraction principale est la violence volontaire. Mais lorsqu’il s’agit de "Viols et agressions sexuelles", la récidive est au contraire nettement moins fréquente par rapport aux autres crimes et délits : le criminel sexuel  a ainsi près de 3 fois moins de risques de récidiver que le criminel moyen !


Que prévoit le gouvernement suite à ce fait divers ?

A chaque fait divers sordide impliquant une récidive, le pouvoir en place prône la recherche pourtant hypothétique du risque zéro, comme l’a encore fait aujourd’hui le ministre de la défense Gérard Longuet.  Résultat, depuis 7 ans, 6 lois ont été votées,rappelle Europe1.fr : fichiers de criminels sexuels en 2004, nouvelles mesures de suivi des condamnés "dangereux" en 2005, instauration des peines-plancher en 2007, rétention de sûreté en 2008 (applicable en 2023 seulement), possibilité de traitement anti-libido ("castration chimique") d’un délinquant sexuel récidiviste s’il en fait la demande en 2010 et enfin, entre autres, extension du port du bracelet électronique aux récidivistes en 2011.  


Cette fois-ci, c’est l’information sur le passé judiciaire, l'évaluation de la dangerosité et les possibilités d'encadrement qui devraient être rapidement davantage renforcées et partagées : après une réunion à Matignon sur les suites du meurtre commis au Chambon-sur-Lignon, le Premier ministre François Fillon a en effet "demandé à Michel Mercier et à Luc Chatel de prévoir qu’il ne soit plus possible d’inscrire un élève dans un établissement scolaire sans avoir informé de façon complète notamment le chef d’établissement et le psychiatre chargé du suivi, en cas de placement sous contrôle judiciaire dans des cas aussi graves, dans le respect des règles sur le secret des enquêtes". Autre initiative réglementaire prévue lors de cette réunion interministérielle : "pour les crimes les plus graves, le garde des Sceaux demandera aux parquets de requérir le placement en Centre éducatif fermé jusqu’au jugement". Enfin, François Fillon a également demandé à Michel Mercier, ministre de la justice,  et à Nora Berra, secrétaire d’Etat à la santé,  "d’évaluer précisément les moyens de prise en charge psychiatrique des criminels violents, tant pour évaluer leur dangerosité que pour leur délivrer les soins que l’autorité judiciaire leur impose de suivre" et "de lui proposer leurs recommandations".  


Ces mesures, qui vont être présentées le 23 novembre en Conseil des ministres (soit 24 heures seulement après la réunion…) sous la forme d’un "projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines" qui, s’il est entériné, constituera donc une 7ème initiative législative sur la récidive en 7 ans. 

Bientôt une véritable loi sur la santé mentale ?


Multiplication des Centres Educatifs Fermés, des peines de sûreté, des caméras, des expertises, fichiers, écoutes, circulation de l’information sont autant de mesures qui ont été souhaitées et votées rapidement après les drames... certes elles peuvent minimiser certains risques, corriger des lacunes... Mais la modification du contexte favorisant les décompensations psychiatriques, évoquée par François Lamothe, est également importante.
Pour cela, une approche globale, approfondie, multidisciplinaire et experte serait un atout, non seulement pour le délinquant mais pour la société elle-même. Problème: la psychiatrie française actuelle manque terriblement de moyens financiers, de nombreux postes sont vacants actuellement faute de conditions d’exercice motivantes, les préjugés persistent, les diagnostics et traitements sont trop tardifs (délais de consultation de plus en plus prolongés), ce qui minimise leurs chances de succès, l'accompagnement thérapeutique est déficient… alors qu’un Français sur 5 souffre, a souffert ou souffrira de maladies mentales ! Alors, à quand une véritable loi sur la santé mentale ayant pour objectif revendiqué d'améliorer nettement l'offre de soins ?


Devant cette situation qui se dégrade progressivement, le gouvernement a commandé plusieurs rapports sénatoriaux (Rapport Couty et Rapport Milon,  2009) qui pointent ces défauts et proposent de regrouper dans un Plan Santé Mentale les améliorations nécessaires du système actuel. La loi, initialement promise par Roselyne Bachelot pour 2009-2010, l'a été ensuite par Nora Berra pour l’automne 2011. Elle devrait être débattue par les parlementaires en fin d'année, ce qui pourrait contrebalancer l'inflation permanente de textes législatifs sur la gestion de la dangerosité, problème certes réel mais marginal en regard de toutes les pathologies psychiatriques. Le dernier texte de loi sur la psychiatrie a  ainsi durci les conditions d’hospitalisation d’office, sans réellement se préoccuper du reste, au point de susciter la colère des professionnels. Une loi là-encore élaborée après un terrible fait divers, à Grenoble.


L’émotion compréhensible née du meurtre d’Agnès, mais aussi d’Océane (fillette de 8 ans assassinée par un homme de 25 ans, qui n’était pas récidiviste mais avait subi une agression sexuelle à 13 ans), permettra-t-elle de réellement améliorer la détection et la prise en charge des troubles mentaux ? Ou faut-il plutôt compter sur le futur Plan Santé Mentale qui devrait bientôt être proposé par le gouvernement ?
Jean-Philippe Rivière


Sources :
- "Les statistiques de la délinquance", Bruno Aubusson et coll., Insee, 2003,téléchargeable en ligne
- "Criminalité et délinquance enregistrées en octobre 2011", Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), novembre 2011, bulletin mensueltéléchargeable en ligne
- Mots Croisés, présenté par Yves Calvi, 21 novembre 2011
- "Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation", Annie Kensey, Abdelmalik Benaoud, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, Direction de l’administration pénitentiaire, mai 2011, téléchargeable sur le site du ministère de la justice.
- "Affaire Agnès : Luc Chatel pointe des «dysfonctionnements» dans le suivi du lycéen", Liberation.fr, 22 novembre 2011, article accessible en ligne
- "Récidive : 6 lois en 7 ans", Europe1.fr, 22 novembre 2011, article accessible en ligne
- "Réunion à Matignon sur les suites du meurtre commis au Chambon-sur-Lignon", Gouvernement.fr, 22 novembre 2011, communiqué accessible en ligne
- "Vannes : Marie-Anne Montchamp présente le futur plan de santé mentale", Ouest-France.fr, 4 novembre 2011, article accessible en ligne
Photos :
- Marche blanche à la mémoire d’Agnès, Chambon sur Lignon, Haute Loire, 20 novembre 2011, © FAYOLLE PASCAL/SIPA
- Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant avant le début de la réunion à la suite du viol et de l'assassinat d'Agnès, 21 novembre 2011, © CHESNOT/SIPA







Vers une nouvelle évaluation pour les auteurs de viol

Par Maître Maïlys DUBOIS | 23-11-2011

L'expertise psychiatrique évaluant la dangerosité des auteurs de viols va faire l'objet d'une réforme. Le sénateur Jean-René Lecerf veut étendre l'évaluation pluridisciplinaire prévue pour le moment pour les très grands criminels.Vers une nouvelle évaluation pour les auteurs de viol
Le garde des Sceaux a annoncé, mardi 22 novembre 2011, à l'issue d'une réunion sur l'assassinat d'Agnès en Haute-Loire, que la loi de programmation, présentée demain en conseil des ministres, intègrera un "point" sur l'évaluation de la dangerosité des délinquants, "au moins dans les affaires les plus graves".

La nouvelle loi est présentée aujourd'hui, mercredi 23 novembre.

Le psychiatre pourrait ne plus être seul face aux auteurs de viols.

Le sénateur Jean-René Lecerf (UMP) veut changer le système d'expertise mis en place dans le cadre des demandes d'aménagement de peine.

Cette réforme serait lancée sur le terrain législatif par un projet de loi, ou plus probablement, par un amendement à la loi sur la responsabilité pénale des malades mentaux.

L'examen de dangerosité, prévu pour les très grands criminels dans le cadre de la loi sur la rétention de sûreté, serait étendu à tous les auteurs de viols.

Actuellement, l'expertise psychiatrique est obligatoire pour tous les délinquants sexuels et porte sur le risque de réitération, de récidive et sur la dangerosité de l'individu.

C'est le juge de l'application des peines qui désigne un expert psychiatre pour cet entretien, pratiqué en maison d'arrêt.

Le nouvel examen, lui durera six semaines, et sera effectué par une équipe rassemblant psychiatres, médecins, psychologues, surveillants pénitentiaires et éducateurs sociaux. Pour le moment, il n'existe qu'un seul centre dédié à cet examen, à Fresnes. Mais l'administration pénitentiaire va en ouvrir un second d'ici l'année prochaine, à Réau, en Seine-et-Marne. Le ministère de la Justice confirme également qu'il y a bien une réflexion en cours en vue d'ouvrir de nouveaux centres d'évaluation, en région.

Liée également aux projets législatifs sur les jurys populaires, cette réforme de l'expertise psychiatrique est née directement des suites du meurtre de la joggeuse de Marcq-en-Barœul, ville dont Jean-René Lecerf a été maire, en septembre dernier (lire également actuel-avocat du 20 décembre)."Le maillon faible, c'est l'expertise, en général, et l'expertise psychiatrique plus particulièrement, pointe-t-il. Dans le drame de Natacha Mougel, il y a deux expertises psychiatriques qui concluent à une absence de dangerosité. Si ce n'est pas fiable, cela entraîne une décision erronée du juge de l'application des peines. Mais je ne cherche pas à trouver une responsabilité, c'est le système qui ne va pas".

La question du financement de ces mesures se pose.

Cette proposition pourrait aussi être bien reçue du côté des psychiatres.

Le taux de récidive des délinquants sexuels est évalué dans une fourchette comprise entre 1,5 et 2,5%. On interroge la psychiatrie sur ce qui n'est plus au cœur de son métier, mais sur un pronostic sur les troubles de la personnalité et de l'orientation sexuelle.




Faits divers et santé mentale

Les psychiatres cloués au "pilori médiatique"
23.11.11 - 17:20 

À limiter la maladie mentale à la dangerosité psychiatrique, à confondre diagnostic et pronostic*, journalistes et politiques transforment les psychiatres en "gestionnaires du risque zéro". Le moindre fait divers et retombe sur eux la vindicte médiatique qui les place coaccusés au côté du criminel.

En cas de faits divers, il ne fait pas bon être psychiatre ou magistrat. Voués, par voie de presse, à la vindicte populaire, ils se retrouvent coaccusés responsables à égalité avec le criminel, d'autant plus s'il s'agit d'un récidiviste, clame ce 22 novembre Gilbert Thiel, à l'occasion de la 4e Journée d'étude psychiatrie & justice organisée par l'Établissement public de santé mentale (EPSM) de l'agglomération lilloise. Comme l'illustre parfaitement le traitement du fait divers survenu ce 16 novembre à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire, lire aussi nos brèves du 23/11/2011 et du 22/11/2011), puis sa récupération politique, leur décision est désormais systématiquement délégitimée par le crime. Avec l'appui du politique, le déchaînement médiatique place psychiatres et magistrats en position de faiblesse, acquiesce Jean Danet, avocat au barreau de Nantes. Ils ne sont plus "figures d'autorité" mais se doivent d'être "gestionnaires d'un risque zéro", des "risk manager" pour ne pas dire des "vendeurs d'illusions". "Dans une sorte d'injonction paradoxale, vous appréciez et créez le risque. S'il se réitère, vous êtes tenus responsables et placés au pilori médiatique faute de pouvoir être poursuivi en responsabilité professionnelle". Et ce, au contraire des actes de terrorisme ou autres affaires de santé publique (amiante, sang contaminé...), où l'avocat observe une dilution des responsabilités.

"Une vision schizophrène d'un hôpital soit laxiste, soit enfermant"

De fait, "plus s'améliore la compréhension des maladies psychiques et de leurs causes, plus s'accroît leur stigmatisation", constate le Pr Bruno Gravier, psychiatre au service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires au CHU Vaudois de Lausanne (Suisse). La dangerosité devenant une pathologie, le psychiatre ne se voit plus demander de traiter un patient mais de cautionner son évaluation, ajoute le médecin. Dans cette logique assurantielle, la recherche permanente de la prédiction et du pronostic reflèterait, selon certains, un refus de la mort extrêmement prégnant depuis quelques années dans la société. Ainsi, psychiatrisation de la victime oblige, "le temps du soin se cale désormais sur celui du politique dans l'exigence qu'il a de coller au médiatique", note le Dr Christian Muller, président de l'Association nationale des présidents et vice-présidents de Commission médicale d'établissement (CME) de CHS. Il en résulte "une législation de faits divers", comme le souligne Gilbert Thiel, fruit d'un "storytelling" où les médias sont plus souvent l'instrument que la cause d'"une législation du faits divers" empreinte de "démagogie et populisme", ajoute Jean Danet. Quant aux établissements psychiatriques, il s'en diffuse "une vision très péjorative, schizophrène, d'un hôpital soit laxiste, soit enfermant", déplore Jean-Pierre Staebler, directeur du CH de Montfavet, près d'Avignon.

"Occuper le terrain pour répondre et dédramatiser"

Certes, les journalistes ne sont pas les seuls coupables, insiste Dominique Simonnot, qui signe au Canard Enchaîné. Le reportage mené mi-2011 au sein de l'EPSM de l'agglomération lilloise par la journaliste Amélie Tulet pour Pèlerin Magazine entend justement pallier cette "vision réductrice de la maladie mentale à la dangerosité psychiatrique" répandue dans les médias, comme le relate Jacques Dorémieux, substitut général à la Cour d'appel de Douai. D'ailleurs, Jean-Pierre Staebler s'empresse de rappeler que les patients en hospitalisation d'office ne représentent que 5% de la file activité de son établissement, dans lequel 85% des patients ne sont jamais hospitalisés. Cependant, cette "slow information", pour citer le journaliste pigiste Stéphane Gravier, reste souvent sacrifiée à la moindre goutte de sang. Revenant sur l'exploitation médiatique du double meurtre de Pau en 2004, le Dr Thierry Della, président de la CME de l'EPSM CH des Pyrénées, appelle globalement les psychiatres à s'ouvrir aux médias pour éviter que d'autres, parfois collègues, ne comblent ce vide, "prêts à alimenter l'attraction médiatique et nous porter préjudice". Aussi, apparaît-il nécessaire, à ses yeux, de savoir anticiper l'emballement médiatique du faits divers : "Il faut une personne par établissement qui soit formée car cela ne s'improvise pas. À elle d'occuper le terrain pour répondre et dédramatiser."
Thomas Quéguiner

* En écho aux propos tenus par Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, le 20 novembre sur les ondes de Radio-France, quatre jours après le faits divers survenu à Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) : "La science psychiatrique n'est pas une science exacte".


23.11.11 à 06h38

JUSTICE - MIS SUR LA SELLETTE APRÈS LE MEURTRE D’AGNÈS AU CHAMBON-SUR-LIGNON, LES PSYCHIATRES RÉAGISSENTAFFAIRE AGNÈS : « DES BOUCS ÉMISSAIRES »

C’est devenu une habitude. À chaque fait divers, de nouvelles mesures. Et de nouveaux responsables. Hier, le procureur de Nîmes a expliqué que le lycéen meurtrier présumé d’Agnès avait été remis en liberté suite à des expertises psychiatriques qui le jugeaient « pas dangereux » et « réinsérable ».
Sommité dans le monde de la psychiatrie et expert à la cour d’appel de Paris, Daniel Zagury a dénoncé « l’instrumentalisation de la psychiatrie afin qu’elle obéisse à un objectif de certitude ». « Il a raison, on cherche maintenant toujours des boucs émissaires », souligne Francis Boquel, psychiatre expert à la cour d’appel de Nancy. « Nous sommes en présence d’un phénomène sécuritaire ». Le psy qui a examiné l’adolescent s’est-il trompé ? « Je ne sais pas », poursuit Francis Boquel. « La question la plus difficile est celle de la dangerosité, que nous évaluons avec un examen clinique. Il convient alors de tester la réactivité du sujet, de le mettre dans une situation de contrainte, de frustration, pour voir comment il réagit ». Pour le praticien nancéien, il convient de différencier dangerosités psychiatrique et criminologique. « Cette dernière suppose que le sujet ne présente pas de troubles psychiatriques. Mais on peut être dangereux sans avoir de troubles psychiatriques. Quelqu’un peut développer un déséquilibre psychopathique de la personnalité, fonctionner en mode dyssocial, être souvent en conflit avec le champ social habituel : les règles de vie, les interdits. Chez cette personne, une situation d’entrave peut provoquer des réactions violentes ».


ÉVALUATION DE LA DANGEROSITÉ


Les psychiatres ne se prononcent que sur la dangerosité psychiatrique. « Se prononcer sur la dangerosité criminologique relève de la compétence du criminologue. Le psychiatre qui s’y risque doit donc compétent en criminologie. Réclamée depuis longtemps, la création d’une filière de psycho-criminologie me paraît donc indispensable ».
Pour évaluer la dangerosité, Francis Boquel réfute la méthode statistique des « échelles actuarielles », importées des États-Unis. « Ces échelles établissent un lien entre le profil du condamné et son risque de récidive. C’est un outil qui peut être dangereux, qui catégorise les individus au motif d’être objectif. C’est profondément choquant, à l’opposé complet du fonctionnement humain. Avec ces échelles, on envisage le sujet à un instant T, alors qu’il peut parfaitement réagir de manière différente dans deux situations à peu près semblables. On ne peut pas faire fi de l’appareil psychique du sujet, de son fonctionnement psycho-affectif. C’est réduire l’homme à un statut de robot, de machine ».
Par ailleurs, et c’est peut-être le point le plus complexe de cette évaluation de la dangerosité, la délinquance sexuelle adolescente est particulièrement difficile à appréhender. « La personnalité d’un adolescent est en phase de construction, d’organisation. Et le registre des pulsions sexuelles obéit à la même mouvance… ».
Eric NICOLAS



Le meurtre du Chambon-sur-Lignon et le fantasme « Minority Report »


Gilles Vervisch
Blogueur et philosophe
Bien sûr que le meurtre de la collégienne au Chambon-sur-Lignon est horrible : violée, tuée et brûlée par un adolescent déjà incarcéré pour viol pendant quatre mois.
Pourquoi ne pas l'avoir gardé en détention préventive en attendant le procès de son crime précédent ? Et qu'est-ce qu'il faisait dans un internat de jeunes filles ? Pourquoi, au moins, ne pas avoir prévenu le lycée-collège du passé judiciaire du garçon ? Bref, on aurait sans doute pu prendre quelques mesures de prudence.

On voudrait que les psys prédisent l'avenir

En même temps, les plaintes deviennent très étranges quand on dit que les experts psychiatres se sont trompés, ou qu'ils n'ont pas bien évalué la « dangerosité » de l'adolescent, puisqu'ils l'ont jugé « réinsérable ». Certains font alors remarquer que la psychiatrie n'est pas une science exacte et qu'effectivement, elle peut se tromper. Mais se tromper sur quoi ? On voudrait que les psychiatres soient des experts de l'avenir, que leur science consiste à prévoir, et même prédire les actes futurs d'un individu.
C'est exactement ce qui passe dans le film de Spielberg « Minority Report » : la police dispose de trois experts-médiums qui peuvent « voir » les crimes avant qu'ils ne soient commis. Ce sont les « précogs » (sans doute du latin cogito, « je pense », et ici : je vois par la pensée ce qui va se passer avant que ça ne se passe). Du coup, la police arrête les criminels avant qu'ils ne commettent leurs crimes.
BANDE-ANNONCE DE « MINORITY REPORT »
Ce qui est assez étonnant, c'est que cette histoire de science-fiction est censée faire peur. A première vue, un monde dans lequel on pourrait savoir à l'avance qu'un crime sera commis n'est ni possible, ni souhaitable. Ce n'est pas possible, parce que le futur n'est pas écrit, et qu'on suppose que les individus agissent librement.
Ce n'est pas souhaitable, surtout, pour deux raisons :
  • d'abord, ça veut dire qu'on pourrait arrêter et condamner les gens alors même qu'ils n'auraient encore rien fait. Et donc, ils seraient innocents ;
  • ensuite, parce qu'on considèrerait, de fait, qu'ils ne sont pas libres de leurs actes, et ne peuvent rien changer à leur avenir.
Quand on regarde le film, c'est très dérangeant. D'ailleurs, on est un peu soulagé en découvrant que les « précogs » peuvent se tromper (notamment à propos du héros, Tom Cruise). On apprend qu'il existe justement des « minority reports » (« rapports minoritaires »), c'est-à-dire quelques prédictions des « précogs » qui se sont révélées fausses. On est soulagé, parce que ça veut dire que l'avenir n'est pas écrit, et qu'il subsiste toujours une part d'imprévisibilité, et donc, de liberté, dans la vie de chacun.

Prévenir la « dangerosité »

Or, il est étonnant que ce qui fait peur et soulage dans ce film soit exactement l'inverse de ce qu'on voudrait quand on parle du meurtre d'Agnès. On voudrait justement que les experts-psychiatres puissent prédire l'avenir, et on a peur qu'ils se trompent.
Sans se rendre compte de ce que tout ça implique : qui voudrait vivre dans un monde où on peut être arrêté et enfermé, non pas pour des actes qu'on a commis, mais pour des actes qu'on pourrait commettre dans l'avenir, alors que chacun revendique sans doute le droit d'être reconnu comme un individu libre de ses actes ?
C'est pourtant ça qu'on appelle la « dangerosité » : la possibilité ou la probabilité qu'a un individu de commettre un crime. Il faut sans doute penser à toutes ces conséquences quand on réclame des mesures supplémentaires pour prévenir l'avenir. Ce qui est dangereux, au fond, c'est de vouloir faire des lois en réagissant un peu trop vite à des faits divers tragiques, dramatiques, mais rares. Bref, dans quel monde voudrait-on vivre ? Il n'est pas certain que ce soit le monde de « Minority Report ».

Les députés ont voté la réduction de l’Ondam 2012


L’Assemblée a voté un PLFSS revu et corrigé à l’aune du second plan de rigueur du gouvernement. Le texte sera examiné de nouveau par le Sénat de gauche ce mercredi soir. Suite et fin du feuilleton sur le Budget 2012 de la Sécu le 29 novembre avec l’adoption définitive du PLFSS par les députés.

L'Assemblée nationale a voté mardi soir en deuxième lecture le budget de la Sécu pour 2012: 455,8 milliards d'euros de dépenses ( dont 330 milliards pour le régimé général des salariés), soit davantage que le budget de l'Etat (environ 365 milliards). A l’occasion de ce deuxième passage du PLFSS 2012 dans l’hémicycle certaines mesures du deuxième plan de rigueur du gouvernement ont été intégré dans le texte.

C’est le cas pour les retraites, dont la réforme voit son calendrier d’application accéléré pour deux de ses mesures phares. Le passage à 62 ans de l'âge de la retraite, d’abord, qui interviendra en 2017 au lieu de 2018. La réforme de 2010 s'appliquera ainsi complètement aux salariés nés en 1955 et après, alors que dans la loi votée l'an dernier, il s'agissait des générations nées à partir de 1956. Les salariés nés entre 1952 et 1955, concernés par l'entrée en vigueur progressive de la réforme, devront partir un à trois mois plus tard que ce qui avait été décidé l'an dernier. De même, le recul à 67 ans de l'âge pour toucher une retraite sans décote interviendra un an plus tôt que prévu, en 2022 (lorsque la génération 1955 atteindra cet âge) au lieu de 2023.

Les députés ont aussi donné leur aval à la cure d’amaigrissement de l’Ondam 2012 qui passera donc de 2,8% prévus initialement à 2,5%, ce qui nécessite 500 millions d'euros d’économies. Elles seront obtenues principalement grâce à des baisses de prix sur les médicaments et les tarifs des biologistes et radiologues. Les économies prévues sur les IJ restent en revanche à préciser. Le gouvernement ayant annoncé mardi qu’il voulait bien renoncer au quatrième jour de carence pour les salariés du privé, on pense désormais à une mesure qui ne toucherait que les salalriés les plus «riches», au-delà de deux fois le smic.

En même temps qu'elle a ajouté plus de rigueur au PLFSS voté par elle en première lecture le 1er novembre, la majorité de droite de l'Assemblée a annulé une série d'amendements apportés par la majorité sénatoriale de gauche au texte lors de son passage devant la Haute assemblée la semaine dernière. Les députés ont notamment rétabli le doublement de la taxation des contrats complémentaires santé des mutuelles et assurances décidée fin août, ainsi que l'instauration du secteur optionnel. Le texte va être examiné au Sénat une dernière fois ce mercredi soir, puis revenir mardi prochain à l'Assemblée nationale, qui aura le dernier mot et le votera alors définitivement.
Paul Bretagne

Pression au travail, manque d'argent : ces patients qui refusent les arrêts-maladie

LEMONDE | 23.11.11

La question des arrêts-maladie donne décidément du fil à retordre au gouvernement. Après avoir renoncé à modifier le mode de calcul des indemnités journalières pour faire des économies, le voilà prêt à reculer sur le quatrième jour de carence pour les salariés du privé. Par deux fois, les mesures qu'il défendait ont été jugées injustes : elles touchaient les travailleurs dont l'entreprise ne compense pas la baisse de revenu liée à l'arrêt-maladie.

De quoi aggraver un phénomène observé par de plus en plus de médecins en ces temps de crise : le refus des malades de se mettre en arrêt-maladie. Un sujet peu documenté. "On en parle peu, sans doute parce que les arrêts-maladie sont un sujet tabou et qu'il est de bon ton d'estimer que les Français sont des fainéants", analyse Claude Bronner, du syndicat Union Généraliste. Ce médecin, qui se dit inquiet de l'augmentation de la souffrance au travail, voit souvent des patients qui lui font part des pressions de leur entreprise contre les arrêts.
Surtout, il y a le problème financier. Tous ne sont pas égaux devant la possibilité, ou non, de s'arrêter. Les médecins distinguent trois catégories : les fonctionnaires, assez bien protégés ; les salariés des grandes sociétés, pour lesquels il n'y a pas d'incidence financière quand ils se mettent en congé maladie ; et un troisième groupe, ceux dont les entreprises ne compensent pas les jours de carence, ni la baisse de revenu engendrée par le versement d'indemnités moins élevées que le salaire. Selon le gouvernement, seuls 30 % des salariés ne reçoivent pas de complément de salaire, un chiffre contesté par les syndicats."Même minoritaires, ces personnes sont nombreuses quand même", insiste le Dr Bronner, évoquant les smicards pour qui gagner moins est impossible.
Ne pas pouvoir s'arrêter peut constituer un frein à l'accès aux soins. Comme les dépassements d'honoraires, le coût des complémentaires santé, ou les délais d'attente auprès des spécialistes, motifs bien connus de renoncements. A ces réfractaires, les médecins donnent des arrêts, considérant qu'ils font partie de la prescription comme les médicaments. Mais ils savent pertinemment qu'ils n'en tiendront pas compte. Parfois, les malades s'arrêtent mais repartent travailleralors qu'ils ne sont pas guéris. D'autres reportent une opération, ne pouvant sepermettre plusieurs semaines d'arrêt.
"Tous les jours, un ou deux patients refusent que je les arrête. Ils disent ne paspouvoir se le permettre, mais aussi avoir peur d'être stigmatisés", constate Stéphane Pertuet, généraliste à Barentin (Seine-Maritime). Il décrit des actifs, souvent trentenaires, travaillant notamment dans le commerce. Il voit des employés municipaux qui ne veulent pas perdre leur prime de présence. Des malades parfois sous forte pression à cause de la crise, que ce médecin pousse à faire une pause. Dernièrement, il a réussi à convaincre un jeune homme : "Il avait honte d'expliquer qu'il craquait, il m'a demandé ce qu'il pourrait dire à son patron."
Comme beaucoup, il s'énerve de la pression de la majorité sur les arrêts-maladie. C'est aussi le cas de "docteurmilie", pseudonyme d'une jeune généraliste de Seine-Saint-Denis qui tient un blog. "Oui, je l'accorde, il y en a quelques-uns qui réclament des arrêts pour pas grand-chose, ou qui tirent sur la corde - "tant qu'à avoir trois jours, mettez-moi la semaine tant qu'à faire"" , y écrit-elle, estimant qu'il s'agit de cas marginaux. "Autour de moi, les gens ne prennent pas leurs arrêts-maladie. Faut-il en déduire qu'en Seine-Saint-Denis les gens sont plus courageux ?", affirme la généraliste, qui garde l'anonymat pour pouvoirraconter les histoires de ses patients.
Le "docteurmilie" voit aussi des malades qui refusent un congé maladie pour ne pas mettre leurs collègues dans l'embarras ou parce qu'ils ont peur d'avoirensuite trop de travail à rattraper. Pourtant, juge-t-elle, pour une tendinite ou un lumbago, mieux vaut s'arrêter quand ce n'est pas encore trop grave avant de finir"totalement bloqué". Pour limiter le coût global des arrêts, elle plaide pour une sensibilisation aux conséquences des abus et non une stigmatisation des malades. Depuis plusieurs années, l'assurance-maladie explore la question de référentiels de prescription pour guider les médecins, la durée des arrêts étant très hétérogène d'un praticien à l'autre. De quoi faire pas mal d'économies.
Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul

"Des gens comme nous, faut pas qu'on tombe malade"

LEMONDE | 23.11.11

Un appel à témoignages sur les renoncements aux soins a été lancé sur Lemonde.fr. Sans surprise, les internautes ont raconté leurs difficultés à financerdes prothèses dentaires ou des lunettes. Certains ont préféré pointer un autre problème : leur impossibilité de prendre un arrêt-maladie.

Des congés plutôt qu'un arrêt. Evelyne Furling a 59 ans, et est à la retraite depuis septembre. De toute sa carrière de gérante de magasins dans la grande distribution, elle n'a jamais pris un arrêt-maladie. La raison en est simple : "Des trois sociétés pour lesquelles j'ai travaillé, aucune n'a jamais compensé ma perte de revenu", dit-elle. "Peut-être que dans les grandes entreprises à Paris c'est différent, mais en province, c'est le cas la plupart du temps", lance cette habitante de Belfort.
Pourtant, elle en a eu des problèmes de santé. "Même après mon opération du canal carpien, j'étais au boulot le lendemain, dit-elle. Je suis souvent alléetravailler alors que je ne tenais pas debout." "Mon médecin a fini par me dire que si ça continuait, il allait envoyer l'inspection du travail dans mon entreprise",s'amuse-t-elle. Son mari est cadre, ils ont trois filles. Chacune a fait une école de commerce. Avec les frais de scolarité, les logements à payer, pas question degagner moins.
"En cas de problème grave, je m'arrangeais avec mon patron pour prendre sur mes congés, et je faisais pareil avec mon équipe", se souvient-elle. Elle a souvent vu des employées au smic pour lesquelles s'arrêter était impossible.
Sans CDI, une opération du genou toujours décalée. Sarah Bonnefoy a 28 ans, habite en Savoie, a fait des études de droit et commencé à travailler comme clerc de notaire. Désormais, elle travaille dans des mairies, passant de CDD en CDD en espérant être titularisée. Les médecins ont beau estimer son opération du genou indispensable, elle ne cesse de la reporter. Pas le choix. "J'ai besoin de trois ou quatre mois d'arrêt à la suite de l'intervention, et en CDD, comme on est là pour peu de temps et qu'en plus on espère être renouvelé, on ne s'arrête pas.".
Les médecins estiment pourtant qu'elle ne doit pas attendre"Il s'agit juste d'une opération des ligaments. Le risque, c'est qu'il faille plus tard me poser une prothèse." Mais elle n'imagine pas une amélioration de sa situation professionnelle avant 18 mois.
L'arrêt-maladie est sa bête noire. Elle a travaillé un temps en intérim dans la banque. "J'ai été arrêtée une fois à cause d'une dépression après le décès de mon père. L'agence qui me proposait des contrats ne m'a ensuite jamais rappelée", se souvient-elle. Désormais, elle est reconnue travailleuse handicapée pour une autre raison médicale, mais craint qu'on hésite à l'embaucher de peur qu'elle tombe souvent malade.
Le patron dit "non". Emmanuelle (le prénom a été changé) préfère resteranonyme. Elle est assistance commerciale chez un négociant en vin. Elle a 28 ans, et gagne 1 500 euros net. C'est après être restée clouée au lit quatre jours, avec arrêt-maladie, qu'elle a découvert que son entreprise n'avait pas souscrit de contrat de prévoyance. Elle a perdu 200 euros. Elle voudrait être couverte, mais son patron, qui n'apprécie guère les arrêts de travail, ne veut rien savoir.
Elle vient donc toujours travailler"même malade". Le médecin peut bien luiprescrire un arrêt, elle ne l'envoie pas à la Sécurité sociale. Et croise les doigts pour ne jamais avoir d'accident, ce qui nécessiterait un arrêt long, et beaucoup d'argent en moins.
Au travail, malgré une fausse couche. Claudine Lopez, 40 ans, vit près de Vichy. Elle est assistante informatique en CDI et gagne le smic. Avec son mari, ils touchent 2 800 euros brut par mois. En 2009, elle a eu un arrêt-maladie d'une semaine. C'était la première fois en vingt ans. Cela lui en a coûté plus de 250 euros. "C'est énorme", dit-elle.
Une fois tout payé, le crédit de la maison, l'alimentation, le carburant, les assurances, la pension alimentaire que verse son mari à son ex-femme, il ne leur reste rien.
Mme Lopez ne posera plus d'arrêt-maladie. En août 2010, elle a fait une fausse couche, avec hémorragie : "J'étais anémiée, mon médecin a voulu m'arrêterquinze jours, mais je lui ai dit non et suis retournée, toute faible, travailler. Il ne pouvait pas m'obliger..." Elle a pris des vitamines et du magnésium. Son mari n'était pas vraiment pour, mais lui qui travaille dans le bâtiment ne s'arrête jamais non plus.
Mme Lopez a un sentiment d'injustice : "Ce n'est pas normal d'être dans cette situation, alors qu'on travaille dur et qu'on paye des cotisations." Le passage de trois à quatre jours du délai de carence, elle ne le comprenait pas : "Ceux qui pondent ce genre de mesures, ils n'ont certainement pas le même salaire que moi... Des gens comme nous, faut pas qu'on tombe malade."
Laetitia Clavreul