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samedi 18 septembre 2010







A l’hôpital Sainte-Anne, ça va être de la folie

Journées européennes du patrimoine








 

Une schizophrène, attachée au lit
par son père depuis 10 ans.
Photo : Stéphane Moiroux/Laure Gruel;
peinture : Paolo Del Aguila

 
2 000 visiteurs sont attendus dans l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris à l’occasion des Journées européennes du patrimoine (18 et 19 septembre). Les 100 photos de l’exposition « Regards sur la folie » montrent la perception et la prise en charge de la psychose au sein de quatre peuples amérindiens : les Inuits, les Sioux-Lakotas, les Mayas et les Shipibo.Un travail sur place sur le continent américain pendant un an mené par Laure Gruel, psychomotricienne en psychiatrie et Stéphane Moiroux, infirmier et photographe professionnel. Une approche artistiquement subtile et humainement convaincante qui ouvre bien des portes et des esprits.

« Il y a un tabou autour de la folie, même dans des peuples qui ont d’autres représentations des troubles mentaux ». Stéphane Moiroux montre ses images de la folie chez les peuples Maya, Inuit ou Sioux en plein centre de Paris, dans un ancien pavillon de soin au cœur du centre historique de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne, inauguré en 1867. Les photos sont suspendues, pas de question de percer des trous dans les murs d’un bâtiment classé monument historique. « Quand on a monté ce projet, on s’est dit qu’il fallait le faire dans un lieu qui pouvait avoir du sens. On aurait pu faire cela dans un festival photographique, mais cela reste un public très spécialisé de la photographie. Nous, on parle des personnes en souffrance mentale et nous voulons toucher un grand public. »

Chaque peuple a sa propre manière de gérer la folie

Stéphane Moiroux, 29 ans, est depuis trois ans photographe et depuis dix ans infirmier. Il a travaillé aux soins palliatifs avec beaucoup de patients africains qui avaient souvent une manière « magique », « mystique » ou « symbolique » de représenter leur maladie. Sa partenaire du projet, Laure Gruel, 30 ans, est psychomotricienne en psychiatrie. Un métier où les patients parlent de leurs émotions à travers le corps, des massages, le théâtre, la balnéothérapie. Elle était très touchée par la souffrance de ses patients et par leur manière d’exprimer les choses. Après de longues discussions, Laure Gruel et Stéphane Moiroux sont tombés sur une question-clé : « Qu’est-ce que pourrait être la représentation des personnes qui ont des troubles mentaux graves comme la schizophrénie dans des populations qui ont une vision et une perception du monde différentes de notre rationalisme en Occident ? » Ils ont cherché des contacts auprès des centres hospitaliers, des centres de soins et d’hébergement en Amérique et ont décidé de rester pendant un an en Amérique afin d’étudier et d’aborder la question de la folie à travers quatre peuples différents. Un an après, ils sont de retour. Résumé : chaque peuple a sa propre manière de gérer la folie.

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Le droit au séjour des étrangers malades de nouveau menacé
Par Carine Fouteau
18 Septembre 2010

C'est devenu un rituel : dès qu'il en a l'occasion, le député UMP du Vaucluse Thierry Mariani essaie de restreindre les droits des étrangers en matière de santé. Lors de l'examen du projet de loi immigration, intégration et nationalité devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, mercredi 15 septembre, il est parvenu à faire adopter par les députés un amendement ajoutant une régression supplémentaire à un texte, qui sera défendu par Éric Besson à partir du 28 septembre dans l'hémicycle, durcissant déjà considérablement la politique migratoire.

Dans le collimateur : les étrangers gravement malades, c'est-à-dire ceux «dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité», selon la définition inscrite à l'article L313-11-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Depuis la loi Chevènement de 1998, ces personnes obtiennent une carte de séjour temporaire lorsqu'elles ne «peuvent effectivement  bénéficier d'un traitement approprié» dans leur pays d'origine. Thierry Mariani propose, lui, qu'elles n'en bénéficient qu'en cas d'«inexistence» du traitement dans leur pays d'origine.

La différence est de taille: pour les malades, la question, vitale le plus souvent, n'est pas de savoir si les médicaments existent, mais s'ils y ont accès. Dans certains pays, du Sud notamment, les traitements sont théoriquement disponibles, mais les personnes qui devraient en bénéficier ne peuvent les acheter pour de multiples raisons: soit parce qu'ils sont trop chers, soit parce qu'ils sont quantité insuffisante, soit encore parce que leur lieu d'habitation est trop éloigné du lieu de distribution.

Quel avenir pour ces étrangers, parmi lesquels les malades du cancer et du sida, s'ils ne sont pas régularisés? Première hypothèse: ils resteront ou deviendront sans papiers et auront d'autant plus de mal à se soigner, avec des risques, en cas de transmission de la maladie, en matière de santé publique. Seconde hypothèse: de retour dans leur pays d'origine, n'ayant pas accès aux traitements, leur état de santé se dégradera inévitablement jusqu'à ce qu'ils meurent.

«Notre système social français ne peut quand même pas financer les malades du monde entier!», rétorque Thierry Mariani, joint par Mediapart. Le député, rapporteur du projet de loi Besson, s'inquiète de deux décisions du conseil d'État, du 7 avril 2010, selon lesquelles l'accès «effectif» aux soins recouvre non seulement l'existence de l'offre médicale, mais aussi la possibilité pour l'intéressé d'en bénéficier en fonction de ses ressources, du bénéfice éventuel d'une prise en charge financière et de la région dont il est originaire.

«Cette interprétation très généreuse fait peser une obligation déraisonnable au système de santé français, ouvrant un droit au séjour potentiel à tout étranger ressortissant d'un pays ne bénéficiant pas d'un système d'assurance social comparable au nôtre», écrit-il dans l'exposé des motifs de son amendement. Et d'ajouter, de vive voix: «Cette jurisprudence est une bombe à retardement. À part les Suédois, on ne pourra plus expulser personne! Même les Américains pourraient venir se soigner en France!»

Pour parer à cette éventualité, il propose un retour en arrière législatif de plus de dix ans. Et cela, alors même que, de l'aveu du ministère de l'immigration, le nombre de cartes de séjour délivrées pour ce motif a diminué de près de 20% entre 2004 et 2008 (de 6.105 à 4.894), selon les chiffres officiels publiés dans le dernier rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration.

   * «Un droit acquis de haute lutte»

Pour l'association Act Up-Paris, cet amendement fait peser des risques sur la vie de milliers d'étrangers gravement malades – environ 28.000 personnes sont potentiellement concernées. Son communiqué décrit un possible scénario en cas de vote par le Parlement: «Décembre 2010 : Mme N., en situation irrégulière, est expulsée vers l'Ouganda de la France où elle suivait un traitement. Elle est séropositive et atteinte d'un cancer. En Ouganda, moins de la moitié des séropositives ont accès à un traitement. Juin 2011: Mme N. meurt faute de traitements. L'amendement Mariani a réduit son espérance de vie de plusieurs années à 6 mois, l'amendement Mariani l'a tuée

«Le droit mis en cause aujourd'hui a été acquis de haute lutte. Le vote d'un tel amendement signifierait un retour en arrière par rapport aux grands combats des années 1990, notamment liés à la lutte contre le sida», insiste Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (Comede), association membre de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).

Pour Europe Écologie/les Verts, «cette politique de non-assistance à malades en danger est inacceptable. Celui qui la défend et ceux qui la voteront commettront une faute morale grave indigne de la tradition humaniste de notre pays. Mais au-delà de toute considération éthique, cela fera courir un risque sanitaire avéré pour tous les citoyens faute de soigner correctement les personnes qui en ont besoin».

Pas de quoi culpabiliser Thierry Mariani, auteur d'un amendement particulièrement remarqué en 2007, instaurant les tests ADN dans le cadre du regroupement familial. Face au tollé provoqué par ce texte, le gouvernement, après des mois d'atermoiements, avait été contraint de renoncer à l'appliquer. Cette fois-ci, le député affirme «avoir été soft car, dans ce pays, à chaque fois que la droite propose une loi sur l'immigration, on est traités de réactionnaire». Il promet quand même d'aller «plus loin» dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec son collègue UMP Claude Goasguen, chargé d'une mission sur l'Aide médicale d'État. 



22.02.10
Société
Reportage

Aux Diaconesses, à Paris : "Le patient est notre guide"

"Partie très calmement. Famille en pleurs", "Sans réaction depuis ce matin. Après l'avoir tourné, le patient s'est éteint". Jamais dans le service de soins palliatifs du groupe hospitalier Diaconesses-Croix-Saint-Simon, à Paris, le personnel n'oublie de remplir le "cahier de décès" qui permettra à qui veut d'en connaître les circonstances. Un procédé rare, et pourtant utile. Comme les "cérémonies du souvenir", organisées deux fois l'an et où sont conviés les proches de toute personne morte à l'hôpital.

Sur 250 à 300 décès par an, 200 ont lieu dans cette unité ; 200 sur 240 admissions. La durée médiane de séjour y est de onze jours, mais chaque cas est particulier. Dominique Minguet, infirmière, se souvient ainsi de ce patient "la veille en partance" qui s'est réveillé un matin en disant : "J'ai faim."

Le service, qui compte quinze lits, reçoit 1 700 demandes de prise en charge par an. Il faut faire des choix. "Nous tenons compte des douleurs rebelles ou des difficultés à respirer, mais aussi de la détresse morale", explique le docteur Dominique Karoui.

Séances de lecture

Le service accueille en priorité les malades venus directement de leur domicile, parce que ceux déjà hospitalisés ailleurs sont suivis par des médecins, même si les conditions d'écoute ne sont pas toujours idéales. Parce que les personnes qui accompagnent le "départ" d'un proche à leur domicile peuvent aussi être en danger. Comme souvent les femmes âgées restant auprès de leur mari.

La priorité va aussi aux personnes isolées, comme les SDF, et aux parents en fin de vie d'enfants en bas âge. Ce samedi, on en entend d'ailleurs rire dans le couloir aux couleurs vives.

Chaque semaine, le personnel participe à des groupes de parole, indispensables. Les arrivées des patients sont en effet souvent d'une grande violence, car beaucoup n'ont pas été tenus au courant de leur orientation en soins palliatifs. Il faut alors comprendre s'ils veulent connaître ou non la vérité. "Il n'y a pas de bonne mort. Chaque patient est notre guide", résume Marina Benouaich, une autre infirmière.

Denise Barbeyer, 96 ans, sait parfaitement où elle est. Atteinte d'un cancer, elle semble sereine : "Je suis d'accord pour tous les soins, y compris ceux qui risquent de me raccourcir un peu l'existence." "J'aime la vie, à condition qu'elle soit consciente", précise-t-elle. La vieille dame apprécie l'attention de tous les instants qu'on lui porte, et que des bénévoles lui fassent la lecture - "L'Evangile au risque de la psychanalyse, de Dolto, Anouilh et aussi Giraudoux". Il y a là aussi les proches d'une femme arrivée il y a trois jours. Ils voulaient tout faire pour qu'elle reste chez elle, mais après un week-end passé dans "d'atroces douleurs et une détresse énorme", ils ont fait une demande de prise en charge, raconte l'une d'eux. Une médecin généraliste qui se dit rassurée que la malade soit là où l'on sait vraiment suivre le patient d'un point de vue "médicamenteux et psychologique".

Ici, les visites sont autorisées 24 heures sur 24, et en se débrouillant, on arrive à coucher parfois jusqu'à quatre proches pour la nuit, le moment le plus angoissant. Après un décès, une chambre est toujours laissée vide le temps d'une nuit. Un laps de temps indispensable au personnel. Tout cela a un coût, mais le service est à l'équilibre, grâce à l'activité soutenue qu'a permis la mise en place d'un lit d'urgence qui facilite les roulements.

Le directeur de l'hôpital, Philippe Pucheu, ne pense pas possible et nécessaire de généraliser ces pratiques "Il n'y a pas de bons et de mauvais services. Chacun fait selon sa fonction. Mais une meilleure organisation et la transmission de la culture d'accompagnement pourraient permettre des améliorations dans les hôpitaux, et même plus généralement." L'équipe réfléchit à impliquer médecins de ville et maisons de retraite, car elle juge certaines situations de décès inacceptables. Comme ces morts dans les couloirs des urgences de personnes en fin de vie, dont le "départ" pouvait être anticipé.

Laetitia Clavreul
Article paru dans l'édition du 23.02.10.






J. Peker, Cet obscur objet du dégoût
Parution : 7 janvier 2010







Cet obscur objet du dégoût
Julia Peker

Paru le : 07/01/2010
Editeur : Bord de l'eau (Le)
Collection : Diagnostics
ISBN : 978-2-356-87053-7
EAN : 9782356870537
Nb. de pages : 190 pages

Prix éditeur : 20,00€

Pourquoi avons-nous tant de mal avec ce qui nous dégoûte ? Pourquoi tournons-nous la tête à la vue d'une réalité non ordonnée, grouillante ou sanguinolente ? Pourquoi nos restes organiques sont-ils vécus comme de répugnants déchets ? Serrements de gorge et nausée escortent la montée d'un puissant signal de rejet, détournant l'esprit d'un champ tour à tour purulent, visqueux, puant.
Pourtant comme le goût le dégoût s'éduque, l'insupportable varie et se déplace, mais pour désigner au coeur de la réalité la plus familière une part maudite, dévalorisée et teintée d'une obscure fascination, que nous apprivoisons par l'ignorance. A travers la sensation de l'immonde le dégoût affecte donc insidieusement les contours du monde, traçant le seuil d'arrière-cours sans fonds, exclues de l'ordonnancement des apparences.
S'intéresser au dégoût, c'est alors, paradoxalement, contribuer à agrandir les frontières de l'humain.

Sommaire:
LE SCANDALE LOGIQUE DE L'AMBIVALENCE

La saveur d'une poire fangeuse : dégoûts amers et dégoûts sucrés
L'érotique du dégoût
La Belle est la Bête

L'IMMONDE ET LE MONDE

Du reste au déchet
Anomalies

LE PROPRE ET L'INAPPROPRIABLE

L'intrus
L'impropre

LE SPECTACLE DE L'IMMONDE

L'interdit esthétique
L'effet de réel
Le littéral

L'auteur:
Agrégée de philosophie, critique d'art, Julia Peker est doctorante à l'Université Bordeaux III.


Dans Libération du 25/2/10, on pouvait lire cet article:
Dégoût et des couleurs

Le rejet de «l'immonde» sur le terrain de la philosophie

Par ROBERT MAGGIORI

L'envie est de vomir - mais ces koro sont des friandises pour les Indiens du Parana qui vous accueillent : des «larves pâles qui pullulent dans certains troncs d'arbre pourrissants». Il faut donc y aller… Et Claude Lévi-Strauss - il le raconte dans Tristes tropiques - y va de sa bouchée : initiation de l'ethnologue. Curieuse frontière que celle qui passe entre goûts et dégoûts. Ici elle est culturelle, et sans doute les Indiens trouveraient-ils répugnant qu'on se délecte de grenouilles ou de boudin. Mais au sein d'une même culture, elle est incertaine : à quoi tient que l'amateur d'escargots ne mange guère de limaces ? Aussi en vient-on à la dire naturelle : chairs décomposées, vomissures, puanteurs, excréments et excrétions provoquent comme une protestation innée ou «préprogrammée» du corps.
Mais là encore les choses ne sont pas claires : tes yeux, mon amour, secrètent les larmes, mais on les essuie plus facilement que la morve verdâtre que secrète ton nez. Plus : ce qui, par nature ou culture, suscite répugnance, excite aussi désir et appétence. L'ethnologie, la physiologie, la psychanalyse ou l'histoire des mentalités ont beau faire feu de tout bois, le mystère demeure : pourquoi «ça nous dégoûte» ? Quelle raison et quelle fonction a le dégoût ?

Dans Cet obscur objet du dégoût, Julia Peker apporte des réponses très éclairantes, en ce qu'elle déplace la question vers la philosophie, qui jusqu'ici n'en avait pas dénoué tous les enchevêtrements conceptuels, laissant ainsi flotter l'idée que l'écœurement impose silence à la raison. Certes, parler des «effets ontologiques et subjectifs» de la «puanteur de la merde» peut paraître osé. Mais le propos se révèle pertinent dès qu'on l'inscrit dans la thèse que défend la jeune philosophe et critique d'art, à savoir qu'«à travers la sensation de l'immonde le dégoût affecte insidieusement les contours du monde, et semble jouer un rôle décisif dans la détermination de ce qui fait monde».

Pour «tenter de voir clair en ces bas-fonds», Julia Peker passe par l'analyse de l'hygiénisme, de l'étrange collusion qui lie attraction et répulsion, des amalgames entre propreté et propriété, saleté et altérité, des services que l'excrémentiel rend au langage quand celui veut blesser ou déshumaniser («petite merde, vermine, ordure…»), des interdits esthétiques qui pèsent sur le laid. Puis elle arrive à trouver dans la nausée une sorte de «leçon». Le dégoût, «en circonscrivant un pan du réel, en se collant à quelques étiquettes d'objets stigmatisés», joue, dit-elle, «un rôle répulsif stratégique». L'existence de «ce hors-champ immonde atteste par sa puanteur et son grouillement que nous ne maîtrisons pas tout, il signale l'existence d'excrétions, d'exceptions de toutes sortes qui sont en excès sur l'ordre qui les produit». Si bien qu'à vouloir du monde exclure l'immonde - toujours le fait des autres - on le clôt, on extirpe sa part maudite «pour que puisse briller la blancheur éclatante d'un monde parfait, où se répand le parfum aseptisé de la sainteté». A le faire paradoxalement agir comme un «principe éthique», on maintient au contraire actives les lignes de faille - celles qui laissent ouverte «la différence subtile entre identité et intégrité».







Les médecins du travail craignent d'être placés sous la tutelle des patrons

16.09.10

En gestation depuis au moins deux ans, la réforme de la médecine du travail voit finalement le jour à la faveur du projet de loi sur les retraites. Durant l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, le gouvernement et des députés de la majorité ont défendu, mardi 14 septembre, plusieurs amendements qui changent les règles de fonctionnement des services de santé dans le monde de l'entreprise.

Pour les acteurs concernés et les élus de gauche, ces dispositions, présentées "en catimini", sont inacceptables, notamment parce qu'elles placent les médecins du travail sous la coupe des patrons. "Il ne s'agit pas seulement d'un coup bas social, mais d'un véritable meurtre", s'est exclamé Patrick Roy, député (PS) du Nord.

Dans le secteur industriel et commercial, environ 6 500 médecins et plus de 10 000 professionnels "non médicaux" suivent un peu plus de 15 millions de salariés, d'après un avis du Conseil économique et social présenté en 2008 par Christian Dellacherie. Quelque 950 structures interviennent, au sein même des entreprises ou à l'extérieur (grâce aux "services interentreprises").

Malgré une série de réformes depuis la fin des années 1990, le dispositif est en butte à de nombreuses difficultés. "Trois quarts des médecins du travail sont âgés de plus de 50 ans et 1 700 départs en retraite sont prévus dans les cinq années à venir", écrivait M. Dellacherie dans son rapport. L'efficacité du système est aussi mise en doute compte tenu de la forte augmentation des maladies professionnelles. De plus, les responsabilités sont éparpillées et le financement est jugé opaque.

Depuis 2008, le gouvernement discute avec les partenaires sociaux et les différents intervenants du secteur pour résoudre ces problèmes. Aucun consensus n'a été trouvé. Au printemps, 1 100 "médecins, inspecteurs, contrôleurs du travail et acteurs de santé au travail" ont lancé un appel qui critique les orientations affichées par Xavier Darcos puis par Eric Woerth, les ministres successivement chargés du dossier.

Le gouvernement et des députés de la majorité ont néanmoins décidé de passer à l'acte en introduisant plusieurs amendements dans le projet de loi sur les retraites. L'initiative a froissé les professionnels du secteur - ainsi que la gauche -, car ils s'attendaient à un texte spécifique consacré à la médecine du travail. Mais pour M. Woerth, la réforme du système de santé dans le monde de l'entreprise est intimement liée à "la question de la pénibilité" - un sujet clé dans les débats sur les régimes de pensions.

Parmi les mesures, très techniques, présentées par le gouvernement, il en est une qui a déclenché une vive polémique : elle prévoyait à l'origine que les missions des médecins du travail soient exercées "sous l'autorité de l'employeur". Une disposition perçue comme une remise en question de l'indépendance des professionnels de santé. On donne "les clés du poulailler au renard", ont dénoncé l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). Le Nouveau Centre a défendu un sous-amendement pour corriger le tir : il précise que les services sont "en lien avec l'employeur" - et non plus sous ses ordres.

Bien que l'exécutif ait accepté de revoir sa copie sur ce point, l'inquiétude reste entière. Le Syndicat national des professionnels de la santé au travail déplore notamment que le texte prévoie la possibilité d'un suivi médical de certaines catégories de salariés "par des médecins non spécialisés en médecine du travail". Pour François Desriaux, représentant de l'Andeva, "il aurait fallu une réforme beaucoup plus ambitieuse, distinguant bien l'évaluation des risques, qui doit être indépendante, de la gestion des risques" qui, elle, relève de l'employeur.



"On revient à la médecine du travail instituée par Pétain"
Bernard Salengro, médecin du travail et secrétaire national de la CFE-CGC
17.09.10

Pourquoi le fonctionnement de la médecine du travail a-t-il été amendé au milieu d'un texte sur la réforme des retraites ? En aviez-vous été informé ?

Bernard Salengro : Non. On nous avait annoncé une réforme, mais qui viendrait après la réforme des retraites, qui serait publique, annoncée. Alors qu'on a eu un amendement glissé en dernière minute, en catimini, comme si on avait honte de la zizanie qu'on faisait.

L'amendement est essentiellement l'amendement 730, déposé par le gouvernement, qui transforme le service de santé au travail, qui était un service protecteur des salariés, en un service protecteur des entreprises.

Comment en est-on arrivé à cette dérive ?

De façon tout à fait logique. Parce que c'est ce que les employeurs demandent depuis toujours.
Reprenez les éditoriaux du Dr Georges Clemenceau, l'homme politique qui était médecin du travail, dans L'Aurore, en 1906. Il disait déjà, pour défendre la reconnaissance de la maladie du plomb : les médecins du travail sont considérés comme des gêneurs par les employeurs.

Et il y a toujours eu la pression des salariés pour que les médecins du travail les protègent – c'est ce qui s'est passé en 1946 – et la pression des entreprises pour que les médecins du travail les aident à rentabiliser le système.

La tentative du Medef sur les députés UMP et sur Eric Woerth, le ministre du travail, a réussi, puisqu'ils présentent textuellement la demande du Medef qui avait été présentée il y a deux ans aux organisations syndicales et que toutes avaient refusée à l'unanimité.
C'est aussi simple que de dire : on va organiser la lutte antidrogue en la confiant aux dealers. Ce n'est pas possible, ça ne marche pas.

Quel est le danger véritable de cette réforme pour les salariés ?

C'est qu'au lieu d'avoir un système de protection, ils vont avoir un système de manipulation. Et sous couvert d'un affichage sympathique, la santé au travail, on va avoir des professionnels pour lesquels on pourra se poser des questions de confiance, d'indépendance, de confidentialité, et de réalité de leur aide.

C'est tellement facile de dire à une personne qui a une surdité que c'est dû au fait qu'elle va trop en boîte de nuit, ou à une personne atteinte d'un cancer du poumon que c'est dû au fait qu'elle fume trop et non pas à l'amiante qu'elle a manipulé toute sa vie.

Quels sont les moyens dont disposent les médecins du travail pour se protéger d'éventuelles pressions des employeurs ?

Aujourd'hui, le médecin du travail, pour être indépendant, a plusieurs cordes à son arc. L'indépendance, ce n'est pas l'absence de pressions, c'est plus l'équilibre des pressions. Dans l'entreprise, l'équilibre des pressions, c'est l'équilibre entre les pressions des employeurs et celles des salariés. C'est pourquoi l'indépendance des médecins du travail est facilitée lorsque la représentation des salariés est organisée et facilitée.

Par ailleurs, le médecin du travail est un salarié protégé, que l'on ne peut licencier qu'avec l'accord d'une représentation des salariés à la Commission de contrôle des services ou le comité d'entreprise, avec l'accord de l'inspecteur du travail, et celui du médecin inspecteur du travail. C'est dire s'il est protégé.

Vous n'exagérez pas un peu en prétendant que la protection des salariés est remplacée par la sécurité des employeurs ?

Je ne pense pas exagérer. Le système de médecine dans les usines existe depuis longtemps. C'était une médecine sous l'autorité de l'employeur, chargée d'optimiser le matériel humain par la sélection, par l'entretien. C'est la médecine du travail avec sélection génétique instituée par Pétain.

A la Libération, on a repris les outils et les hommes en leur donnant un objectif opposé – cela a été voté à l'unanimité des députés : éviter toute altération de la santé du fait du travail.

Avec cet amendement, on retourne vers le système de Pétain, car les médecins du travail avaient une indépendance garantie par la loi, protégés contre le licenciement par l'inspecteur du travail, et bénéficiant d'un agrément renouvelé tous les cinq ans par l'autorité des services déconcentrés du ministère.

Tout cela saute au profit d'une mention indiquant que c'est sous l'autorité de l'employeur. On imagine que la direction du poulailler par le renard n'est pas une grande garantie...

Quelle est la position de l'Ordre des médecins sur cette question ?


La position de l'Ordre des médecins, que j'ai sollicité il y a dix jours, quand l'amendement est sorti, a été de reprendre sa déclaration de juin dans laquelle il dit son opposition avec la loi qui vient d'être votée.

Si vous regardez le site du Conseil national de l'ordre des médecins, à la date du 16 septembre, il y a un texte qui dit que l'Assemblée nationale a voté une importante réforme de la santé au travail, le texte ne répond pas aux attentes des salariés, ni aux nécessités de l'exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique.

Le médecin du travail doit être le coordonnateur de l'équipe de santé pluridisciplinaire. Et l'intervention de médecins non spécialisés en médecine du travail doit se faire au sein du service de santé au travail, sans être déconnectée de la connaissance du milieu de travail et des postes de travail.

Ils disent qu'ils s'étonnent de l'absence de toute concertation, ce qu'ils regrettent vivement, alors qu'ils demandent depuis six mois à être reçus par le ministère. Dans ces conditions, ils ne peuvent qu'émettre une vive protestation.

De quels moyens disposent les professionnels et les syndicats pour s'opposer à cette évolution de la médecine du travail ? On en parle peu.

Le fait qu'on en parle peu, c'est ce que voulait Eric Woerth en glissant cet amendement dans le grand brouhaha de la retraite.

Heureusement, des syndicalistes et la CFE-CGC ont repéré cet amendement et ils ont tiré la sonnette d'alarme pour que petit à petit la population s'aperçoive de la rouerie qu'est ce cavalier législatif. Car c'est une loi cachée derrière une autre loi.

C'est normalement illégal et anticonstitutionnel. Mais on n'est plus à ça près...

Quelles mesures doivent prendre les médecins du travail pour s'opposer à un tel amendement ?

Les médecins du travail se mobilisent pour avertir les députés, les sénateurs et l'opinion publique. Mais au bout du compte, si la loi est votée, elle sera appliquée. C'est dire le danger de la situation actuelle.

Car les médecins du travail feront ce que la loi dit. Ce n'est pas tellement un problème de médecins du travail, c'est surtout un problème du système de protection des salariés.

Et c'est là où c'est dommage – mais c'est voulu – qu'ils n'aient pas conscience de ce qui se passe.

La médecine du travail peut-elle être accusée de connivence avec les syndicats ?

Non. En revanche, elle fonctionne avec les syndicats et les employeurs. Et le texte que cette loi a bouleversé dit que le médecin du travail est le conseiller de l'employeur, des salariés et de leurs représentants.

Et si vous demandez à un salarié, il aura tendance à dire qu'il est avec l'employeur, et celui-ci dira qu'il est avec les salariés.

Que peut faire un médecin du travail lorsqu'il y a harcèlement moral des salariés vis à vis d'un cadre ?

Dans ce cas, comme lorsqu'il y a harcèlement moral, le médecin du travail doit d'abord écouter et se faire une opinion. Au-delà, en présupposant que c'est confirmé, il peut agir en interpellant l'employeur et en lui rappelant qu'il a une obligation de sécurité et une obligation de prévention du harcèlement moral.

Je peux vous dire que lorsque c'est écrit, je connais peu d'employeurs qui ne répondent pas, car le risque pour eux est de se faire interpeller au pénal pour mise en danger délibérée d'autrui. Et les juges sont particulièrement sévères quand l'origine de l'information vient d'un expert médicolégal qu'est le médecin du travail.

Pourquoi n'y a-t-il pas de médecine du travail à l'éducation nationale ?

Parce que l'État est un mauvais employeur ! Alors que l'on sait que l'éducation nationale a besoin de suivi médical, d'ergonomie psychique, affective et cognitive. Le nombre de dépressions dans l'éducation nationale est impressionnant.

S'agissant du dossier médical personnalisé (DMP), comprenez-vous que les patients craignent de voir les médecins du travail y accéder ?

Oui, parce que les médecins du travail connaissent mal les contraintes du secret médical sur tous les médecins, y compris les médecins du travail.

Le secret médical s'impose aux médecins du travail comme aux autres médecins. C'est une disposition qui relève du code pénal.

Le médecin du travail perd de l'efficacité par le manque de coordination avec le médecin traitant. Il a lui-même son dossier pour le salarié au niveau santé au travail et ses dossiers sont en avance au point de vue qualité informatique sur le DMP. Il regrette qu'il ne puisse transmettre les informations qu'il a au médecin traitant, pour par exemple lui signaler que tel salarié est exposé à l'amiante et doit surveiller à sa retraite le risque de survenue de cancer dû à l'amiante. C'est là que l'accès au DMP serait intéressant pour une meilleure efficacité au profit du salarié.

Mais M. Douste-Blazy – ancien ministre de la santé – a montré une inculture médicale patente dans ce domaine.

Un médecin du travail peut-il intervenir lorsqu'il y a harcèlement d'un employé dans une entreprise de moins de 11 salaries ?

Bien sûr. Il est saisi par la personne harcelée, ou par ses collègues. Il fait le diagnostic de la situation et de la personne, et fait un courrier à l'employeur en lui demandant de changer la situation relationnelle. Bien sûr, il faut s'en assurer et se méfier des manipulations.

Tout cela relève du registre du médecin du travail, l'objectif étant d'éviter l'altération de la santé au travail. Éviter est une démarche proactive, ce n'est pas constater ou déplorer, c'est éviter. C'est pour cela que M. Woerth le retire.

Lors de ma dernière visite médicale à la médecine du travail, je n'ai été vue que par une infirmière qui a signé mon certificat d'aptitude. Est-ce une pratique légale ? Cela est-il dû à la pénurie de médecins du travail ?

Ce n'est pas une pratique légale. Cela le sera peut-être demain, mais pas aujourd'hui. La pénurie des médecins est organisée et virtuelle. Je m'explique. Selon les chiffres du ministère, il n'y a pas un médecin du travail sur deux qui est à temps plein.

Si tous les médecins du travail étaient à temps plein, il faudrait en licencier 30%. Cependant, il y a un problème dans les années qui viennent qui est inévitable par des contraintes universitaires sans rapport avec l'intérêt du métier, de la prestation et de la société.

Une infirmière est comme un "Canada Dry" : avec toute la gentillesse et la compétence qu'elle peut avoir, elle n'est pas formée au diagnostic. C'est donc tromper les patients que de leur faire passer une visite avec une infirmière. Une infirmière peut aider un médecin, elle ne peut pas le remplacer.

C'est une organisation mise en place surtout par les directeurs de service de santé au travail, qui ont peur de ne pas recevoir la cotisation des entreprises et qui du coup auraient des problèmes financiers.

Il y a eu une enquête faite, il y a deux ou trois ans, par Le Canard enchaîné qui a montré que, dans 66 départements, les services de santé au travail avaient la même adresse que le Medef, et que la bonne connaissance de ces circuits montre qu'il y a souvent des arrangements de location, de prêts de matériel et de personnels qui expliquent bien des choses, et la nécessité de conserver la cotisation des entreprises.

Peut-on craindre, dans un prochain avenir, une disparition totale de la médecine du travail ?

Je crois qu'on peut le craindre, effectivement, et un habillage "Canada Dry" de santé au travail par des techniciens divers et variés à la solde des employeurs.

L'important, quand quelqu'un a la fièvre, c'est de casser le thermomètre. Là, c'est ce qu'on fait.

C'est dire l'importance de cet amendement et la gravité de cette manipulation que représente ce cavalier législatif, qui entraîne une perte de liberté et de protection des salariés. Et j'espère que les députés sauront interpeller le Conseil constitutionnel pour cette loi glissée derrière une autre loi, sans aucun rapport avec celle-ci, et pour un sujet aussi grave.





Société
08/09/2010

Le bracelet électronique en débat

Mesure phare de la loi sur la sécurité intérieure, son port serait obligatoire aux récidivistes.

Par THOMAS HOFNUNG

Un télescopage en bonne et due forme. L’annonce, hier, de la découverte du corps de la joggeuse disparue dans une forêt du Nord est intervenue alors que le Sénat entamait l’examen de la loi de programmation sur la sécurité intérieure (dite «Loppsi 2»). Celle-ci inclut, comme le souhaitait Nicolas Sarkozy, l’instauration du port du bracelet électronique pour les récidivistes après la fin de leur peine.

Contrôle. L’homme qui a reconnu avoir violé et tué la jeune femme avait été placé en préventive en mai 2004, avant d’être condamné en 2006 à dix ans de prison pour un viol sous la menace d’une arme dans les Hauts-de-Seine (lire ci-contre). Libérable dès 2012 par le jeu de réduction des peines, il a par ailleurs bénéficié d’une libération conditionnelle, possible à mi-peine.

Ce fait divers ressemble à s’y méprendre à celui qui s’était produit il y a un an près de Milly-la-Forêt. Marie-Christine Hodeau, une joggeuse de 42 ans, avait été retrouvée morte dans une forêt. Son meurtrier, condamné en 2002 à onze ans de réclusion criminelle pour le viol et l’enlèvement d’une adolescente de 13 ans, avait bénéficié en 2007 d’une libération conditionnelle assortie de strictes mesures de contrôle. Il s’était pourtant réinstallé dans la commune des parents de sa première victime.

Aussitôt, la polémique avait enflé sur le prétendu «laxisme» des juges, mais aussi sur la nécessité de renforcer l’application de la «castration chimique». Nicolas Sarkozy avait reçu la famille de la victime et promis de renforcer la lutte contre la récidive - une loi sur le sujet était d’ailleurs discutée au même moment au Parlement.

Hier, lors d’un petit-déjeuner à l’Elysée avec des responsables de la majorité, Sarkozy a indiqué qu’il «ne reculera pas» et qu’il mettra en œuvre les mesures annoncées le 30 juillet à Grenoble. Le Président avait souhaité que «les magistrats puissent condamner automatiquement les multirécidivistes au port du bracelet électronique pendant quelques années après l’exécution de leur peine».

«Escalade». Cette mesure pourrait-elle éviter les drames causés par des récidivistes ? La loi sur la surveillance et la rétention de sûreté, votée en 2008, permet déjà de contraindre à porter le bracelet au terme de la peine dans des cas exceptionnels, comme le rappelle Laurent Bedouet, de l’Union syndicale des magistrats. «C’est une telle escalade législative que des textes ne sont jamais appliqués : au moment où ils le devraient, d’autres plus sévères sont en fait votés…» La Loppsi 2 étendra sans doute la possibilité d’imposer le bracelet après la fin de la peine. «Mais il ne faut pas laisser croire que le bracelet est la panacée, poursuit Laurent Bedouet. Les psychiatres expliquent bien que, s’il convient à certains détenus, il n’est pas adapté à d’autres qui, s’ils sont saisis d’une pulsion irrépressible, tueront malgré tout. Le bracelet permettra seulement de les localiser et de les arrêter plus vite.»

La Loppsi inclut par ailleurs deux amendements : l’extension des peines plancher pour les violences aggravées et l’instauration d’une peine de prison incompressible de trente ans pour les assassins de policiers ou de gendarmes. Hier, devant les députés, Brice Hortefeux a assuré que la Loppsi 2 serait le seul texte sur la sécurité présenté aux parlementaires durant le quinquennat.




Le mode d’action des IRS dévoilé par des Français

Comment agissent les antidépresseurs tels que ceux de la famille des IRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, comme le Prozac) ? Des travaux de chercheurs de l’Université Paris-Descartes apportent un nouvel éclairage. Odile Kellermann (INSERM U 747) et Jean-Marie Delaunay (INSERM U 942) ont montré in vitro puis in vivo une chaîne de réactions déclenchée par les IRS.

Ils ont identifié le rôle clé d’un micro-ARN nommé miR-16, qui contrôle la synthèse du SERT, le transporteur de la sérotonine. Normalement, SERT est présent dans les neurones à sérotonine. Son expression est réduite au silence par miR-16 dans les neurones à noradrénaline.

En réponse à la fluoxétine, les neurones à sérotonine libèrent une molécule-signal qui fait chuter le taux de miR-16, ce qui déverrouille l’expression du transporteur de la sérotonine dans les neurones à sérotonine mais aussi dans ceux à noradrénaline.

Ces derniers deviennent ainsi sensibles à la fluoxétine. Et ils deviennent mixtes, produisant à la fois de la noradrénaline et de la sérotonine. In fine, la quantité de sérotonine libérée est accrue à la fois au niveau des neurones à sérotonine et des neurones à noradrénaline.

Ainsi, « ces travaux dévoilent pour la première fois que les antidépresseurs sont capables d’activer une nouvelle source de sérotonine dans le cerveau », indiquent les chercheurs.

› Dr BÉ. V.

« Science », 17 septembre 2010, vol. 329, n° 5998.
Quotimed.com, le 17/09/2010



L'alcoolisme, on peut le soigner
16.09.10

Jacqueline, 46 ans, est hospitalisée depuis le 24 août à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Elle a fait une rechute après deux ans d'abstinence à l'alcool. Jacqueline (qui souhaite garder l'anonymat) prenait régulièrement du topiramate (un antiépileptique connu sous le nom d'Epitomax) mais l'a arrêté cet été, parce qu'elle passait, dit-elle, de "très bonnes vacances" en Espagne avec sa fille de 11 ans, qui ne vit pas avec elle. "Je n'aurais pas dû", concède-t-elle.

Lorsqu'elle rentre seule, dans son petit appartement, à Paris, elle ne peut "plus supporter ça". Prise de bouffées d'angoisse, elle court acheter vodka, gin... et avale trois litres d'alcool pur. Elle rappelle alors le médecin de l'hôpital Paul-Brousse - où elle avait été suivie durant trois semaines, en 2008 -, qui l'hospitalise aussitôt. Jacqueline, qui vient de reprendre son travail d'infirmière, est bien décidée à s'en sortir.

Le topiramate, avec lequel est traitée Jacqueline, est l'une des nouvelles réponses thérapeutiques présentées lors du 15e congrès mondial sur la recherche en alcoologie, l'Isbra, qui s'est achevé jeudi 16 septembre à Paris. L'objectif est à chaque fois de donner le médicament le plus adapté au patient. Avec le topiramate, Jacqueline dit ne pas ressentir d'effets secondaires.

Longtemps retardée par le peu d'intérêt que lui portait l'industrie pharmaceutique, la recherche thérapeutique explore désormais de nombreuses pistes. De nouvelles molécules, tel le nalmefene - qui agit sur le cerveau -, sont testées. L'objectif n'étant pas dans ce cas l'abstinence mais la "consommation contrôlée", ce qui suscite beaucoup de questions. Autres pistes prometteuses, le recours à la génétique et aux neurosciences. Par ailleurs, les médecins constatent que des médicaments conçus pour traiter des addictions, comme le tabac ou le cannabis, sont aussi efficaces contre l'alcool. Ce dernier reste la substance psycho-active la plus consommée en France, même si les spécialistes notent une diminution. C'est l'addiction qui provoque le plus de dommages somatiques, psychiatriques et sociaux.

L'image de l'alcool commence doucement à changer dans l'opinion publique. "Avant, c'était un fléau social qui n'intéressait pas les médecins. Depuis une dizaine d'années, c'est devenu une addiction. Il y a eu une modification de la représentation sociale au début des années 2000", précise le professeur Michel Reynaud, président du comité d'organisation de l'Isbra et chef du département de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse.

Le corps médical insiste pour parler de maladie alcoolique et sur le fait que cela touche toutes les catégories sociales. "Ce n'est ni un vice, ni une tare, ni un manque de volonté", insistent les médecins. La France a toujours un problème avec l'alcool : "Le fait de ne pas boire n'est pas normal, souvent mal vu", estime le professeur Michel Lejoyeux, chef de service d'addictologie et de psychiatrie à l'hôpital Bichat, à Paris, président de la Société française d'alcoologie (SFA).

"De l'autodestruction"

"C'est comme un bug en informatique. Votre cerveau est programmé pour s'alcooliser : je bois, même si je n'en ai pas envie, raconte Gilles, 47 ans, soigné à l'hôpital Bichat pour la huitième fois. J'ai pris conscience en 2007 que ce n'était pas ma vie. J'étais à la rue, dès qu'on avait un peu d'argent, on allait boire, c'était de l'autodestruction." Gilles a certes rechuté, mais il reconnaît avoir fait beaucoup de progrès depuis qu'il est arrivé dans le service.

"On réagit tous différemment par rapport à l'alcool, note le docteur Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse. Outre les facteurs biologiques, la part génétique est très importante. Cette influence multi-génétique interagit avec les facteurs environnementaux tels que le stress, le deuil, des traumatismes de l'enfance."

Bien souvent, "l'alcool est un symptôme, la partie émergée de l'iceberg", témoigne Jacqueline. D'où la nécessité d'une approche médicale, psychologique et sociale. "On travaille beaucoup sur l'après-hospitalisation, en donnant toujours au patient la possibilité de revenir, même s'il rechute une demi-heure après sa sortie", précise Djilali Belghaouti, responsable de l'organisation des soins au service d'addictologie de l'hôpital Bichat.

C'est le cas de Joana, 59 ans, qui a rechuté malgré un séjour en clinique. Aujourd'hui soignée à Bichat, elle devrait quitter l'hôpital dans les prochains jours. "Je veux exclure l'alcool de ma vie. Mais c'est parfois difficile de refuser un verre, parfois mal vu", dit-elle. Pour le professeur Lejoyeux, "quand un patient pousse la porte de consultation en alcoologie, la moitié du chemin est faite".

Sur le Web : Sfalcoologie.asso.fr et
Anpaa.asso.fr.


Bientôt un essai clinique du baclofène

Depuis la parution du livre du docteur Olivier Ameisen, Le Dernier Verre (Editions Denoël, 2008), le baclofène, vieux médicament (Le Monde du 12 novembre 2008), est de plus en plus utilisé pour soigner les personnes souffrant de maladie alcoolique. Bien que ne bénéficiant pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le sevrage alcoolique, ce relaxant musculaire suscite l'intérêt des patients et des médecins. Un essai clinique soutenu par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) va être lancé dans les semaines à venir, indique le professeur Michel Detilleux, responsable de l'unité d'alcoologie de l'hôpital Cochin et coordinateur de l'essai.

L'essai thérapeutique va impliquer 210 patients alcoolo-dépendants, en plaçant 105 des participants sous traitement et 105 sous placebo, avec une posologie de 90 mg par jour. Les premiers résultats devraient être connus d'ici dix-huit mois, selon le spécialiste. Pour répondre à certaines critiques montrant que la posologie était trop faible, la dose pourrait être augmentée chez certains patients. Mais, pour la plupart des addictologues, aucun médicament ne règle à lui seul la prise en charge de la dépendance.


La consommation en France et ses conséquences

Décès. 45 000 décès sont attribuables à l'alcool chaque année. C'est la troisième cause de mortalité, après les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Il est responsable de 30 % des accidents mortels (2 200 décès par an) ; il est impliqué dans 40 % des crimes et délits et dans 30 % des violences conjugales.

Consommation
. Elle était de 12,3 litres d'alcool par adulte et par an en 2008 (l'équivalent d'un peu moins de trois verres de vin, par jour et par habitant de 15 ans et plus). Elle diminue de 1 % par an, depuis quarante ans. La France reste au 5e rang européen.

Dépendance
. 10 % des adultes (de 4 à 4,5 millions) ont un rapport problématique à l'alcool, soit 15 % d'hommes et 5 % de femmes ; de 1,5 à 2 millions sont alcoolo-dépendants. Chez les adolescents, entre 2000 et 2010, l'usage régulier est passé de 10,9 % à 8,9 %. Mais les expérimentations et les ivresses occasionnelles augmentent depuis 2003.

Sources : Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie ; Société française d'alcoologie.





Un virus présent dans le syndrome de fatigue chronique

Une étude réalisée par une équipe de Harvard aux États-Unis (Shyh-Ching Lo et coll.) trouve une forte association entre un diagnostic de syndrome de fatigue chronique (SFC) et la présence de séquences de gènes de virus MLV-like.


CE RÉSULTAT confirme la publication antérieure de l’équipe de Lombardi et coll. qui avait détecté la présence d’un virus XMRV, proche de MLV (« Science », octobre 2009). Toutefois, « bien que l’association soit statistiquement forte, elle ne prouve pas que ces rétrovirus sont à l’origine de SFC », exprime Shyh-Ching. L’étude montre aussi que les séquences virales MLV-like sont présentes chez une petite fraction de sujets sains (donneurs de sang).

Le virus MLV (Murine Leukemia Virus) est un type de rétrovirus connu pour causer des cancers chez la souris. Dans cette dernière étude, des séquences de gènes gag ont été identifiées dans des échantillons sanguins de 32 patients parmi 37 souffrant d’un SFC (87 %), et chez 3 donneurs de sang en bonne santé parmi 44 (7 %).

Ces proportions sont voisines de celles publiées en 2009 par Lombardi. Le résultat reste controversé car d’autres travaux réalisés aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas n’ont pas montré une présence significative de virus XMRV ou MLV-like dans le sang de patients présentant un SFC.

Pour sa part, le XMRV (Xenotropic Murine Leukemia Virus-related virus) a été découvert pour la première fois en 2006 chez des patients souffrant de cancer de la prostate. On sait que XMRV est étroitement apparenté au groupe des MLV.

Au Center for Disease Control américain, on se pose la question d’une transmission de ces virus via les dons de sang. L’éventualité de cette transmission ne peut être exclue, même si elle paraît peu probable et même si elle n’a jamais été identifiée. Une étude est en cours aux États-Unis pour déterminer la prévalence des XMRV et des MLV dans le sang des donneurs, indiquent les experts.

Par ailleurs, le schéma d’apparition des cas de SFC est loin de celui d’une maladie contagieuse, même si la survenue de la maladie est un peu plus fréquente chez les personnes apparentées à un cas index.

› Dr BÉATRICE VUAILLE
« Proceedings of the National Academy of Science », 23 août 2010.
Quotimed.com, le 24/08/2010



NEUROLOGIE
Des spécialistes du cerveau alertent sur l'urgence à relancer la recherche
Anne Jeanblanc
16/09/2010

Le cerveau manque de têtes chercheuses ! C'est ce qu'estiment la Société des neurosciences, la Société française de neurologie et la Fédération pour la recherche sur le cerveau qui organisent, jeudi, au Collège de France à Paris, un colloque baptisé "Priorité cerveau". Leur objectif est de relancer l'idée d'un "plan cerveau" pour la prise en charge de l'ensemble des maladies neurologiques et psychiatriques. "Il faut renforcer la recherche fondamentale en lien avec les neurologues et les psychiatres, afin de mieux comprendre le cerveau pour pouvoir le réparer", estime le neurobiologiste Étienne Hirsch, de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière à Paris.

Actuellement, les spécialistes estiment qu'en Europe, 127 millions de patients sont touchés par une ou plusieurs maladies du cerveau, dont environ 15 millions en France. En Europe toujours, 35 % des dépenses de santé sont liées à ces pathologies et, rien qu'en France, les coûts induits par les maladies mentales et neurologiques atteignent les 40 milliards d'euros par an. "Et pourtant, les investissements pour la recherche dans les affections du système nerveux ne s'élèvent qu'à 4 milliards d'euros pour l'ensemble de l'Europe", regrette le Pr Olivier Lyon-Caen, de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Les deux tiers de ces dépenses sont attribués aux troubles psychiatriques. La recherche en psychiatrie dispose de moins de 2 % du budget global de la recherche en France, alors que les maladies mentales touchent 18 % de la population.

Coordonner toutes les actions existantes
À l'occasion du colloque "Priorité cerveau", les spécialistes vont présenter un ouvrage portant le même titre*, qui établit un état des lieux de la recherche et qui expose les dix priorités sur lesquelles devrait être fondé le "plan cerveau". Parmi elles, les neurologues "exigent une ligne de financement propre pour la recherche sur le cerveau qui pourrait émaner d'une fondation dédiée". Ils souhaitent une réorganisation de la recherche, afin de "la rationaliser, la coordonner et lui donner une plus grande lisibilité nationale et internationale". À l'image de l'Institut national du cancer (INCa), ils proposent la création d'un "grand institut national sur le cerveau et ses maladies avec un réel plan cerveau fédérant les nombreuses actions existant déjà, mais non coordonnées (plan Alzheimer, AVC, autisme, etc.), et associant tous les acteurs de la recherche et de la société".

Parmi les autres priorités, ils placent en tête de la liste le renforcement de la recherche fondamentale sur la connaissance du développement, du vieillissement et de la physiologie du cerveau, puis le renforcement du caractère pluridisciplinaire de la recherche en neurosciences, avec la chimie, les nanotechnologies, les mathématiques et les sciences humaines et sociales. De plus, ils suggèrent de créer des centres de recherche "translationnelle" entre la recherche fondamentale, la neurologie et la psychiatrie. "Il suffirait de dix à quinze centres en France, situés idéalement dans les grandes structures hospitalo-universitaires", selon le Pr Lyon-Caen. Enfin, pour faciliter l'accès aux données et donc rendre la recherche plus efficace, les neurologues demandent la création de centres de gestion, de stockage et d'analyse des données cliniques, d'imagerie et biologiques pour les maladies neurologiques et psychiatriques.

* Ouvrage collectif sous la direction du Pr Olivier Lyon-Caen et d'Étienne Hirsch, éditions Odile Jacob, 432 pages, 29 euros.




La conscience de soi se trouve juste derrière les yeux

16.09.10

Une région particulière du cerveau, située juste derrière les yeux, paraît être plus développée chez des personnes ayant une plus grande capacité d'introspection, selon des travaux britanniques publiés jeudi aux États-Unis.

Ces chercheurs sont parvenus à cette conclusion après avoir soumis un groupe de trente-deux personnes en bonne santé à un test destiné à évaluer leur degré de confiance dans leurs réponses à des questions. Ils ont ensuite examiné le cerveau des participants à l'aide d'un système d'imagerie par résonance magnétique (IRM).


UN INDICATEUR DE LA CAPACITÉ À RÉFLÉCHIR SUR SOI-MÊME


Les auteurs de la recherche, conduite par le professeur Geraint Rees, de l'University College de Londres, ont conclu que le volume de matière grise dans la partie antérieure du lobe frontal du cerveau est un important indicateur de la capacité de réflexion sur elle-même de la personne.

Cette partie du cerveau est le siège de différentes fonctions cognitives supérieures comme celles du langage, de la mémoire de travail et du raisonnement. C'est également l'une des zones du cerveau qui ont subi le plus important développement au cours de l'évolution des primates jusqu'aux hominidés.

Dans l'avenir, cette découverte pourrait aider les neurologues à mieux comprendre comment certains traumatismes du cerveau affectent la capacité d'un individu à réfléchir sur ses propres pensées et actions, estiment les auteurs de l'étude, parue dans la revue américaine Science datée du 17 septembre. Une telle compréhension pourrait potentiellement aboutir au développement de thérapies ciblées pour des victimes d'attaque cérébrale ou ayant subi un important traumatisme du cerveau et qui ne peuvent de ce fait comprendre leur état.


Sous la cendre.
Figures de Cendrillon
Anthologie de Nicole Belmont et Élisabeth Lemire

Multiples Cendrillons

Établie par Élisabeth Lemire et Nicole Belmont, une des spécialistes du conte traditionnel, cette anthologie est une somme des différentes versions du conte de Cendrillon avec quelques unes de ses variantes (la chatte des cendres du sud de l’Europe, la vache des orphelins d’Europe centrale, la Noix du Québec, …). Tous les continents ont pratiqué l’art de cendrillonner, et tous avec un talent particulier.
L’époque moderne n’est pas en reste : l’ouvrage se clôt par une Cendrillon à la sauce utilitariste très drôle écrite par Dickens pour protester contre les adaptations et trahisons des contes. Il conclut à son pastiche : « Le Vicaire de Wakefield se montrait le plus sage quand il disait qu’il était lassé d’être toujours sage. Le monde est trop envahissant pour nous, tout au long de la vie. Ne touchons pas à ces précieuses et respectables échappées ». C’est dire si le volume est savamment construit pour se clore ainsi sur une demande de fixité et de respect de la fantaisie du conte.

Le mythe ou le thème de Cendrillon se construit ainsi de conte en conte, variant le personnage à l’infini. Ce livre est à lire comme on écoute les variations en musique, en se laissant porter par le thème, en souriant aux écarts, à l’accent propre. On y trouve quelques savoureuses transcriptions d’accents de nos provinces françaises, comme cette version du Poitou : « I aurait fait encore pyaisir d’aller à tchio bal aussi. A restait dans son p’tit coin, dans la cheminaï, auprès la cendre ». Versions courtes à la sobriété belle, versions longues à la complexité étonnante, il semble que le sujet soit infini. La marraine est tantôt animal, tantôt fée, ou mère défunte, ou Sainte Vierge. Les épreuves données à la malheureuse Cendrillon sont d’une grande ingéniosité maligne et les animaux qui lui viennent en aide sont charmants à souhait. L’équipage arrive de mille manières différentes (de la terre, du ciel, dans des noix et noisettes, fabriqué par des dindons…). La fin est parfois sanglante. Il arrive aussi que Cendrillon elle-même soit celle qui met à mort la mère pour que son père épouse la femme qu’elle lui a choisi.

La préface de Nicole Belmont nous laisse un peu sur notre faim en retraçant très rapidement le « cycle de Cendrillon » pour en reconstruire un historique possible : un prototype simple (« La Vache des orphelins ») qui serait issu du Moyen-Orient, qui se serait répandu aussi bien en Chine (première version écrite attestée du IXe siècle de notre ère) qu’en Europe, Amérique et Afrique. Cette diffusion s’accompagne de complexification en récupérant souvent d’autres récits types, ou en étant à l’origine d’autres contes, comme Peau d’âne. Finalement, Nicole Belmont suggère qu’autant qu’une évolution historique, on peut y lire « un itinéraire psychique, celui des filles face à leur mère ».

Les postfaces, l’une de Nicole Belmont l’autre d’Elisabeth Lemire, explorent la saveur et les traits distinctifs du conte ou du mythe, parfois dans ses prolongements psychanalytiques. A travers quelques thèmes comme celui des cendres, ou de la pantoufle ou touche à la racine du charme qui nous a retenu durant la lecture de toutes ces variations : l’ombre, la mort et l’immobilité (les cendres) font place progressivement (trois étapes sont nécessaire) à une lumière de plus en plus éblouissante et à des objets transparents – par leur matière comme par leur sens.

Anne-Marie Mercier-Faivre
(avril 2008 )


mercredi 15 septembre 2010






Histoire de la psychanalyse en Argentine

Une réussite singulière


Mariano Ben Plotkin/traduction Anne-Cécile Druet

« Quiconque, en société, dans une grande ville d'Argentine, oserait mettre en doute l'existence de l'inconscient ou du complexe d'Œdipe, se trouverait dans la même position que s'il niait la virginité de la Vierge Marie face à un synode d'évêques catholiques. » Au carrefour de l'histoire intellectuelle, politique, culturelle et sociale, l'étude rigoureuse de Mariano Ben Plotkin montre l'originalité de l'implantation de la psychanalyse en Argentine. Face aux Etats-Unis et à l'Europe, plus particulièrement à la France, traversant l'expérience péroniste, violentée par la dictature militaire, la psychanalyse s'est imposée d'une manière singulière dans ce pays. Elle y rencontre un engouement populaire unique au monde qui en fait une base fondamentale de la vie en Argentine.

Mariano Ben Plotkin est historien, docteur en histoire à ['université de Californie (Berkeley), chercheur au CONICET et président de l'Instituto de Desarrollo Econômico y Social en Argentine. Il a publié de nombreux livres dont : Argentines on thé Couch. Psychiatry, Society and thé Stace in Argentins, 1880-1970, University of New Mexico Press, 2003 ; La Privatizaciôn de la educaciàn superior y las ciencias sociales en la Argentina. Un estudio de las carreras de Psicologia y Economia, Buenos Aires, CLACSO, 2006 ; Thé Transnational Unconscious. Essays on Psychoanalysis anct Transnationalism, Londres, Palgrave-Macmillan, 2009, en collaboration avec Joy Damousi.





Sorciers et psychanalyse

Pendant qu’en Europe on enchaînait les fous, des peuples primitifs les soignaient selon des méthodes très proches de la psychanalyse, explique Lévi-Strauss dans cet article publié au Courrier en juillet-août 1956, où il dresse des parallèles entre les rituels chamanistiques et les psychothérapies modernes.

À la plupart d'entre nous, la psychanalyse apparaît comme une conquête révolutionnaire de la civilisation du vingtième siècle ; nous la plaçons sur le même plan que la génétique ou la théorie de la relativité. D'autres, plus sensibles sans doute au mauvais usage de la psychanalyse qu'à son véritable enseignement, persistent à la considérer comme une extravagance de l'homme moderne. Dans les deux cas, on oublie que la psychanalyse n'a fait que retrouver, et traduire en termes nouveaux, une conception des maladies mentales qui remonte probablement aux origines de l'humanité et que les peuples que nous appelons primitifs n'ont pas cessé d'utiliser, souvent avec un art qui étonne nos meilleurs praticiens.

Il y a quelques années, des ethnologues suédois ont recueilli et publié un très long rituel de guérison employé chez les Indiens Cuna de Panama, dans les cas d'accouchement difficile. Ce rituel consiste en un récitatif que le sorcier de la tribu – ou, comme disent les spécialistes, le chaman – déclame devant la patiente et pour son bénéfice. Il lui explique que son mal provient de l'absence momentanée de l'âme qui préside à la procréation ; car les Cuna croient en l'existence d'une multitude d'âmes, chacune préposée à une fonction vitale particulière. Cette âme a été attirée dans l'au-delà par des esprits malfaisants ; le sorcier raconte à la malade, avec un grand luxe de détails, comment il entreprend un voyage surnaturel à la recherche de l'âme perdue ; quels obstacles il rencontre ; à quels ennemis il s'oppose ; comment il les domine, par la force ou par la ruse, avant d'atteindre la prison de l'âme captive, pour finalement la libérer et lui faire réintégrer le corps souffrant et étendu.

La cure chamanistique, précurseur de la psychanalyse
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La santé déterminant de l’âge de la retraite

L’espérance de vie, l’espérance de vie en bonne santé et l’âge de départ en retraite varient de manière importante et inégalitaire selon les professions en France, selon une analyse publiée dans « Retraite et Société », la revue de la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

En France, l’espérance de vie est l’une des plus élevées au monde et dépasse les 80 ans depuis le début des années 2000. Mais les différences d’espérance de vie entre catégories socio-professionnelles sont également « très fortes, parmi les plus grandes en Europe », expliquent Emmanuel Cambois (INED), Thomas Barnay (CNRS) et Jean-Marie Robine (INSERM) dans ce numéro consacré à l’état de santé des travailleurs âgés (n° 59, août 2010).

À 50 ans, en 2003, l’espérance de vie des professions les plus qualifiées atteignait 32 ans pour les hommes, près de 5 ans de plus que celle des ouvriers. Chez les femmes, l’écart était de 2 ans, avec une espérance de vie de 36 ans pour les plus qualifiées. Les différences sont encore plus sensibles quand on parle de bonne santé perçue : l’espérance de vie à 50 ans est alors de 23 ans pour les hommes les plus qualifiés, contre 14 ans à peine pour les ouvriers.

Ces inégalités se retrouvent à la retraite, puisque, à 65 ans, l’espérance de vie en bonne santé est de 11,1 ans pour les professions les plus qualifiées (11,6 pour les femmes) et de 6,5 ans pour les ouvriers (7). Les auteurs relèvent qu’à partir de 50 ans, les ouvriers vont passer plus de la moitié de leur vie en mauvaise santé, contre un tiers pour les plus qualifiés.

Les inégalités sont aussi liées à l’occupation : de 25 à 28 % des quinquagénaires qui ont un emploi s’estiment en mauvaise santé, contre 40 % des chômeurs qui recherchent un emploi et 75 % des inactifs. Pour les chercheurs, l’état de santé est l’un des déterminants les plus importants de l’âge de cessation d’activité. C’est particulièrement le cas des ouvriers, dont la dégradation des conditions de santé est plus élevée que pour les autres catégories, mais pour qui le choix de partir en préretraite est particulièrement coûteux. Pour eux, l’arbitrage est davantage lié à l’état de santé qu’à des raisons personnelles, contrairement aux cadres.

Ces inégalités se retrouvent dans l’ensemble des pays européens, précisent les auteurs, qui concluent que, « au-delà des statuts administratifs d’activité ou d’état de santé se pose la question des possibilités réelles de poursuite d’activité professionnelle de certaines catégories compte tenu de leur état fonctionnel, de leurs conditions de vie et des conditions d’exercice de leur emploi ». Une contribution au débat sur les retraites, si tant est qu’il soit encore ouvert.

› R. C.

Quotimed.com, le 15/09/2010



Les sédatifs associés à une mortalité accrue

Le risque que posent ces médicaments plaide en faveur des traitements psychologiques de l'insomnie et de l'anxiété

Par Jean Hamann


Les sédatifs prescrits pour traiter l'insomnie et l'anxiété augmenteraient le risque de mortalité de 36 %, révèle une étude publiée dans le numéro de septembre de la Revue canadienne de psychiatrie. C'est ce que conclut la professeure Geneviève Belleville, de l'École de psychologie, après avoir analysé des données recueillies pendant 12 ans auprès de 14 117 Canadiens. «L'augmentation du risque de mortalité est faible, mais significative, souligne la chercheuse. Les médecins devraient en être conscients et encourager leurs patients à recourir aux traitements non pharmacologiques de l'insomnie et des troubles anxieux.»
   
Jusqu'à maintenant, les études portant sur le lien entre les sédatifs et la mortalité étaient arrivées à des conclusions contradictoires. La professeure Belleville a eu l'idée de faire appel aux données de l'Enquête nationale sur la santé de la population, réalisée par Statistique Canada, pour faire la lumière sur la question. Ces données incluent des renseignements sur les caractéristiques sociodémographiques, les habitudes de vie et la santé, incluant la dépression, de Canadiens âgés de 10 à 102 ans, interrogés tous les deux ans, entre 1994 et 2007.
   
Pendant cette période, entre 3 et 6 % des répondants ont déclaré, au moins une fois, avoir fait usage de médicaments pour traiter l'insomnie ou l'anxiété durant le mois précédent l'enquête. Dans ce groupe, le taux de mortalité atteint 15,7 % alors qu'il se situe à 10,5 % chez les répondants qui ont déclaré ne pas avoir utilisé de tels médicaments. La différence entre les deux groupes est surtout marquée chez les 55 à 74 ans.
  
En tenant compte des facteurs personnels pouvant avoir une incidence sur la mortalité (consommation d'alcool et de tabac, santé physique, dépression, activité physique), les chercheurs ont établi que la prise de sédatifs entraînait une augmentation de 36 % du risque de décès. Cette hausse équivaut au risque de mortalité qui pèse sur les fumeurs occasionnels.
   
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le lien entre les sédatifs et la mortalité. Ces médicaments influenceraient le temps de réaction, la vigilance et la coordination, favorisant ainsi les accidents ou les chutes. Ils auraient aussi un effet inhibiteur sur le système respiratoire et sur le système nerveux central. Dans ce dernier cas, le jugement des personnes pourrait être altéré, ce qui augmenterait leur propension au suicide.
   
«Les sédatifs ne sont pas des bonbons et il ne faut pas croire qu'il est anodin d'en consommer, résume Geneviève Belleville. Comme les thérapies comportementales cognitives donnent de bons résultats dans le traitement de l'insomnie et de l'anxiété, les médecins devraient systématiquement discuter de cette option avec leurs patients. Combiner une approche pharmacologique à court terme à un traitement psychologique constitue une stratégie prometteuse pour diminuer l'anxiété et favoriser le sommeil.»







Les doigts dans la prison
portrait
13/09/2010

Olivier Maurel. Un peu cow-boy, un peu samouraï, le détonant directeur de la centrale de Poissy fait corps avec la taule.

Par SONYA FAURE

 
Il est en prison depuis vingt ans. Il connaît la vie à l’ombre et les nuits trop claires, aveuglées par les projecteurs des miradors. Mais lui a les clefs. Olivier Maurel est directeur de la centrale de Poissy (Yvelines), où dorment les longues peines. Il publie un livre, le Taulier, cerné par les clichetons littéraires et un sens de la litote qui parfois laisse coi («J’ai gardé longtemps l’image et l’odeur de ce détenu en train de se dévorer au milieu de ses excréments. Triste spectacle…»). Mais une parole inattendue et rare venant d’une institution, la pénitentiaire, surnommée à juste titre «la petite muette».

Olivier Maurel a fait relire son texte à sa hiérarchie. Il écrit: «Ne cherchez pas dans ce livre de message politique ou socialement connoté.» On y trouve une prison d’une violence extrême et le profil imprévu d’un commis de l’Etat. Aux journalistes, le service com de l’administration pénitentiaire dit : «Olivier Maurel est un directeur de prison atypique.»

Il est élégant, un peu raide, cheveux ras. Mais Maurel se lit en Lino Ventura, peur de rien et respect pour les vieux braqueurs compris. Un peu cow-boy aussi. «Ah non, pas cow-boy ! C’est à l’opposé de ce que je suis.» L’adjectif revient pourtant souvent à son propos, il le sait. «Il est très sympathique mais un peu barbouze», juge un collègue. «Il incarne une certaine droite pénitentiaire. Un patron de choc qui pense qu’il ne faut jamais faire croire aux détenus que l’administration n’est pas la plus forte à tout moment», estime Jean-Michel Dejenne, représentant CGC du personnel de direction.

Dans la cour de promenade de Poissy, Olivier Maurel lance à un détenu : «Ça s’est réglé votre affaire ?»«C’est bon, merci patron», dit l’autre. Sur 230 «pensionnaires», comme il dit parfois, 140 ont tué. Depuis qu’il est arrivé, des caméras ont été installées, mais les parloirs rallongés. «Olivier Maurel est respecté par les détenus et par le personnel : c’est un homme d’action, mais il a le sens de l’écoute», assure Pierre Raffin, son ancien supérieur à Moulins. Un surveillant confirme : «Il est derrière ses hommes, comme un militaire.»

Maurel est marathonien, Maurel aime les sports de combat. Alors, des champions de boxe thaï font des galas à la centrale et un des prisonniers prépare les 20 kilomètres de Paris. Lors de la dernière fête de la musique, il a pris la place d’un détenu à la batterie et joué My Sharona de The Knack. Maurel aime le hard rock et la moto (que sa seconde femme, avocate, lui a fait arrêter). Il a le corps couvert de tatouages qui l’obligent, l’été, à travailler en manches longues. Des porte-bonheur chinois, des maximes de moines Shaolin. Sur le bras droit : «L’homme sage et courageux renaîtra de ses cendres

Il y a d’abord eu Grasse, premier poste ou presque de cet homme grandi dans des villages de l’Aude, entre un père aux valeurs «rouges rouges»et une mère gaulliste-nationaliste-catho, tous deux enseignants. «Comparée à la répression des fraudes ou aux douanes, la matière pénitentiaire me semblait celle qui allait m’ennuyer le moins.» Grasse, donc, l’épisode dont les collègues parlent encore avec une voix plus atone.

C’est le matin, Maurel court dans un parc d’Antibes. Derrière lui, des aiguilles de pins craquent. Violent coup sur la nuque, sérieux tabassage. Il entend une lame qu’on sort d’un cutter. S’évanouit. Se réveille avec la peau taguée à l’aérosol : «DEAD». L’agression a été commanditée par un détenu de 20 ans que Maurel avait placé 45 jours au mitard. «A l’époque, j’étais d’avantage dans une logique d’opposition que de compréhension. J’avais 25 ans, j’étais vif.» Un collègue commente : «Une telle agression ne m’est jamais arrivée, ce n’est peut-être pas un hasard.» Maurel : «C’est sûr qu’à rester le cul dans son bureau, on ne risque pas la prise d’otage.» Qu’il a aussi connue. Pierre Raffin, qui l’a vu descendre dans la cour de promenade de la centrale de Moulins négocier avec des détenus en état de mutinerie, parle d’un «courage extrême».

Olivier Maurel s’est formé à la gestion de crise lors de stages avec le Raid et le GIGN et cite l’Art de la guerre de Sun Tzu. Il a été chef du bureau du renseignement pénitentiaire, chargé d’amasser les informations sur les détenus jugés les plus dangereux, les terroristes. Lui qui adore Hemingway et préfère Jankelevitch à Foucault, lui qui a vu 43 fois l’Année du dragon avec Mickey Rourke mais n’a pas voulu se plonger dans un trop proche Prophète, passe son temps libre à écrire un polar inspiré de ses analyses comportementales de serial killers. Une seule chose le fait reculer : les prisons de femmes. «Trop trash. Vous n’imaginez pas les propos crus qu’elles peuvent tenir.»

Il a l’âme d’un «centralien» comme on dit à la pénitentiaire, parce que dans les établissements des longues peines, «on a le temps de connaître les détenus, de discuter». «Parler liberté avec un homme qui a déjà fait vingt piges, ça a quand même une autre gueule qu’entendre un intellectuel blasé sur le sujet.» L’idée du livre est née au quartier disciplinaire de Moulins, dans la cellule de Michel Vaujour, le braqueur aux cinq évasions. «On discutait, il m’a dit : "Monsieur Maurel, un jour il faudra qu’on écrive ce qu’on a vécu. Mais les gens n’y croiront pas."» Olivier Maurel ouvre les portes, cellule par cellule, et ce qu’il montre de l’intérieur est en effet édifiant.

Moulins, cellule d’un double perpète. «La veille, on se tapait un délire dans la salle informatique», se souvient le directeur. Le lendemain, le prisonnier l’agresse. «Le seul surveillant qui a pu s’approcher s’est fait sécher en moins de deux.» Quatre détenus se lancent vers l’agresseur : «Partez monsieur Maurel, on le maîtrise.»

Mirador n°1, prison de Bois-d’Arcy. Le surveillant ne répond plus. A l’intérieur, une odeur de métal rouillé, «du sang et de la matière cervicale». Le gardien s’est supprimé. Quand ils l’apprennent, des détenus applaudissent. «La première fois, ça secoue. Après, il y a toujours le choc et l’émotion. Mais les pieds dans le sang, vous faites mentalement une check-list des appels à passer… Les psys appellent ça l’habituation.»

Fleury-Mérogis, division 1, peu avant Noël. Rachid délire, Rachid veut extirper le démon de son propre corps. Malgré la ceinture de contention psychiatrique, il parvient à libérer son poignet, il se dévore l’index puis s’arrache un testicule. «La prison est devenue le déversoir des hôpitaux psychiatriques. On les appelle les "fatigués".»

Olivier Maurel a déplié la cartographie de la prison où l’on meurt violemment, celle des mutineries et des prises d’otages. Il y a l’autre, celle où l’on vieillit, celle de l’ennui. Il écrit : «Je dois alors "replier" le temps pour que les détenus ne perdent pas espoir.» Il explique: «Il faut remettre de la logique là où il n’en existe plus. On mobilise autour d’une formation, du maintien des liens familiaux, de petites choses essentielles.» A Poissy, Maurel a retrouvé un ancien de Moulins. «Vous n’avez pas la même voix», a dit le prisonnier. «J’ai pris de l’âge, traduit Maurel. J’ai été touché dans ma tête et dans mon corps depuis vingt ans.» Le détenu, lui aussi, avait vieilli. Ils se sont dit qu’ils avaient blanchi.