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samedi 18 septembre 2010



Sous la cendre.
Figures de Cendrillon
Anthologie de Nicole Belmont et Élisabeth Lemire

Multiples Cendrillons

Établie par Élisabeth Lemire et Nicole Belmont, une des spécialistes du conte traditionnel, cette anthologie est une somme des différentes versions du conte de Cendrillon avec quelques unes de ses variantes (la chatte des cendres du sud de l’Europe, la vache des orphelins d’Europe centrale, la Noix du Québec, …). Tous les continents ont pratiqué l’art de cendrillonner, et tous avec un talent particulier.
L’époque moderne n’est pas en reste : l’ouvrage se clôt par une Cendrillon à la sauce utilitariste très drôle écrite par Dickens pour protester contre les adaptations et trahisons des contes. Il conclut à son pastiche : « Le Vicaire de Wakefield se montrait le plus sage quand il disait qu’il était lassé d’être toujours sage. Le monde est trop envahissant pour nous, tout au long de la vie. Ne touchons pas à ces précieuses et respectables échappées ». C’est dire si le volume est savamment construit pour se clore ainsi sur une demande de fixité et de respect de la fantaisie du conte.

Le mythe ou le thème de Cendrillon se construit ainsi de conte en conte, variant le personnage à l’infini. Ce livre est à lire comme on écoute les variations en musique, en se laissant porter par le thème, en souriant aux écarts, à l’accent propre. On y trouve quelques savoureuses transcriptions d’accents de nos provinces françaises, comme cette version du Poitou : « I aurait fait encore pyaisir d’aller à tchio bal aussi. A restait dans son p’tit coin, dans la cheminaï, auprès la cendre ». Versions courtes à la sobriété belle, versions longues à la complexité étonnante, il semble que le sujet soit infini. La marraine est tantôt animal, tantôt fée, ou mère défunte, ou Sainte Vierge. Les épreuves données à la malheureuse Cendrillon sont d’une grande ingéniosité maligne et les animaux qui lui viennent en aide sont charmants à souhait. L’équipage arrive de mille manières différentes (de la terre, du ciel, dans des noix et noisettes, fabriqué par des dindons…). La fin est parfois sanglante. Il arrive aussi que Cendrillon elle-même soit celle qui met à mort la mère pour que son père épouse la femme qu’elle lui a choisi.

La préface de Nicole Belmont nous laisse un peu sur notre faim en retraçant très rapidement le « cycle de Cendrillon » pour en reconstruire un historique possible : un prototype simple (« La Vache des orphelins ») qui serait issu du Moyen-Orient, qui se serait répandu aussi bien en Chine (première version écrite attestée du IXe siècle de notre ère) qu’en Europe, Amérique et Afrique. Cette diffusion s’accompagne de complexification en récupérant souvent d’autres récits types, ou en étant à l’origine d’autres contes, comme Peau d’âne. Finalement, Nicole Belmont suggère qu’autant qu’une évolution historique, on peut y lire « un itinéraire psychique, celui des filles face à leur mère ».

Les postfaces, l’une de Nicole Belmont l’autre d’Elisabeth Lemire, explorent la saveur et les traits distinctifs du conte ou du mythe, parfois dans ses prolongements psychanalytiques. A travers quelques thèmes comme celui des cendres, ou de la pantoufle ou touche à la racine du charme qui nous a retenu durant la lecture de toutes ces variations : l’ombre, la mort et l’immobilité (les cendres) font place progressivement (trois étapes sont nécessaire) à une lumière de plus en plus éblouissante et à des objets transparents – par leur matière comme par leur sens.

Anne-Marie Mercier-Faivre
(avril 2008 )


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