22.02.10
Société
Reportage
Aux Diaconesses, à Paris : "Le patient est notre guide"
"Partie très calmement. Famille en pleurs", "Sans réaction depuis ce matin. Après l'avoir tourné, le patient s'est éteint". Jamais dans le service de soins palliatifs du groupe hospitalier Diaconesses-Croix-Saint-Simon, à Paris, le personnel n'oublie de remplir le "cahier de décès" qui permettra à qui veut d'en connaître les circonstances. Un procédé rare, et pourtant utile. Comme les "cérémonies du souvenir", organisées deux fois l'an et où sont conviés les proches de toute personne morte à l'hôpital.
Sur 250 à 300 décès par an, 200 ont lieu dans cette unité ; 200 sur 240 admissions. La durée médiane de séjour y est de onze jours, mais chaque cas est particulier. Dominique Minguet, infirmière, se souvient ainsi de ce patient "la veille en partance" qui s'est réveillé un matin en disant : "J'ai faim."
Le service, qui compte quinze lits, reçoit 1 700 demandes de prise en charge par an. Il faut faire des choix. "Nous tenons compte des douleurs rebelles ou des difficultés à respirer, mais aussi de la détresse morale", explique le docteur Dominique Karoui.
Séances de lecture
Le service accueille en priorité les malades venus directement de leur domicile, parce que ceux déjà hospitalisés ailleurs sont suivis par des médecins, même si les conditions d'écoute ne sont pas toujours idéales. Parce que les personnes qui accompagnent le "départ" d'un proche à leur domicile peuvent aussi être en danger. Comme souvent les femmes âgées restant auprès de leur mari.
La priorité va aussi aux personnes isolées, comme les SDF, et aux parents en fin de vie d'enfants en bas âge. Ce samedi, on en entend d'ailleurs rire dans le couloir aux couleurs vives.
Chaque semaine, le personnel participe à des groupes de parole, indispensables. Les arrivées des patients sont en effet souvent d'une grande violence, car beaucoup n'ont pas été tenus au courant de leur orientation en soins palliatifs. Il faut alors comprendre s'ils veulent connaître ou non la vérité. "Il n'y a pas de bonne mort. Chaque patient est notre guide", résume Marina Benouaich, une autre infirmière.
Denise Barbeyer, 96 ans, sait parfaitement où elle est. Atteinte d'un cancer, elle semble sereine : "Je suis d'accord pour tous les soins, y compris ceux qui risquent de me raccourcir un peu l'existence." "J'aime la vie, à condition qu'elle soit consciente", précise-t-elle. La vieille dame apprécie l'attention de tous les instants qu'on lui porte, et que des bénévoles lui fassent la lecture - "L'Evangile au risque de la psychanalyse, de Dolto, Anouilh et aussi Giraudoux". Il y a là aussi les proches d'une femme arrivée il y a trois jours. Ils voulaient tout faire pour qu'elle reste chez elle, mais après un week-end passé dans "d'atroces douleurs et une détresse énorme", ils ont fait une demande de prise en charge, raconte l'une d'eux. Une médecin généraliste qui se dit rassurée que la malade soit là où l'on sait vraiment suivre le patient d'un point de vue "médicamenteux et psychologique".
Ici, les visites sont autorisées 24 heures sur 24, et en se débrouillant, on arrive à coucher parfois jusqu'à quatre proches pour la nuit, le moment le plus angoissant. Après un décès, une chambre est toujours laissée vide le temps d'une nuit. Un laps de temps indispensable au personnel. Tout cela a un coût, mais le service est à l'équilibre, grâce à l'activité soutenue qu'a permis la mise en place d'un lit d'urgence qui facilite les roulements.
Le directeur de l'hôpital, Philippe Pucheu, ne pense pas possible et nécessaire de généraliser ces pratiques "Il n'y a pas de bons et de mauvais services. Chacun fait selon sa fonction. Mais une meilleure organisation et la transmission de la culture d'accompagnement pourraient permettre des améliorations dans les hôpitaux, et même plus généralement." L'équipe réfléchit à impliquer médecins de ville et maisons de retraite, car elle juge certaines situations de décès inacceptables. Comme ces morts dans les couloirs des urgences de personnes en fin de vie, dont le "départ" pouvait être anticipé.
Laetitia Clavreul
Article paru dans l'édition du 23.02.10.
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