Le droit au séjour des étrangers malades de nouveau menacé
Par Carine Fouteau18 Septembre 2010
C'est devenu un rituel : dès qu'il en a l'occasion, le député UMP du Vaucluse Thierry Mariani essaie de restreindre les droits des étrangers en matière de santé. Lors de l'examen du projet de loi immigration, intégration et nationalité devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, mercredi 15 septembre, il est parvenu à faire adopter par les députés un amendement ajoutant une régression supplémentaire à un texte, qui sera défendu par Éric Besson à partir du 28 septembre dans l'hémicycle, durcissant déjà considérablement la politique migratoire.
Dans le collimateur : les étrangers gravement malades, c'est-à-dire ceux «dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité», selon la définition inscrite à l'article L313-11-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Depuis la loi Chevènement de 1998, ces personnes obtiennent une carte de séjour temporaire lorsqu'elles ne «peuvent effectivement bénéficier d'un traitement approprié» dans leur pays d'origine. Thierry Mariani propose, lui, qu'elles n'en bénéficient qu'en cas d'«inexistence» du traitement dans leur pays d'origine.
La différence est de taille: pour les malades, la question, vitale le plus souvent, n'est pas de savoir si les médicaments existent, mais s'ils y ont accès. Dans certains pays, du Sud notamment, les traitements sont théoriquement disponibles, mais les personnes qui devraient en bénéficier ne peuvent les acheter pour de multiples raisons: soit parce qu'ils sont trop chers, soit parce qu'ils sont quantité insuffisante, soit encore parce que leur lieu d'habitation est trop éloigné du lieu de distribution.
Quel avenir pour ces étrangers, parmi lesquels les malades du cancer et du sida, s'ils ne sont pas régularisés? Première hypothèse: ils resteront ou deviendront sans papiers et auront d'autant plus de mal à se soigner, avec des risques, en cas de transmission de la maladie, en matière de santé publique. Seconde hypothèse: de retour dans leur pays d'origine, n'ayant pas accès aux traitements, leur état de santé se dégradera inévitablement jusqu'à ce qu'ils meurent.
«Notre système social français ne peut quand même pas financer les malades du monde entier!», rétorque Thierry Mariani, joint par Mediapart. Le député, rapporteur du projet de loi Besson, s'inquiète de deux décisions du conseil d'État, du 7 avril 2010, selon lesquelles l'accès «effectif» aux soins recouvre non seulement l'existence de l'offre médicale, mais aussi la possibilité pour l'intéressé d'en bénéficier en fonction de ses ressources, du bénéfice éventuel d'une prise en charge financière et de la région dont il est originaire.
«Cette interprétation très généreuse fait peser une obligation déraisonnable au système de santé français, ouvrant un droit au séjour potentiel à tout étranger ressortissant d'un pays ne bénéficiant pas d'un système d'assurance social comparable au nôtre», écrit-il dans l'exposé des motifs de son amendement. Et d'ajouter, de vive voix: «Cette jurisprudence est une bombe à retardement. À part les Suédois, on ne pourra plus expulser personne! Même les Américains pourraient venir se soigner en France!»
Pour parer à cette éventualité, il propose un retour en arrière législatif de plus de dix ans. Et cela, alors même que, de l'aveu du ministère de l'immigration, le nombre de cartes de séjour délivrées pour ce motif a diminué de près de 20% entre 2004 et 2008 (de 6.105 à 4.894), selon les chiffres officiels publiés dans le dernier rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration.
* «Un droit acquis de haute lutte»
Pour l'association Act Up-Paris, cet amendement fait peser des risques sur la vie de milliers d'étrangers gravement malades – environ 28.000 personnes sont potentiellement concernées. Son communiqué décrit un possible scénario en cas de vote par le Parlement: «Décembre 2010 : Mme N., en situation irrégulière, est expulsée vers l'Ouganda de la France où elle suivait un traitement. Elle est séropositive et atteinte d'un cancer. En Ouganda, moins de la moitié des séropositives ont accès à un traitement. Juin 2011: Mme N. meurt faute de traitements. L'amendement Mariani a réduit son espérance de vie de plusieurs années à 6 mois, l'amendement Mariani l'a tuée.»
«Le droit mis en cause aujourd'hui a été acquis de haute lutte. Le vote d'un tel amendement signifierait un retour en arrière par rapport aux grands combats des années 1990, notamment liés à la lutte contre le sida», insiste Didier Maille, responsable du service social et juridique du Comité médical pour les exilés (Comede), association membre de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).
Pour Europe Écologie/les Verts, «cette politique de non-assistance à malades en danger est inacceptable. Celui qui la défend et ceux qui la voteront commettront une faute morale grave indigne de la tradition humaniste de notre pays. Mais au-delà de toute considération éthique, cela fera courir un risque sanitaire avéré pour tous les citoyens faute de soigner correctement les personnes qui en ont besoin».
Pas de quoi culpabiliser Thierry Mariani, auteur d'un amendement particulièrement remarqué en 2007, instaurant les tests ADN dans le cadre du regroupement familial. Face au tollé provoqué par ce texte, le gouvernement, après des mois d'atermoiements, avait été contraint de renoncer à l'appliquer. Cette fois-ci, le député affirme «avoir été soft car, dans ce pays, à chaque fois que la droite propose une loi sur l'immigration, on est traités de réactionnaire». Il promet quand même d'aller «plus loin» dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec son collègue UMP Claude Goasguen, chargé d'une mission sur l'Aide médicale d'État.
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