Une sœur, on sait ce que c’est. Les frères Herlem connaissent des garçons qui en ont. «Généralement leur sœur vit chez eux, avec eux, les embête, entre dans leur chambre, touche à leurs affaires, est de trop, c’est ce qu’ils nous en disent.» Eux ont une sœur, et en même temps, ils n’en ont pas. Ils sont tranquilles, mais pas vraiment non plus. Leur sœur aînée, Françoise, vit ailleurs. C’est une écrasante absence. Un dimanche où, exceptionnellement, elle est là, à table (formica jaune des Trente glorieuses), le plus jeune des deux garçons - le narrateur, l’auteur, né le 4 mars 1950 - dit :«Qui c’est ?»
Françoise a été lobotomisée à l’âge de 14 ans, le 21 juin 1952. Rien que de l’écrire, le mot fait peur. «Depuis l’adolescence, depuis que je suis en âge de comprendre l’intervention pratiquée sur ma sœur (mais peut-on jamais comprendre une telle chose ?), l’opération a suscité en moi un effroi indicible.»