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dimanche 13 décembre 2009

Judith Miller en CLARÍN







La fille de Lacan, philosophe et présidente de la Fondation du Champ Freudien, soutient la vigueur absolue de la psychanalyse. Elle dit que son père a prédit en 1973 la crise financière actuelle.

Quand on vire le symptôme par la porte, il revient par la fenêtre
- 28 ans ont passé depuis la mort de Jacques Lacan. Comment a vieilli son œuvre psychanalytique ? Ses mots sont-ils encore en vigueur ?

« Il est difficile de savoir ce qu’est un père, et aussi ce qu’est une mère… » dit, d’une façon intrigante, Judith Miller, fille de Jacques Lacan et femme de Jacques-Alain Miller. Mais elle ne parle pas du lourd héritage psychanalytique de son père : ces mots surgissent de la question sur la paternité que détiennent des présidents comme Sarkozy et autres Kirchner (président d’Argentine), dans des pays où la psychanalyse est une caractéristique constitutive de leur identité. Judith Miller est venue à Buenos Aires au XVI Encuentro Internacional del Campo Freudiano et au Encuentro Americano de Psicoanálisis Aplicado de Orientación Lacaniana, organisés par l’EOL. Au huitième étage de l’hôtel Plaza, Judith installe son élégance parisienne et parle de son père, la personne pour qui elle nourrit autant de reconnaissances que de reproches.

Je ne comprends pas. Je ne peux pas comprendre votre question, parce que tout ceci a beaucoup d’actualité, pas seulement pour moi mais aussi pour chaque personne. Quand je vois tout l’effort que nous devons faire, aujourd’hui encore, pour comprendre que Lacan parlait déjà, en 1973, de la crise que nous vivons maintenant et constater que ça n’était pas une prophétie. Il a compris la logique du capitalisme. Aujourd’hui nous sommes étonnés par la crise, mais Lacan a dit que la crise ne pouvait pas être évitée : « il y a un changement du capitalisme qui vise à sa propre reconduction, à travers une activité qui n’a plus rien à voir avec son développement historique, et qui sera purement financier. » Et il concluait disant que ça allait avoir un effet. Je ne pouvais pas comprendre quand il disait « nous sommes tous des prolétaires ». Moi, je ne suis pas prolétaire, je fais partie de la bourgeoisie. Mais il avait raison, il y a une précarisation générale mondiale de chacun qui correspond au développement actuel du capitalisme et qu’il a compris il y a plus de 40 ans.

- Et comment prépare-t-on l’analyste d’aujourd’hui pour [faire face à] cette précarisation ?

C’est difficile. Je ne fais pas partie de ceux qui doivent faire ça mais les analystes lacaniens doivent inventer, recevoir les surprises qui peuvent apparaître dans la clinique d’aujourd’hui. Ça n’est pas nouveau, Freud avait déjà dit que la psychanalyse marche avec le monde ; et Freud avait vu lui-même que par exemple l’hystérie, depuis le moment où la psychanalyse a commencé à être pratiquée, a changée Chaque hystérique, à partir du moment où il y a un lien analytique, trouve d’autres voies pour résoudre sa question, son énigme. Lacan disait, en rigolant, que l’hystérique est historique. Le mot d’esprit joue avec les coïncidences. La nouveauté permanente est l’enseignement de Lacan. Mais je ne veux pas que ce soit équivalent à dire qu’on a uniquement l’enseignement de Lacan et qu’on ne doit rien faire d’autre que répéter ce qu’il a dit.

Les analystes, et les gens qui travaillent avec eux, les analysants il me semble particulièrement, participent à une recherche au niveau clinique, de la doctrine analytique, à chaque niveau qui fait partie des lumières lacaniennes.

- Vous parliez des surprises qui arrivent au divan et face auxquelles les psychanalystes doivent se préparer. Quelles sont-elles ?

La définition d’une surprise est qu’elle est imprévisible. La profession a besoin d’une formation longue, vaste, intense, profonde, qui implique en même temps que les analystes continuent de savoir qu’ils ne doivent pas savoir. Et ils savent qu’ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver, voilà la surprise. Ce n’est pas facile parce qu’il faut être soi-même très bien analysé, peut être re-analysé, pour maintenir cette disponibilité, cette capacité d’apprendre une chose nouvelle. Je l’ai vu de mes yeux dans ma propre famille, pas seulement chez mon père, mais aussi chez les autres analystes qui étaient très vieux, très fatigués, et qui avaient continué de travailler jusqu’au dernier jour parce qu’ils étaient sur pied. Mon père, lui aussi : Lacan a travaillé jusqu’au dernier jour.

- Et que fait un analyste quand un employé de France-Telecom, où 26 personnes se sont suicidées, arrive au cabinet ?

Je crois que les suicides de France-Telecom font partie d’une épidémie. Elle incarne ce que Lacan appelait la précarisation généralisée de chacun dans le moment de l’histoire humaine qu’on connait, dans la culture globalisée. Malgré le progrès des technologies, le développement de la science, le malaise dans la culture persiste. Peut-être même que c’est parce qu’on a tout ça que le malaise continue, il n’y a pas de libération. Il y a des conséquences de ce qu’on appelle le progrès, et c’est pour ça que Lacan ne se disait pas progressiste, pas plus que Freud d’ailleurs. Je pense que le malaise est dans notre cœur du fait qu’on est condamné à être humains.

- Ce moment de crise générale se répercute-t-il aussi dans le mode singulier de la consultation chez l’analyste ?

C’est évident ! Je crois que c’était ainsi à chaque époque. Il n’y a pas tellement de périodes qui ont séparé les époques de l’histoire freudienne, mais je crois que la Première Guerre Mondiale a été un moment important pour l’œuvre de Freud. La Seconde Guerre Mondiale l’a été tout autant et Freud avait prévu toute l’horreur qui allait se produire dans son œuvre de 1920, La psychologie des masses. Il avait parlé du fascisme avant qu’il n’existe.

- Les voix qui disent que les jeunes d’ Amérique Latine ne peuvent pas voir le futur sont nombreuses. La psychanalyse pense-t-elle au futur ?

D’abord, je ne connais personne qui ne pense pas à soi-même dans le futur. Or, peut être qu’un enfant ne sait pas quel sera son futur, mais ça, c’est différent. Il y a une angoisse spéciale. Aujourd’hui les jeunes gens connaissent cette angoisse. Peut être qu’ils ne peuvent pas la dire, mais ils ont cette angoisse. C’est important de permettre à chacun de s’approcher pour voir ce que c’est que cette angoisse. Mais nous ne pouvons pas dire qu’ils n’ont pas la dimension de l’avenir. C’est un paradoxe du capitalisme. Aujourd’hui, quand le capitalisme travaille chaque jour plus sur le sujet de la sécurité, l’insécurité augmente. Et d’une certaine manière le malheur du capitalisme est que quand il commence travailler sur un sujet pour le supprimer, il le renforce. C’est la même chose avec l’exclusion, la ségrégation, toutes les mesures qui se prennent dans le cadre du capitalisme renforcent la ségrégation. Et la précarité augmente à fur et à mesure que la sécurité, la promesse de sécurité, augmente. Mais penser à une vie sans sécurité, c’est penser la vie comme [penser que la vie=] la mort. Et être mort pour bien vivre est aussi un paradoxe.

- Il y a des thérapies comme celles des neurosciences qui offrent des traitements limités. Quelle est la réponse de la psychanalyse face à la demande de thérapies brèves ?

Les neurosciences offrent des traitement plus brefs, plus courts. C’est vrai que l’effet d’une analyse n’est pas celui de normaliser une personne. Une analyse porte à la lumière la singularité de la personne qui a consulté. C’est très difficile de savoir qui je suis. Une expérience analytique permet de localiser quel est mon désir ; si je veux ce que je désire. C’est à dire, localiser la division que chacun a. Ça prend du temps. Maintenant, on veut immédiatement ce qu’on attend et il est très difficile de ne pas céder à cette urgence. Mais la psychanalyse ne peut pas céder à ça. C’est un piège. Quand on vire le symptôme par la porte, il revient par la fenêtre. C’est un principe fondamental du fonctionnement de la répétition.




J. Coorem, L'Ordinaire de la cruauté
Parution : 13 octobre 2009.










L'ordinaire de la cruauté
Jean Cooren
Hermann
ISBN : 9782705668891
28.00 €
Parution le 13 octobre 2009


Présentation :
Comment apprendre à reconnaître la « cruauté », à la déchifrer, à saisir son universalité, sa permanence ? Explorant quelques fragments d'une crauté perceptible dans le quotidien, l'auteur provoque la rencontre insolite du Freud de 1920, de Bion, de Lacan, de Nathalie Zaltzman, de René Major, mais aussi de Derrida, Blanchot, Faulkner, Saramago.
Entre ces auteurs, les « spectres » s'agitent, communiquent, s'opposent. Ils déconstruisent sans fin ce qui engendre la cruauté la plus ordinaire.
La pratique maintient le psychanalyste au plus près du malheur. Il apprend à en déchiffrer l'écriture singulière, à repérer ce qui maintient la mémoire des traumatismes initiaux. Il entend la « lettre qui manque » dans l'écriture de la parole, mais aussi « l'écriture du mal » dans la culture ambiante.
Pour desserrer l'emprise individuelle de la « pulsion de mort », il se doit d'énoncer cette cruauté, là où elle aurait tendance à se rendre très ordinaire, en particulier celle d'une humanité qui, d'un côté, soigne scientifiquement la douleur, et de l'autre, ne cesse de la reproduire ou feint de l'ignorer.

Auteur :
Jean Cooren, psychiatre, exerce la psychanalyse à Lille. Après une formation à la Société psychanalytique de Paris, il fréquente plusieurs associations de psychanalyse. Il anime divers séminaires et explore notamment, dans le sillage de Derrida, l'actualité de la psychanalyse et ses points de rencontre avec la littérature et la politique.