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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

vendredi 16 octobre 2009

Cinq leçons sur le crime et l'hystérie Patricia Parry Roman (broché). Paru en 10/2008


1885 : Sigmund Freud vient suivre à Paris les leçons sur l'hystérie du célèbre professeur Charcot. La psychanalyse n'existe pas encore. Le jeune étudiant viennois, qui ne dédaigne pas la cocaïne, dont il a découvert les effets stimulants, arpente la capitale et fait la connaissance, à la Salpêtrière, des premières femmes internes des hôpitaux. Et voici que Charcot l'appelle à l'aide pour élucider une série de meurtres, dont la mise en scène ne peut qu'exciter ses talents d'interprétation.

2008 : à Toulouse, la séance d'ouverture d'un colloque de psychiatrie vire au drame quand un des participants est retrouvé assassiné. La mise en scène macabre réveille les souvenirs d'Antoine Le Tellier. Bientôt, le jeune et séduisant psychiatre doit se rendre à l'évidence : les crimes qui ont marqué le premier séjour parisien de Freud sont à nouveau perpétrés un siècle plus tard. Des aliénistes d'hier aux psychiatres d'aujourd'hui, ce roman est une saisissante plongée dans le quotidien des praticiens, doublée d'un portrait de Freud marquant et plein d'audaces. Un polar à la fois énigmatique, haletant et sanglant. Patricia Parry est médecin psychiatre à Toulouse. Ses Cinq Leçons sur le crime et l'hystérie constituent, après Petits Arrangements avec l'infâme (Seuil, 2007), la deuxième aventure de son héros Antoine Le Tellier, et confirment son talent de romancière «au noir» - celui de l'âme, bien sûr.

Le meurtre du samedi matin Batya Gour


Pour les membres du prestigieux Institut de psychanalyse de Jérusalem, ce samedi restera à jamais le jour où l'indicible s'est produit : le docteur Eva Neidorf, analyste de renommée internationale, profondément aimée de ses collègues, a été retrouvée dans son bureau tuée d'une balle dans la tempe. Ses proches sont abasourdis. Il n'y a pas de mobile. Elle connaissait l'assassin et lui a elle-même ouvert la porte. Michaël Ohayon, confronté aux arcanes de ce milieu viscéralement tenu par la déontologie du secret, saura mettre à nu les raisons d'une telle violence. Il saura poser la question cruciale pour cette profession : que faire lorsque l'on détient sur un patient des informations moralement inacceptables ? Que faire si l'intégrité physique ou psychologique d'autres personnes est gravement en danger ?



Préserver une « éthique humaniste »

Le 16/10/2009
Santé et prison

http://www.lalsace.fr/fr/region/alsace/article/2089818,208/Preserver-une-ethique-humaniste.html









Pour Charlotte Herfray, psychanalyste, « l’éthique marchande colonise nos esprits ». Photo Dominique Gutekunst

Comment conserver, particulièrement en milieu carcéral, une démarche humaniste dans une société qui ne jure que par l’efficacité ? C’est l’une des questions abordées lors de la rencontre nationale de psychiatrie organisée ces jours-ci, à Brumath.

Santé, prison, éthique : rapprocher ces trois mots est un exercice délicat. Et cette difficulté ne ferait que croître, à en juger par les débats tenus actuellement à l’Établissement public de santé Alsace Nord (Epsan) de Brumath. « On veut continuer à privilégier la parole, le lien avec l’humain, mais ce n’est plus dans cet esprit-là que l’on nous demande de travailler », déplore le Dr Françoise Huck, qui dirige le Service médico-psychologique régional (SMPR).

« Résister »

Depuis avant-hier et jusqu’à ce soir, ce SMPR, qui veille sur la santé mentale des détenus alsaciens, organise à l’Epsan les 20 e rencontres des Secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (SPMP) et Unités pour malades difficiles (UMD). L’irruption dans le débat public de l’idée de castration chimique a renforcé la pertinence du thème retenu il y a plusieurs mois : l’éthique. Quelque 180 personnes, intervenant essentiellement en prison, participent à ces rencontres. « Le mot d’ordre, poursuit Françoise Huck, c’est résister. Nous, nous voulons toujours considérer le patient comme un sujet plutôt que comme un objet. Et ne pas céder à une gestion de l’émotion, au coup par coup. »

La psychanalyste strasbourgeoise Charlotte Herfray, qui a travaillé avec le personnel du SMPR, abonde dans ce sens en rappelant que « deux éthiques nous sollicitent : la marchande et l’humaniste. L’éthique marchande, qui colonise nos esprits, consiste à vouloir être le meilleur, à obtenir par exemple de grandes responsabilités quand on a seulement une vingtaine d’années… Or il y a des situations où l’efficacité nous exclut de l’humain. Le plus important, c’est l’être, pas l’efficacité. »

Hervé de Chalendar

LIRE Charlotte Herfray publie en novembre aux éditions Érès un livre intitulé Vivre avec autrui… ou le tuer !, sous-titré : La force de la haine dans les rapports humains. 150 pages, 20 €.

dimanche 11 octobre 2009






10/10/2009


Urgence aux hôpitaux de Paris

Semaine de 80 heures, sous-effectifs, désorganisation… l’AP-HP est frappée par une vague de suicides.

http://www.liberation.fr/economie/0101596303-urgence-aux-hopitaux-de-paris

Par Luc Peillon

Suicidé par injection. Dans la nuit du 13 au 14 septembre, Philippe R. (1), 32 ans, interne en anésthésie-réanimation, est retrouvé mort dans sa chambre de garde de l’hôpital Lariboisière à Paris, une seringue à ses côtés. Durant l’été, un infirmier, puis un ouvrier de l’établissement Saint-Louis, ont tenté de mettre fin à leurs jours. Les mois précédents, une secrétaire de la Pitié-Salpêtrière, en conflit avec sa hiérarchie, se jetait sous un train ; un agent technique de Trousseau se poignardait dans les couloirs de l’établissement, un agent de maîtrise se pendait à l’hôpital Robert-Debré. Sans remonter plus en amont, Estelle, 34 ans, cadre à l’hôpital Bichat, se pendait chez elle pendant l’été 2008 : la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) réglait peu après à sa famille un stock de 200 jours de repos non pris et d’heures sup… Au total, une dizaine de suicides ou de tentatives ont émaillé la vie de l’AP-HP depuis près d’un an. Autant de cas dont le contexte ou les témoignages des proches laissent suggérer un lien avec le travail.

«Danger grave». A la demande des représentants du personnel, un CHSCT extraordinaire (comité d’hygiène et de sécurité) s’est tenu vendredi matin. «Sans grandes avancées pour l’instant, regrettait à sa sortie Yannick Perrin, de SUD Santé. L’organisation hospitalière est devenue si violente que remonter la pente va être très difficile.» Restrictions budgétaires, regroupements d’établissements, mise en place de «process qualité» incongrus, les ingrédients qui bouent depuis des années dans la marmite «hôpital» sont en passe de la faire déborder. Et, sur ce point, l’AP-HP, qui regroupe une cinquantaine d’établissements en région parisienne, est un miroir à peine grossissant de la situation hospitalière en France. Des aides-soignants aux cadres, en passant par les médecins et les infirmières, le malaise induit par la pression budgétaire est patent.

A Lariboisière, Elisabeth Genest (CGT) voit de plus en plus de jeunes infirmières arriver «en pleurant» dans son local. «Elles doivent assurer coûte que coûte les soins aux patients, malgré les réductions d’effectifs renouvelées chaque année et les postes non pourvus parce que les conditions de travail sont telles qu’on n’arrive plus à recruter.» A Necker, le redéploiement du personnel «se fait dans une grande confusion», selon Michel Foucher (CFDT). «Une infirmière est changée de service du jour au lendemain, mais sans formation adéquate. On met le soignant en danger, et derrière lui, le patient.»

Une situation qui a poussé le syndicat, il y a quelques mois, à tirer la sonnette d’alarme pour «danger grave et imminent» au sein du secteur de gastro-entérologie. La possibilité de faire une bêtise «était alors énorme» dans un service où trois infirmières, dont une en période d’intégration, devaient s’occuper de 17 enfants «nourris par des tuyaux». A la Pitié, Didier Choplet (CFDT) a réclamé à la direction une étude (refusée), suite à «l’épuisement professionnel» du personnel qui assure, pour certaines catégories, jusqu’à 80 heures de travail par semaine. «L’encadrement de proximité, éreinté, prend des décisions incohérentes. La direction, elle, se dit impuissante. Nous sommes piégés, et tout le monde est très très mal.» Le tout dans un système de santé «qui se transforme en industrie du soin».

Rationné. A cela s’ajoutent les innovations de directions obligées de racler les fonds de tiroirs. Dans plusieurs hôpitaux, comme à Trousseau, la facturation par les soignants eux-mêmes est expérimentée, pour faire face à la réduction du personnel administratif. A Henri-Mondor, la directrice faisait payer un droit d’entrée au self pour les personnels venant avec leur propre gamelle. Elle est revenue en arrière sous la pression des agents. Dans d’autres établissements, la médiathèque est supprimée ou la crèche rationnée.

Mais le pire est à venir. Car, à cette situation déjà très tendue, va se greffer bientôt la mobilité imposée par les regroupements d’établissements. «Les équipes de soins, confrontées à des choses délicates comme la maladie et la mort, ont besoin de stabilité. Or ces évolutions vont percuter des collectifs qui sont déjà au bord de l’explosion», s’inquiète Elisabeth Genest, de Lariboisière. Normalement plus modéré, Thierry Amouroux, du Syndicat national des infirmiers, estime, lui, qu’«on a atteint le point de rupture». Preuve en est, selon lui : les cinq erreurs médicales en six mois liées au personnel infirmier. «Quand vous êtes épuisé et à flux tendu, c’est là que vous faites des erreurs. Et que vous mettez le patient en danger.»

Plutôt épargnés jusqu’alors, les médecins eux aussi montent au créneau. «En plus de l’asphyxie financière des établissements, on nous impose des process qualité déconnectés du terrain, explique Bruno Devergie, de la Confédération des praticiens hospitaliers. Ajoutés à la judiciarisation des rapports avec les patients, ces prescriptions rendent le climat de plus en plus oppressant.» Même inquiétudes pour Lola Fourcade, du Syndicat des internes de l’AP-HP : «Nous payons encore la baisse dramatique du numerus clausus des années 90. La charge de travail conduit de nombreux internes au burn-out.» Et de rapporter le cas d’un interne en chirurgie infantile qui, en raison de la charge de travail, a dû être hospitalisé pour dénutrition : il ne disposait plus du temps nécessaire pour se restaurer…
(1) Le prénom a été modifié








Économie 10/10/2009


«Parfois, on n’est pas loin de la maltraitance organisée»

Michèle* . 59 ans, infirmière en gériatrie :
Recueilli par L.P.

http://www.liberation.fr/economie/0101596305-parfois-on-n-est-pas-loin-de-la-maltraitance-organisee

«Lorsque j’ai commencé au service gériatrie, nous étions deux infirmières et six aides-soignantes pour 40 patients. Depuis la création des pôles, il y a deux ans, je suis seule avec quatre aides-soignantes pour 35 patients. Je suis seule car, lorsque nous sommes deux, ma collègue ou moi sommes envoyées dans un autre établissement. Devoir changer du jour au lendemain de service, avec des patients que l’on ne connaît pas, est très déstabilisant. Beaucoup ont alzheimer et ne connaissent même plus leur nom. Vous devez vérifier l’identité des gens, parfois en regardant ce qui est inscrit sur les pyjamas, pour ne pas vous tromper dans l’attribution des médicaments. Et quand vous les retrouvez dans la salle à manger, vous ne savez plus qui est qui. Vous ne connaissez pas non plus leur pathologie. La seule aide, c’est celle de l’ordinateur. Vous faîtes de l’abbatage, de la distribution mécanique de médicaments, alors que ce moment est censé être un instant privilégié avec le patient.

«Face à cette situation, l’encadrement nous dit d’"adapter notre stratégie". Sous entendu, de gagner du temps en s’organisant mieux. Or en gériatrie, il est impossible de réduire le temps consacré aux patients, sous peine de dégrader la qualité des soins. Quand quatre aides-soignantes doivent lever, laver, habiller et faire manger 35 personnes âgées, vous êtes déjà en flux tendu. Vous ne pouvez pas les bousculer. Pour les faire manger, il faut les installer, s’en occuper jusqu’à la dernière bouchée. Même donner à boire prend du temps. La conséquence, par exemple, c’est que beaucoup doivent être sous perfusion sous-cutanée la nuit pour être réhydratés, car les soignants n’ont pas pas pu les faire boire correctement dans la journée. Certaines fois, on n’est pas loin de la maltraitance organisée. Or ces perfusions sont prescrites par les médecins. Eux-mêmes savent donc, comme l’encadrement, à quel stade nous en sommes.
«J’aimais beaucoup mon travail. Mais, maintenant, lorsque je rentre le soir épuisée, je suis frustrée. J’ai le sentiment du travail mal fait, et ça, c’est terrible. Je dors mal la nuit, car je ne sais pas où je serai envoyée le lendemain. Je ne sais vraiment pas où l’on va. Mais je ne conseille à personne d’être malade aujourd’hui, et encore moins de vieillir à l’hôpital.»
* Le prénom a été modifié







Économie 10/10/2009

«Sur les suicides, la direction est officiellement dans le déni»

Christian*, 45 ans, directeur d’établissement à l’AP-HP :

http://www.liberation.fr/economie/0101596304-sur-les-suicides-la-direction-est-officiellement-dans-le-deni

«Je pense qu’on a atteint le point de rupture, voire qu’on l’a dépassé dans certains services. Le sentiment de ne pas y arriver, de ne pas pouvoir faire ce pour quoi on est formé, s’est répandu de manière très forte au sein de l’AP-HP. Car, au fur et à mesure des économies imposées, on a modifié le contenu même du travail. Parallèlement, on demande au personnel de suivre une démarche qualité en complète contradiction avec la dégradation des conditions de travail liée à la pression financière. Ce sont ces injonctions contradictoires qui provoquent aujourd’hui un tel malaise à l’hôpital. Nous-mêmes, en tant que directeurs d’établissements, nous subissons la pression de la direction centrale de l’AP-HP, qui subit à son tour une forte pression de Bercy. La direction, officiellement, est encore dans le déni sur la question des suicides ou du mal-être au travail. Mais nous avons eu, en interne, une sensibilisation sur ces questions il y a quelques semaines. Preuve qu’elle reconnaît les difficultés. Au moins officieusement.
«Cette politique, qui conduit à ces pressions, est d’autant moins justifiée qu’elle repose sur une notion très controversée : celle de déficit. C’est pour moi un abus de langage. Un établissement hospitalier n’a pas de marges de manœuvres sur ses dépenses, sauf à décider qu’il ferme les urgences quatre heures par jour pour réguler les entrées, ou qu’il va supprimer d’autorité un service. Ce qui est évidemment impossible. Ce n’est pas le directeur qui décide de l’existence de tel ou tel service, mais le ministère. Le déficit d’un établissement n’est donc rien d’autre que la baisse de l’enveloppe qui lui est allouée, et non compensée, puisqu’il y a un maintien, voire une hausse de l’activité de soins. Cette situation de pénurie génère aussi des tensions entre les services, et à l’intérieur des services eux-mêmes. Certains se plaignent d’être moins considérés que d’autres, notamment du fait de la mise en concurrence née de la tarification dite "à l’activité". Le personnel "éponge" pour l’instant toutes ces tensions, mais pour combien de temps encore ?
«Cette logique est dramatique pour l’avenir. D’autant qu’on met sous pression toute l’institution hospitalière pour moins d’un milliard d’euros de "déficit" annuel, alors qu’au même moment, on sait trouver des milliards pour un plan de relance ou de soutien au secteur bancaire. Je reste cependant optimiste car j’espère un sursaut de la part de nos responsables.»
* Le prénom a été modifié









Livres 08/10/2009 à 00h00

L’épris d’interprétation


http://www.liberation.fr/livres/0101595748-l-epris-d-interpretation

Critique


Soudain, Freud s’intéressa au rêve

Par ROBERT MAGGIORI

Gérard Huber Si c’était Freud. Biographie psychanalytique Le Bord de l’eau, 920 pp., 32 €.
Lydia Marinelli et Andreas Mayer Rêver avec Freud. L’histoire collective de l’Interprétation du rêve Traduit de l’allemand par Dominique Tassel, Aubier, 334 pp., 22 € (14 octobre).

Sigmund Freud a vécu quatre-vingt trois ans. On évalue - en ne comptant pas ses articles et ses ouvrages, très nombreux - à près de vingt mille le nombre de lettres qu’il a écrites. Ce qui veut dire, si on ôte les années d’enfance (bien qu’on dise qu’il lisait déjà Shakespeare à 8 ans), qu’il ne se passait pas un seul jour sans qu’il en rédigeât une. Entre le moment où ils se fiancent, le 10 juin 1882, et celui où ils se marient, le 13 septembre 1886, Freud et Martha Bernays échangent une correspondance de près de mille missives. Il semble naturel de considérer dès lors que l’«écriture de soi», tantôt directe, quand il dit je, tantôt indirecte, lorsqu’il parle de lui à la troisième personne, ne posait guère de problème au fondateur de la psychanalyse. L’«inventaire autobiographique» de Freud est si substantiel qu’il a représenté une manne pour ses futurs biographes. Mais il serait naïf de croire qu’aucune zone d’ombre ne subsiste - et d’ailleurs, un homme qui serait capable de tout «livrer» de lui, dans une parfaite transparence, ne serait pas un être humain. Dans le cas de Freud, ces zones d’ombre sont même délibérément créées. C’est de cette piste que part Si c’était Freud, l’imposante biographie que publie Gérard Huber, psychanalyste, spécialiste de bioéthique.

Voilà en effet ce que, le 28 avril 1885, Freud confie à sa fiancée : «J’ai détruit toutes mes notes de ces quatorze dernières années, ainsi que les lettres, les extraits scientifiques et les manuscrits de mes travaux.» Estimait-il nécessaire de brûler une archive contenant des notes théoriques, des interprétations de faits psychiques, des brouillons, des souvenirs, des récits de rêves, parce qu’il en avait déjà «extrait la quintessence» ou parce qu’il les tenait désormais pour caducs ? Ou voulait-il vraiment effacer des traces, dissimuler ? A l’époque, Freud n’est pas encore Freud. Il avait entamé une carrière en anatomo-physiologie du système nerveux, qui lui avait appris la rigueur scientifique mais où il avait moins étudié les maladies nerveuses qu’observé en laboratoire les cellules nerveuses, des écrevisses et des anguilles. Il avait été assistant à la clinique psychiatrique du professeur Meynert, s’était intéressé de près au cas «Anna O.» traité par son ami Joseph Breuer, avait examiné les propriétés anesthésiques de la cocaïne, obtenu la nomination comme Privatdozent à l’université de Vienne et s’apprêtait à se rendre à Paris pour suivre les cours de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière. Or, dans cette lettre à Martha d’avril 1885 - signe qu’il se voit déjà en «Freud» et qu’il songe à postérité - il ajoute, après avoir révélé la destruction de ses manuscrits, ces lignes, dont on ne sait si elles sont ironiques ou un tantinet sadiques : «Quant aux biographes, laissons-les se tourmenter, ne leur rendons pas la tâche trop facile.»

Portrait.

Ils n’ont guère été découragés, les biographes. Et, de fait, après Ernest Jones, ouvrant la voie avec ses trois volumes de la Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Peter Gay, Siegfried Bernfeld, Franck J. Sulloway, Marianne Krüll, Hans Sachs, Mauro Randone, Emilio Rodrigué, Max Schur, Roger Dadoun, Isidore Satger, Paul Roazen, Franz Wittels, pour ne citer que quelques noms, se sont attelés à la tâche et ont produit une «littérature biographique» qui, jointe aux travaux des historiens de la psychanalyse (Henri Ellenberger ou Elisabeth Roudinesco), aux divers Dictionnaires, aux analyses de la correspondance (avec Jung, Fliess, Ferenczi, Karl Abraham, Edorado Weiss, Arnold et Stefan Zweig, Max Eitingon, Lou Andreas-Salomé…), aux études consacrées à ses lectures, sa maison, ses voyages, sa famille, sa fille Anna, etc., a fini par ériger une imposante bibliothèque dans laquelle il y a risque de se perdre, mais dont on peut raisonnablement penser qu’elle contient «tout ce qu’on peut savoir» de Sigmund Freud. La biographie de Gérard Huber - la première, aussi exhaustive, qui soit signée par un auteur français - montre qu’il n’en est rien, qu’au portrait de Freud non seulement manquent quelques pièces, mais que certaines de celles qui le composent sont mal taillées ou usinées «après-coup», une fois Freud devenu le Freud de légende.

«Le principal patient qui m’occupe, c’est moi-même», écrit le Viennois dans une lettre du 14 août 1897 - c’est-à-dire deux ans avant que ne soit publiée l’Interprétation des rêves (ou «du rêve», comme on dit aujourd’hui). Cette attention à soi-même n’est cependant pas une simple introspection : Freud va en faire ce qu’on appelle son autoanalyse, fondatrice de la méthode de la psychanalyse - mais dont le fondateur se réservera l’exclusivité, en prescrivant qu’après lui tout prétendant à la fonction de psychanalyste se devra d’avoir été analysé par quelqu’un d’autre. Cette question de l’autoanalyse de Freud constitue déjà un point noir. Car, si «l’autobiographie est la matière même de son œuvre», écrit Huber, on s’étonne «qu’au moment de présenter le développement et le contenu de la psychanalyse dans un essai qui s’intitule Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, Freud enveloppe la découverte de l’autoanalyse et celle de l’interprétation du rêve d’un certain flou». Pourquoi a-t-il «délibérément refusé» de retracer avec minutie la façon dont l’idée de l’autoanalyse lui est venue à l’esprit ? La question est d’importance, car, s’il n’y a pas d’autoanalyse sans analyse des souvenirs et des rêves d’enfance, ne pas lui apporter de réponse interdit d’expliquer de manière satisfaisante pourquoi Freud a pris les rêves tellement au sérieux, et, puisque l’Interprétation des rêves signe la naissance de la psychanalyse, empêche aussi de comprendre, comme l’avaient déjà noté René Major et Chantal Talagrand, les circonstances exactes de cette naissance, «pour laquelle Freud aura, pour un temps, fait jouer à Breuer le rôle de père». Le biographe se trouverait donc bien embêté si, pour dissiper ces brumes, il n’ajoutait pas aux outils de la recherche biographique ceux de l’approche psychanalytique, aptes à saisir des aspects de la personnalité de Freud restés jusqu’à présent hors d’atteinte. C’est ce que fait Gérard Huber, sur ce thème de l’autoanalyse comme sur une infinité d’autres, tels que le transfert de Freud à Fliess, son rapport au judaïsme, à l’antisémitisme et à l’anti-antisémitisme, à la féminité, à la politique, son combat contre la maladie et la mort, ses références à Darwin, sa lecture de Nietzsche (ou «l’impératif de quitter Nietzsche»). Sa «biographie psychanalytique», touffue, ne négligeant aucun fait, qu’il soit concret ou psychique, effectue certes un travail sur ce que Freud, au moment même où il le vivait, a lui-même dit et analysé, mais aussi sur ce qu’il n’a pas dit, sur ce qui reste «inanalysé»

«Référent».

Gérard Huber donne, à juste titre, une importance capitale aux rêves, que Freud notait déjà dans son enfance. De fait, l’Interprétation des rêves, publié en 1899, a un statut de texte fondateur. Mais est-ce parce qu’il est le témoignage de l’autobiographie de Freud ? Il n’est pas inintéressant, en regard de Si c’était Freud, de lire Rêver avec Freud, d’Andreas Mayer et Lydia Marinelli. L’ouvrage présente en effet une «histoire collective» de l’Interprétation des rêves, en suivant les phases de son élaboration, les transformations introduites lors des rééditions et les étapes de la réception au sein de la communauté scientifique. Les auteurs comparent les huit éditions de Die Traumdeutung, analysent les textes d’autres contributeurs - dont Otto Rank - que Freud va finalement retirer, posent la question de la traduction, et produisent maints documents inédits.

Envisagée du point de vue de l’histoire et de la sociologie des sciences, l’Interprétation ne se révèle pas comme «référent stable» dans le mouvement psychanalytique. D’abord, il joue comme «manuel» pour des lecteurs qui, par «contact personnel avec Freud», s’initient à une méthode encore peu diffuse. Dans une deuxième phase, le livre devient une sorte de dictionnaire des symboles. Il «s’élargit» considérablement par l’apport des discussions nées dans les revues et étend la «collecte des données symboliques» au domaine du mythe et de la littérature. Le livre est alors le foyer d’où irradie la psychanalyse et où se manifeste toute une série de problèmes théoriques, méthodologiques et thérapeutiques qui la font progresser, y compris grâce aux polémiques. Dans la troisième phase, l’ouvrage est promu au rang de «classique» et de «document historique», sinon de monument.

Lasers.

Si c’était Freud : histoire d’une vie. Rêver avec Freud : histoire d’un texte. Difficile de séparer les deux, quand le texte est lu comme fragment d’une autobiographie. Difficile aussi de les conjoindre en évitant de les superposer, car, l’un sur l’autre, ils créent des opacités - surtout si, de l’autoanalyse de Freud, on fait le symptôme, selon le mot de Henri Ellenberger, d’une «maladie créatrice» relevant plus de la mystique que de la science. Peut-être, alors, faut-il considérer et la biographie de Freud et l’Interprétation des rêves, son ouvrage canonique, comme des œuvres d’art, qui, analysées, décortiquées, soumises à tous les lasers interprétatifs, continuent, telle une source inépuisable, à produire du sens, de nouveaux sens - et, ainsi, gardent leur mystère.
ou sur ce que Freud laisse stratégiquement hors de son autoanalyse.

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