Livres 08/10/2009 à 00h00
L’épris d’interprétation
http://www.liberation.fr/livres/0101595748-l-epris-d-interpretation
Critique
Soudain, Freud s’intéressa au rêve
Par ROBERT MAGGIORI
Gérard Huber Si c’était Freud. Biographie psychanalytique Le Bord de l’eau, 920 pp., 32 €.
Lydia Marinelli et Andreas Mayer Rêver avec Freud. L’histoire collective de l’Interprétation du rêve Traduit de l’allemand par Dominique Tassel, Aubier, 334 pp., 22 € (14 octobre).
Sigmund Freud a vécu quatre-vingt trois ans. On évalue - en ne comptant pas ses articles et ses ouvrages, très nombreux - à près de vingt mille le nombre de lettres qu’il a écrites. Ce qui veut dire, si on ôte les années d’enfance (bien qu’on dise qu’il lisait déjà Shakespeare à 8 ans), qu’il ne se passait pas un seul jour sans qu’il en rédigeât une. Entre le moment où ils se fiancent, le 10 juin 1882, et celui où ils se marient, le 13 septembre 1886, Freud et Martha Bernays échangent une correspondance de près de mille missives. Il semble naturel de considérer dès lors que l’«écriture de soi», tantôt directe, quand il dit je, tantôt indirecte, lorsqu’il parle de lui à la troisième personne, ne posait guère de problème au fondateur de la psychanalyse. L’«inventaire autobiographique» de Freud est si substantiel qu’il a représenté une manne pour ses futurs biographes. Mais il serait naïf de croire qu’aucune zone d’ombre ne subsiste - et d’ailleurs, un homme qui serait capable de tout «livrer» de lui, dans une parfaite transparence, ne serait pas un être humain. Dans le cas de Freud, ces zones d’ombre sont même délibérément créées. C’est de cette piste que part Si c’était Freud, l’imposante biographie que publie Gérard Huber, psychanalyste, spécialiste de bioéthique.
Voilà en effet ce que, le 28 avril 1885, Freud confie à sa fiancée : «J’ai détruit toutes mes notes de ces quatorze dernières années, ainsi que les lettres, les extraits scientifiques et les manuscrits de mes travaux.» Estimait-il nécessaire de brûler une archive contenant des notes théoriques, des interprétations de faits psychiques, des brouillons, des souvenirs, des récits de rêves, parce qu’il en avait déjà «extrait la quintessence» ou parce qu’il les tenait désormais pour caducs ? Ou voulait-il vraiment effacer des traces, dissimuler ? A l’époque, Freud n’est pas encore Freud. Il avait entamé une carrière en anatomo-physiologie du système nerveux, qui lui avait appris la rigueur scientifique mais où il avait moins étudié les maladies nerveuses qu’observé en laboratoire les cellules nerveuses, des écrevisses et des anguilles. Il avait été assistant à la clinique psychiatrique du professeur Meynert, s’était intéressé de près au cas «Anna O.» traité par son ami Joseph Breuer, avait examiné les propriétés anesthésiques de la cocaïne, obtenu la nomination comme Privatdozent à l’université de Vienne et s’apprêtait à se rendre à Paris pour suivre les cours de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière. Or, dans cette lettre à Martha d’avril 1885 - signe qu’il se voit déjà en «Freud» et qu’il songe à postérité - il ajoute, après avoir révélé la destruction de ses manuscrits, ces lignes, dont on ne sait si elles sont ironiques ou un tantinet sadiques : «Quant aux biographes, laissons-les se tourmenter, ne leur rendons pas la tâche trop facile.»
Portrait.
Ils n’ont guère été découragés, les biographes. Et, de fait, après Ernest Jones, ouvrant la voie avec ses trois volumes de la Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Peter Gay, Siegfried Bernfeld, Franck J. Sulloway, Marianne Krüll, Hans Sachs, Mauro Randone, Emilio Rodrigué, Max Schur, Roger Dadoun, Isidore Satger, Paul Roazen, Franz Wittels, pour ne citer que quelques noms, se sont attelés à la tâche et ont produit une «littérature biographique» qui, jointe aux travaux des historiens de la psychanalyse (Henri Ellenberger ou Elisabeth Roudinesco), aux divers Dictionnaires, aux analyses de la correspondance (avec Jung, Fliess, Ferenczi, Karl Abraham, Edorado Weiss, Arnold et Stefan Zweig, Max Eitingon, Lou Andreas-Salomé…), aux études consacrées à ses lectures, sa maison, ses voyages, sa famille, sa fille Anna, etc., a fini par ériger une imposante bibliothèque dans laquelle il y a risque de se perdre, mais dont on peut raisonnablement penser qu’elle contient «tout ce qu’on peut savoir» de Sigmund Freud. La biographie de Gérard Huber - la première, aussi exhaustive, qui soit signée par un auteur français - montre qu’il n’en est rien, qu’au portrait de Freud non seulement manquent quelques pièces, mais que certaines de celles qui le composent sont mal taillées ou usinées «après-coup», une fois Freud devenu le Freud de légende.
«Le principal patient qui m’occupe, c’est moi-même», écrit le Viennois dans une lettre du 14 août 1897 - c’est-à-dire deux ans avant que ne soit publiée l’Interprétation des rêves (ou «du rêve», comme on dit aujourd’hui). Cette attention à soi-même n’est cependant pas une simple introspection : Freud va en faire ce qu’on appelle son autoanalyse, fondatrice de la méthode de la psychanalyse - mais dont le fondateur se réservera l’exclusivité, en prescrivant qu’après lui tout prétendant à la fonction de psychanalyste se devra d’avoir été analysé par quelqu’un d’autre. Cette question de l’autoanalyse de Freud constitue déjà un point noir. Car, si «l’autobiographie est la matière même de son œuvre», écrit Huber, on s’étonne «qu’au moment de présenter le développement et le contenu de la psychanalyse dans un essai qui s’intitule Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, Freud enveloppe la découverte de l’autoanalyse et celle de l’interprétation du rêve d’un certain flou». Pourquoi a-t-il «délibérément refusé» de retracer avec minutie la façon dont l’idée de l’autoanalyse lui est venue à l’esprit ? La question est d’importance, car, s’il n’y a pas d’autoanalyse sans analyse des souvenirs et des rêves d’enfance, ne pas lui apporter de réponse interdit d’expliquer de manière satisfaisante pourquoi Freud a pris les rêves tellement au sérieux, et, puisque l’Interprétation des rêves signe la naissance de la psychanalyse, empêche aussi de comprendre, comme l’avaient déjà noté René Major et Chantal Talagrand, les circonstances exactes de cette naissance, «pour laquelle Freud aura, pour un temps, fait jouer à Breuer le rôle de père». Le biographe se trouverait donc bien embêté si, pour dissiper ces brumes, il n’ajoutait pas aux outils de la recherche biographique ceux de l’approche psychanalytique, aptes à saisir des aspects de la personnalité de Freud restés jusqu’à présent hors d’atteinte. C’est ce que fait Gérard Huber, sur ce thème de l’autoanalyse comme sur une infinité d’autres, tels que le transfert de Freud à Fliess, son rapport au judaïsme, à l’antisémitisme et à l’anti-antisémitisme, à la féminité, à la politique, son combat contre la maladie et la mort, ses références à Darwin, sa lecture de Nietzsche (ou «l’impératif de quitter Nietzsche»). Sa «biographie psychanalytique», touffue, ne négligeant aucun fait, qu’il soit concret ou psychique, effectue certes un travail sur ce que Freud, au moment même où il le vivait, a lui-même dit et analysé, mais aussi sur ce qu’il n’a pas dit, sur ce qui reste «inanalysé»
«Référent».
Gérard Huber donne, à juste titre, une importance capitale aux rêves, que Freud notait déjà dans son enfance. De fait, l’Interprétation des rêves, publié en 1899, a un statut de texte fondateur. Mais est-ce parce qu’il est le témoignage de l’autobiographie de Freud ? Il n’est pas inintéressant, en regard de Si c’était Freud, de lire Rêver avec Freud, d’Andreas Mayer et Lydia Marinelli. L’ouvrage présente en effet une «histoire collective» de l’Interprétation des rêves, en suivant les phases de son élaboration, les transformations introduites lors des rééditions et les étapes de la réception au sein de la communauté scientifique. Les auteurs comparent les huit éditions de Die Traumdeutung, analysent les textes d’autres contributeurs - dont Otto Rank - que Freud va finalement retirer, posent la question de la traduction, et produisent maints documents inédits.
Envisagée du point de vue de l’histoire et de la sociologie des sciences, l’Interprétation ne se révèle pas comme «référent stable» dans le mouvement psychanalytique. D’abord, il joue comme «manuel» pour des lecteurs qui, par «contact personnel avec Freud», s’initient à une méthode encore peu diffuse. Dans une deuxième phase, le livre devient une sorte de dictionnaire des symboles. Il «s’élargit» considérablement par l’apport des discussions nées dans les revues et étend la «collecte des données symboliques» au domaine du mythe et de la littérature. Le livre est alors le foyer d’où irradie la psychanalyse et où se manifeste toute une série de problèmes théoriques, méthodologiques et thérapeutiques qui la font progresser, y compris grâce aux polémiques. Dans la troisième phase, l’ouvrage est promu au rang de «classique» et de «document historique», sinon de monument.
Lasers.
Si c’était Freud : histoire d’une vie. Rêver avec Freud : histoire d’un texte. Difficile de séparer les deux, quand le texte est lu comme fragment d’une autobiographie. Difficile aussi de les conjoindre en évitant de les superposer, car, l’un sur l’autre, ils créent des opacités - surtout si, de l’autoanalyse de Freud, on fait le symptôme, selon le mot de Henri Ellenberger, d’une «maladie créatrice» relevant plus de la mystique que de la science. Peut-être, alors, faut-il considérer et la biographie de Freud et l’Interprétation des rêves, son ouvrage canonique, comme des œuvres d’art, qui, analysées, décortiquées, soumises à tous les lasers interprétatifs, continuent, telle une source inépuisable, à produire du sens, de nouveaux sens - et, ainsi, gardent leur mystère. ou sur ce que Freud laisse stratégiquement hors de son autoanalyse.
Tendance Floue
L’épris d’interprétation
http://www.liberation.fr/livres/0101595748-l-epris-d-interpretation
Critique
Soudain, Freud s’intéressa au rêve
Par ROBERT MAGGIORI
Gérard Huber Si c’était Freud. Biographie psychanalytique Le Bord de l’eau, 920 pp., 32 €.
Lydia Marinelli et Andreas Mayer Rêver avec Freud. L’histoire collective de l’Interprétation du rêve Traduit de l’allemand par Dominique Tassel, Aubier, 334 pp., 22 € (14 octobre).
Sigmund Freud a vécu quatre-vingt trois ans. On évalue - en ne comptant pas ses articles et ses ouvrages, très nombreux - à près de vingt mille le nombre de lettres qu’il a écrites. Ce qui veut dire, si on ôte les années d’enfance (bien qu’on dise qu’il lisait déjà Shakespeare à 8 ans), qu’il ne se passait pas un seul jour sans qu’il en rédigeât une. Entre le moment où ils se fiancent, le 10 juin 1882, et celui où ils se marient, le 13 septembre 1886, Freud et Martha Bernays échangent une correspondance de près de mille missives. Il semble naturel de considérer dès lors que l’«écriture de soi», tantôt directe, quand il dit je, tantôt indirecte, lorsqu’il parle de lui à la troisième personne, ne posait guère de problème au fondateur de la psychanalyse. L’«inventaire autobiographique» de Freud est si substantiel qu’il a représenté une manne pour ses futurs biographes. Mais il serait naïf de croire qu’aucune zone d’ombre ne subsiste - et d’ailleurs, un homme qui serait capable de tout «livrer» de lui, dans une parfaite transparence, ne serait pas un être humain. Dans le cas de Freud, ces zones d’ombre sont même délibérément créées. C’est de cette piste que part Si c’était Freud, l’imposante biographie que publie Gérard Huber, psychanalyste, spécialiste de bioéthique.
Voilà en effet ce que, le 28 avril 1885, Freud confie à sa fiancée : «J’ai détruit toutes mes notes de ces quatorze dernières années, ainsi que les lettres, les extraits scientifiques et les manuscrits de mes travaux.» Estimait-il nécessaire de brûler une archive contenant des notes théoriques, des interprétations de faits psychiques, des brouillons, des souvenirs, des récits de rêves, parce qu’il en avait déjà «extrait la quintessence» ou parce qu’il les tenait désormais pour caducs ? Ou voulait-il vraiment effacer des traces, dissimuler ? A l’époque, Freud n’est pas encore Freud. Il avait entamé une carrière en anatomo-physiologie du système nerveux, qui lui avait appris la rigueur scientifique mais où il avait moins étudié les maladies nerveuses qu’observé en laboratoire les cellules nerveuses, des écrevisses et des anguilles. Il avait été assistant à la clinique psychiatrique du professeur Meynert, s’était intéressé de près au cas «Anna O.» traité par son ami Joseph Breuer, avait examiné les propriétés anesthésiques de la cocaïne, obtenu la nomination comme Privatdozent à l’université de Vienne et s’apprêtait à se rendre à Paris pour suivre les cours de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière. Or, dans cette lettre à Martha d’avril 1885 - signe qu’il se voit déjà en «Freud» et qu’il songe à postérité - il ajoute, après avoir révélé la destruction de ses manuscrits, ces lignes, dont on ne sait si elles sont ironiques ou un tantinet sadiques : «Quant aux biographes, laissons-les se tourmenter, ne leur rendons pas la tâche trop facile.»
Portrait.
Ils n’ont guère été découragés, les biographes. Et, de fait, après Ernest Jones, ouvrant la voie avec ses trois volumes de la Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Peter Gay, Siegfried Bernfeld, Franck J. Sulloway, Marianne Krüll, Hans Sachs, Mauro Randone, Emilio Rodrigué, Max Schur, Roger Dadoun, Isidore Satger, Paul Roazen, Franz Wittels, pour ne citer que quelques noms, se sont attelés à la tâche et ont produit une «littérature biographique» qui, jointe aux travaux des historiens de la psychanalyse (Henri Ellenberger ou Elisabeth Roudinesco), aux divers Dictionnaires, aux analyses de la correspondance (avec Jung, Fliess, Ferenczi, Karl Abraham, Edorado Weiss, Arnold et Stefan Zweig, Max Eitingon, Lou Andreas-Salomé…), aux études consacrées à ses lectures, sa maison, ses voyages, sa famille, sa fille Anna, etc., a fini par ériger une imposante bibliothèque dans laquelle il y a risque de se perdre, mais dont on peut raisonnablement penser qu’elle contient «tout ce qu’on peut savoir» de Sigmund Freud. La biographie de Gérard Huber - la première, aussi exhaustive, qui soit signée par un auteur français - montre qu’il n’en est rien, qu’au portrait de Freud non seulement manquent quelques pièces, mais que certaines de celles qui le composent sont mal taillées ou usinées «après-coup», une fois Freud devenu le Freud de légende.
«Le principal patient qui m’occupe, c’est moi-même», écrit le Viennois dans une lettre du 14 août 1897 - c’est-à-dire deux ans avant que ne soit publiée l’Interprétation des rêves (ou «du rêve», comme on dit aujourd’hui). Cette attention à soi-même n’est cependant pas une simple introspection : Freud va en faire ce qu’on appelle son autoanalyse, fondatrice de la méthode de la psychanalyse - mais dont le fondateur se réservera l’exclusivité, en prescrivant qu’après lui tout prétendant à la fonction de psychanalyste se devra d’avoir été analysé par quelqu’un d’autre. Cette question de l’autoanalyse de Freud constitue déjà un point noir. Car, si «l’autobiographie est la matière même de son œuvre», écrit Huber, on s’étonne «qu’au moment de présenter le développement et le contenu de la psychanalyse dans un essai qui s’intitule Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, Freud enveloppe la découverte de l’autoanalyse et celle de l’interprétation du rêve d’un certain flou». Pourquoi a-t-il «délibérément refusé» de retracer avec minutie la façon dont l’idée de l’autoanalyse lui est venue à l’esprit ? La question est d’importance, car, s’il n’y a pas d’autoanalyse sans analyse des souvenirs et des rêves d’enfance, ne pas lui apporter de réponse interdit d’expliquer de manière satisfaisante pourquoi Freud a pris les rêves tellement au sérieux, et, puisque l’Interprétation des rêves signe la naissance de la psychanalyse, empêche aussi de comprendre, comme l’avaient déjà noté René Major et Chantal Talagrand, les circonstances exactes de cette naissance, «pour laquelle Freud aura, pour un temps, fait jouer à Breuer le rôle de père». Le biographe se trouverait donc bien embêté si, pour dissiper ces brumes, il n’ajoutait pas aux outils de la recherche biographique ceux de l’approche psychanalytique, aptes à saisir des aspects de la personnalité de Freud restés jusqu’à présent hors d’atteinte. C’est ce que fait Gérard Huber, sur ce thème de l’autoanalyse comme sur une infinité d’autres, tels que le transfert de Freud à Fliess, son rapport au judaïsme, à l’antisémitisme et à l’anti-antisémitisme, à la féminité, à la politique, son combat contre la maladie et la mort, ses références à Darwin, sa lecture de Nietzsche (ou «l’impératif de quitter Nietzsche»). Sa «biographie psychanalytique», touffue, ne négligeant aucun fait, qu’il soit concret ou psychique, effectue certes un travail sur ce que Freud, au moment même où il le vivait, a lui-même dit et analysé, mais aussi sur ce qu’il n’a pas dit, sur ce qui reste «inanalysé»
«Référent».
Gérard Huber donne, à juste titre, une importance capitale aux rêves, que Freud notait déjà dans son enfance. De fait, l’Interprétation des rêves, publié en 1899, a un statut de texte fondateur. Mais est-ce parce qu’il est le témoignage de l’autobiographie de Freud ? Il n’est pas inintéressant, en regard de Si c’était Freud, de lire Rêver avec Freud, d’Andreas Mayer et Lydia Marinelli. L’ouvrage présente en effet une «histoire collective» de l’Interprétation des rêves, en suivant les phases de son élaboration, les transformations introduites lors des rééditions et les étapes de la réception au sein de la communauté scientifique. Les auteurs comparent les huit éditions de Die Traumdeutung, analysent les textes d’autres contributeurs - dont Otto Rank - que Freud va finalement retirer, posent la question de la traduction, et produisent maints documents inédits.
Envisagée du point de vue de l’histoire et de la sociologie des sciences, l’Interprétation ne se révèle pas comme «référent stable» dans le mouvement psychanalytique. D’abord, il joue comme «manuel» pour des lecteurs qui, par «contact personnel avec Freud», s’initient à une méthode encore peu diffuse. Dans une deuxième phase, le livre devient une sorte de dictionnaire des symboles. Il «s’élargit» considérablement par l’apport des discussions nées dans les revues et étend la «collecte des données symboliques» au domaine du mythe et de la littérature. Le livre est alors le foyer d’où irradie la psychanalyse et où se manifeste toute une série de problèmes théoriques, méthodologiques et thérapeutiques qui la font progresser, y compris grâce aux polémiques. Dans la troisième phase, l’ouvrage est promu au rang de «classique» et de «document historique», sinon de monument.
Lasers.
Si c’était Freud : histoire d’une vie. Rêver avec Freud : histoire d’un texte. Difficile de séparer les deux, quand le texte est lu comme fragment d’une autobiographie. Difficile aussi de les conjoindre en évitant de les superposer, car, l’un sur l’autre, ils créent des opacités - surtout si, de l’autoanalyse de Freud, on fait le symptôme, selon le mot de Henri Ellenberger, d’une «maladie créatrice» relevant plus de la mystique que de la science. Peut-être, alors, faut-il considérer et la biographie de Freud et l’Interprétation des rêves, son ouvrage canonique, comme des œuvres d’art, qui, analysées, décortiquées, soumises à tous les lasers interprétatifs, continuent, telle une source inépuisable, à produire du sens, de nouveaux sens - et, ainsi, gardent leur mystère. ou sur ce que Freud laisse stratégiquement hors de son autoanalyse.
Tendance Floue
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