La crise sanitaire n’a pas motivé son choix mais l’a clairement conforté : «Je n’aurais pas supporté de ne pouvoir avoir mon mari à mes côtés qu’au moment des derniers efforts», tranche Aline. A 32 ans, cette assistante commerciale en congé parental a décidé de donner en juin 2020 à son deuxième garçon chez elle, dans le Haut-Rhin. «Si c’était à refaire, je le referais tout de suite !» enchaîne-t-elle, louant «un moment vécu et ressenti pleinement», dans lequel «le papa avait une place à part entière». Ce qui a frappé la jeune femme, c’est la différence avec son premier accouchement, à l’hôpital avec une péridurale, il y a quatre ans. «Ce n’était pas traumatisant, mais certaines choses m’ont déplu», se souvient Aline, citant entre autres un manque d’intimité qui l’a parfois fait se sentir «comme une bête au zoo», une position allongée contrainte de bout en bout, des touchers vaginaux pratiqués sans qu’on lui demande son avis ou encore des demandes de poussées quand, pour elle, ça n’était pas le moment. Alors, pour cette deuxième grossesse, après s’être assurés qu’il n’y avait aucune contre-indication, Aline et son mari ont voulu donner naissance à leur fils dans leur chambre, en présence d’une sage-femme «devenue comme un membre de la famille».
Comme Aline, de plus en plus de femmes souhaitent accoucher chez elles. Selon l’Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile (Apaad), en 2020, 1 503 femmes ont été suivies en vue d’un accouchement à la maison en présence d’une sage-femme. Au final, 1 239 femmes ont effectivement entamé le travail de la sorte (sur les 736 000 naissances survenues en 2020), contre 913 en 2018. Selon un sondage Ifop réalisé en janvier 2021 pour l’Apaad, plus d’un tiers des femmes de 18 à 45 ans interrogées (36%) disent souhaiter accoucher à domicile si elles en avaient la possibilité. «La demande a explosé depuis le Covid. Je refuse une à deux femmes par jour», confirme Isabelle Deputier, sage-femme à domicile depuis plus de vingt ans à Mérignac (Gironde), qui prend en charge une dizaine de femmes par mois. Pointées du doigt à plusieurs reprises par des militantes féministes contre les violences gynécologiques et obstétricales, les conditions d’accouchement au début de la pandémie ont sans doute contribué à convaincre certaines femmes de tenter de trouver des alternatives, pour éviter d’avoir à accoucher masquées ou en l’absence de leur conjoint.
«Relation de confiance»
Pour autant, toutes n’y sont pas éligibles : une grossesse gémellaire, un diabète ou encore de l’hypertension sont autant de facteurs de risque éliminatoires, tout comme un trop grand éloignement d’une maternité. «Cette demande croissante est une source d’inquiétude énorme», s’alarme le docteur Emmanuel Peigné, vice-président du syndicat des gynécologues (Syngof), qui pointe des risques importants pour la mère comme l’enfant, pouvant aller jusqu’au décès, égrenant «les hémorragies de la délivrance sans aucun signe avant-coureur ou des anomalies du rythme cardiaque fœtal conduisant à des césariennes en cours de travail». Sur les 18% de césariennes pratiquées dans la polyclinique du Rhône où il exerce, un quart le sont pour ce motif, estime-t-il. «Dans certains pays comme les Pays-Bas, accoucher à domicile est une pratique répandue. Mais le pays est aussi beaucoup moins étendu, et avec davantage de possibilités pour les femmes d’être prises en charge rapidement en cas de besoin», avertit le médecin.
«Les femmes dont je suis la grossesse mettent en avant leur souhait d’un cadre intime, qui les détend et les apaise, et apprécient la relation de confiance qu’on noue avec le couple, puisqu’on les accompagne de bout en bout», souligne la sage-femme Isabelle Deputier. Yonith, historienne parisienne de 36 ans, a accouché en octobre 2020 de son deuxième enfant dans son salon, «un genou à terre, en position du chevalier». Loin de son premier accouchement à la maternité où elle avait été confrontée à au moins quatre ou cinq sages-femmes qu’elle ne connaissait pas, la jeune femme a cette fois apprécié une «vraie rencontre amicale» avec la maïeuticienne qui l’a épaulée. «C’était vraiment un moment fou, dingue de bienveillance et, surtout, à notre rythme», s’enthousiasme quant à elle Sara, Parisienne de 40 ans qui a donné naissance à sa troisième fille dans sa chambre, en 2015, après deux accouchements en maternité puis en maison de naissance. «Bien sûr, il y a eu ce moment où j’ai eu tellement mal que j’ai cru mourir, mais ça faisait partie du truc, et je le savais. Si ça tournait mal, on avait le temps d’aller à l’hôpital. S’il y avait eu quoi que ce soit et qu’il avait fallu renoncer, on l’aurait fait. On n’est pas les inconscients qu’on imagine trop souvent, ni des ayatollahs du domicile à tout prix», plaide-t-elle.
«Chasse aux sorcières»
La quadragénaire déplore que les femmes n’aient pas davantage le choix, en raison du faible nombre de sages-femmes exerçant à domicile (environ 80 professionnelles dans toute la France). Depuis la loi Kouchner de 2002, les sages-femmes à domicile doivent être assurées. Or, le coût des primes exigées est prohibitif : entre 22 000 euros et 25 000 euros par an, selon l’Apaad. «Ce n’est même pas ce qu’on gagne !» peste Isabelle Deputier. «Dans tous les domaines, y compris chez les artisans, les professionnels sont assurés. Et nous, qui sommes au cœur du vivant, on ne le peut pas ?» tonne Isabelle Koenig, vice-présidente de l’Apaad. De fait, la quasi-totalité des maïeuticiennes exerçant à domicile ne sont pas assurées, s’exposant à des risques de lourdes sanctions financières en cas de procédure judiciaire. «Cette crispation relève d’une chasse aux sorcières idéologique», s’insurge Marie-Hélène Lahaye, juriste et militante féministe autrice d’Accouchement: les femmes méritent mieux (éd. Michalon, 2018). «Le risque réel, c’est que de plus en plus de femmes décident d’accoucher seules chez elles, faute de professionnelles disponibles. Certaines d’entre elles se tournent vers des femmes à la formation discutable, voire vers des charlatans, avec tous les risques que cela induit», avertit-elle. Certaines de ces praticiennes autoproclamées proposent leurs conseils sur les réseaux sociaux ou à travers des webinaires, pour des sommes pouvant atteindre plusieurs centaines d’euros.
C’est là la grande inconnue de l’accouchement à domicile : combien de femmes officient sans aucun accompagnement ? Faute de données officielles, l’Apaad a fait circuler un questionnaire aux 900 femmes confrontées à un refus, faute de praticiennes disponibles, entre janvier et mi-novembre 2021. «22% d’entre elles se disaient prêtes à accoucher sans accompagnement, même si cela ne veut pas dire qu’elles l’ont fait», précise Isabelle Koenig. Pour elle, il est grand temps «que la France se réveille» sur cette question des assurances qui empêche une nouvelle génération de sages-femmes d’exercer à domicile : «Avec les accouchements non accompagnés, on risque des catastrophes.» En pareils cas, les parents, eux, s’exposent à une enquête des services sociaux.