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dimanche 2 janvier 2022

Non, le masque ne va pas rendre votre enfant autiste!

par Christian Lehmann   publié le 1er janvier 2022

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour « Libération » il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il donne la parole à un médecin aux urgences pédiatriques qui dénonce la désinformation et l’instrumentalisation des enfants par les antivax et autres complotistes. 

Depuis le début de la pandémie, la Société française de pédiatrie (SFP) a freiné des quatre fers en prétendant protéger les enfants, arguant que ces derniers n’étaient pas à risque, ne contaminaient pas et que les mesures barrières nuisaient à leur santé psychique. Ce déni répété a conforté l’immobilisme du ministre de l’Education, même si l’évolution de la pandémie a constamment amené la SFP à manger son chapeau sur les masques, sur la contamination et plus récemment sur la vaccination. Dans le même temps, des groupes de citoyens vigilants autoproclamés ont vu dans les mesures de protection des enfants un immense complot génocidaire et se sont inventés en ultimes résistants, répliquant le délire QAnon. Nicolas Winter, 34 ans, médecin aux urgences pédiatriques du centre hospitalier de Valenciennes, décrypte la manière dont les enfants sont instrumentalisés pendant cette pandémie.

«Tout commence par la peur. La peur d’une partie de la population à qui certains ont expliqué que le masque allait retenir les miasmes et fragiliser l’immunité des gens qui le portent. Pire encore, le masque augmenterait la concentration en CO2 et entraînerait une désaturation en oxygène. Les soignants le portent depuis des années sans être morts par centaines. Mais une légende urbaine se fout un peu de la cohérence du réel.

Dès lors, comment propager la peur de façon encore plus efficace pour une minorité complotiste et bientôt antivax ? Cibler une population que tout le monde veut protéger et sur laquelle l’erreur est impensable : les enfants. D’où la polémique sur les conséquences sociales et médicales du masque chez l’enfant, qui diminuerait leurs défenses immunitaires, détruirait leur développement et décuplerait les symptômes anxio-dépressifs.

Ici et là fleurissent des vidéos de gens qui mesurent la saturation au doigt mouillé avec n’importe quel appareil low cost et /ou dans n’importe quelles conditions en criant au génocide dès que le capteur capte mal pendant deux minutes. Ainsi, on se retrouve avec des vidéos de gamins qui ont 82 % de saturation mais sourient et sont tout roses et toniques.

Et vas-y que je te publie des articles sur des enfants qui ne savent plus sourire avec le masque, sur des enfants ultra-anxieux incapables de socialiser, sur des enfants de plus en plus faibles physiquement et mentalement. C’est l’apocalypse, le drame, on nous promet des enfants morts par milliers ou, au moins, qui refusent de manger leurs céréales le matin.

La réalité est tout autre. Aux urgences pédiatriques, je vois des centaines d’enfants par semaine et je n’y constate aucune conséquence du masque. Mais une différence évidente s’impose à mes yeux. Plus l’enfant a un parent derrière lui qui insiste sur le masque, son inconfort et ce qu’il entraîne comme désagrément et plus l’enfant est nerveux, mal à l’aise et inconfortable lui-même. Au contraire, un parent qui a bien expliqué l’intérêt du masque et son principe n’a aucun problème avec un enfant qui ne semble même plus remarquer qu’il porte un masque.

Plus un parent est stressé par le masque et la pandémie, par ce qu’il lit et transmet et plus l’enfant angoisse et somatise. Les enfants sont des éponges émotionnelles. Côté saturation, aucun des milliers d’enfants passés aux urgences depuis le début de la pandémie n’a désaturé sur un port de masque. Même les asthmatiques.

La vaccination des enfants contre le Covid est sûre

Cela veut-il dire pour autant que nous sommes ravis de faire porter le masque aux enfants ? Bien sûr que non ! Mais la santé publique et le virus se foutent bien de nos aspirations émotionnelles comme de nos convictions politiques. Avec l’arrivée de la vaccination pour les enfants, on voit ressurgir les mêmes angoisses que celles déjà véhiculées pour les adultes, avec des enfants qui seraient des cobayes, qui auront de terribles conséquences, voire deviendraient stériles sur trois générations (sic !!!), qui n’auraient aucun intérêt à se vacciner car ils seraient invincibles et ne transmettraient pas. Des enfants comme des licornes, la pensée magique érigée en protection infaillible.

Pourtant, la vaccination des enfants contre le Covid est sûre et aucun signal d’alarme n’a retenti sur les millions d’enfants vaccinés de par le monde. Les myocardites ne concernent le plus souvent que les adolescents, elles sont transitoires et bénignes, rares, et, surtout, beaucoup moins fréquentes que les myocardites provoquées par le virus lui-même.

Les enfants n’ont pas peur du vaccin ou du masque. Ils ont peur de contaminer les autres et de rendre malades les personnes fragiles de leur entourage, étant ainsi souvent plus responsables que bien des adultes. Mais, surtout, ils ont les peurs de leurs parents, comme un second virus peut-être plus terrible que le premier.

C’est toujours la même histoire aux urgences, les adultes projettent sur les gamins des problèmes d’adulte qui les rongent et en font, de facto, le problème des gosses. Prenons un exemple pour comprendre. Le thermomètre rectal est le gold standard pour la fièvre chez l’enfant et, notamment, le bébé. On l’utilise chez le petit enfant quand le thermomètre auriculaire n’est pas encore adapté pour la taille du conduit auditif. Mais on voit régulièrement fleurir des commentaires outrés sur cette technique. Parce que ce serait un geste invasif assimilé à un viol, à quelque chose de dégueulasse fait à l’enfant. C’est parfaitement ridicule et pourtant archi-révélateur d’une problématique d’adulte qui interprète le geste et plaque son ressenti sur celui du bébé. Le masque, le vaccin, tout le reste, c’est pareil. Et je vais même aller plus loin encore en disant que plus l’intérêt du masque et son port sont expliqués de façon simple et bienveillante à l’enfant, plus celui-ci est fier de sa participation à l’effort pour protéger son entourage (et lui-même) et le porte sans problème.

Les fermetures d’écoles sont catastrophiques

Les masques et les mesures barrières, et aujourd’hui la vaccination, existent pour empêcher au mieux le virus de se propager, avec les limites qu’on connaît déjà à ces seules armes. Cela a aussi pour but d’éviter confinement et fermeture d’écoles. Ces mêmes écoles que l’on ne veut pas fermer mais que personne n’a pris le temps de sécuriser depuis deux ans. Car les conséquences de la fermeture des écoles sont, elles, catastrophiques. La perte de lien social et d’éducation, la perte de moyens pour s’échapper du domicile, voilà qui fait des ravages : dépression, idées suicidaires, anorexie, agressivité… mais cette flambée était autant une conséquence du confinement que le révélateur d’autre chose de plus pernicieux et inavouable.

Tous ces adolescents étaient prisonniers chez eux, avec des violences psychiques ou verbales, des coups aux attouchements, avec un monde virtuel qui les maltraite et leur renvoie une image erronée d’eux-mêmes et du réel, avec l’impossibilité d’échapper à leur quotidien. C’était le révélateur cruel du malaise de notre société, d’adolescents mal dans leur peau, harcelés, réduits à une image corporelle issue des médias et des comptes Instagram, enfermés dans un monde atroce qui se réduisait d’autant avec le confinement.

Un révélateur de ce que nous avions caché sous le tapis : une société malade et des familles dysfonctionnelles, que la pandémie a fait ressurgir du placard, exposant la vulnérabilité des enfants /adolescents à notre époque asphyxiante. Tout ce que certains désinformateurs professionnels vous répètent à longueur de temps en jouant sur votre empathie à propos des populations fragiles et particulières, comme les enfants ou les femmes enceintes, tout est faux ou déformé pour vous manipuler et vous saisir par l’émotion qui vous ôte ainsi tout raisonnement.

Non, le masque ne va pas rendre votre enfant autiste ou le vaccin ne va pas transformer votre gamin en mutant, pas plus qu’il n’a tué des millions de gens de par le monde comme le clame une frange de manipulateurs opportunistes depuis des mois. Par contre, le fait de laisser son enfant sans protection aucune dans une épidémie aux conséquences certaines, où l’on ignore la gravité exacte des Covid longs comme des séquelles neurologiques ou pulmonaires après une contamination même asymptomatique, que ce soit pour l’enfant ou pour son entourage, là, c’est un danger bien réel et tangible.

N’oubliez jamais que votre enfant vous regarde et vous copie, qu’il réplique vos peurs et vos angoisses. Et qu’un enfant qui va bien, c’est aussi, et avant tout, un parent qui va bien. Si je vous dis tout ça, c’est pour une bonne raison. Nous n’avons pas attendu cette pandémie en pédiatrie pour avoir des gens perfides et délirants qui inventent tout et n’importe quoi contre la vaccination. Les désinformateurs de l’époque sont les mêmes, leurs techniques jouant sur l’émotion et l’affect des parents aussi. Mais ils ont aujourd’hui un plus grand terrain de jeu !

Sauf que pour nous, soignants en pédiatrie, l’enfant n’est pas un adulte en miniature, c’est un patient à part entière qui mérite qu’on le traite avec attention et non comme un épouvantail sociétal.»


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