par Un collectif d'intellectuels, d'artistes et d'écrivains publié le 30 décembre 2021
Eric Zemmour est candidat à l’élection présidentielle. L’homme est dangereux. Plus encore ses idées, et l’idéologie qui en découle. Qu’il soit ou non au second tour, le problème majeur est celui d’un glissement général vers la droite de la droite sous l’effet de ses idées. Ne sous-estimons pas la force de frappe de cette «pensée» : elle dispose d’appuis financiers et médiatiques considérables. Eric Zemmour veut traduire en actes ses vieilles ruminations. Leur expression publique peut sembler risible.
Mais, derrière le spectacle que d’aucuns jugeront insignifiant, se cache une idéologie qui sème la haine à l’égard de tout ce qui est arabe et musulman, voire «étranger», rengaine dont Jean-Marie Le Pen fit son fonds de commerce. La prétendue «pensée Z» n’a qu’une lanterne à brandir : l’immigration. Certains n’excluent pas a priori de voter pour lui. D’autres jugent utile cette piqûre de rappel de «l’identité nationale». Rappelons quelques faits.
Les mensonges de la «pensée Z»
Invité sur les plateaux de télévision, il rétorque à une animatrice (Hapsatou Sy) : «Votre prénom est une insulte à la France !» A une autre femme musulmane, il intime «d’ôter son voile». Il veut assimiler en prescrivant le changement de prénom. Pour occuper la une, la «pensée Z» franchit chaque jour toutes les lignes jaunes. Le capitaine Dreyfus pourrait bien être coupable, finalement… Pensée révisionniste, mais pas négationniste explique-t-il ! Il n’hésite plus à demander à six millions de musulmans de cesser de pratiquer leur religion. Tout migrant arabe ou musulman est présumé envahisseur et doit se convertir à une France qui serait menacée dans son identité.
Propos non racistes bien entendu. Son parti s’appelle au reste Reconquête. A quand la Limpieza de sangre («le sang pur» instauré en Espagne vers la fin du XV° siècle contre les non-chrétiens y compris les convertis) ? Il criminalise les jeunes migrants, «voleurs, violeurs et assassins» ce qui lui a valu une condamnation pour incitation à la haine raciale. La «pensée» zemmourienne multiplie aussi les propos d’une effroyable misogynie. Propos qui participent d’une véritable réhabilitation de la domination masculine. Il parle à Villepinte de sa mère et des femmes qui l’ont élevé. Mais toutes les conquêtes féministes, égalité professionnelle ou de droits, sont tenues pour nuisibles.
Avec Eric Zemmour, c’est le retour d’une idéologie nauséabonde. Il prétend réaffirmer les valeurs et les traditions, dans un monde qui s’effondre. On croirait entendre Edouard Drumont, Charles Maurras, Maurice Barrès. Ce type de pensée a abouti à la Révolution nationale. Elle entretient des liens troubles avec le fascisme et l’antisémitisme car elle calque sa haine de tout migrant sur celle du «métèque» et du juif. Elle voit dans l’islam, réputé incompatible avec la République, «le» danger qui menacerait la civilisation occidentale.
Les mensonges de la «pensée Z» ont été démontés par nombre d’historiens : Vincent Martigny, Mathieu Souquière ont re-situé l’idéologie dont se réclame Zemmour dans l’inquiétant mouvement «d’extrême-droitisation» du débat public. Gérard Noiriel a montré que sa thèse d’un «grand remplacement» relève d’une obsession conspirationniste et flirte ouvertement avec la dénonciation des années 30 de la «domination juive parmi les élites». Ses positions sur le prétendu sauvetage des Juifs français par le maréchal Pétain ont suscité la réprobation unanime de toutes les institutions juives.
La prétendue «pensée Z» contamine le débat
Nous voulons alerter l’opinion française des risques de l’idéologie véhiculée par la «pensée Z». Il est temps de la combattre activement. Multiplions les travaux de recherche sur cette OPA idéologique en cours. Affichons à l’opposé les nombreux exemples d’inclusion, de contribution, d’intégration des femmes, des immigrés et de toutes les minorités. Ce combat mérite d’être mené partout. Là où l’on attend mieux et autre chose de la France qu’une vieille antienne décliniste et haineuse. Ce poison se répand aujourd’hui aussi bien dans les milieux populaires découragés qui s’abstiennent, que dans certains milieux intellectuels blasés.
Mais la «pensée Z» représente quelque chose de beaucoup plus grave : une tentative avouée de miner les fondements mêmes de la constitution juridique de notre vie en commun, aussi bien en France qu’en Europe. En se servant d’une haine viscérale, elle prône cette même guerre civile qu’elle voit au coin de la rue et qu’elle prétend combattre, à l’instar des émeutiers du Capitole à Washington en janvier 2020.
La vigilance s’avère d’autant plus urgente que le zemmourisme soutient ouvertement un vrai Frexit en tenant des propos tels que se «débarrasser» des traités internationaux et européens, des Cours suprêmes de Strasbourg, de Luxembourg, voire de notre propre Conseil constitutionnel. La prétendue pensée Z… contamine le débat de trois façons : 1) en rendant présentable l’autre candidate d’extrême droite ; 2) en donnant trop souvent le ton à une droite républicaine prête à adhérer à de telles thèses, comme l’ont montré ses primaires ; 3) en suscitant du dégoût mais aussi une apathie irresponsable à gauche. La Hongrie, la Pologne, l’Autriche, l’Italie ont déjà subi ce tsunami populiste mortel. Ne restons pas les bras ballants face aux factieux de la prétendue «pensée Z».
Les auteur·e·s de ce texte invitent toutes celles et ceux qui le souhaitent à se joindre à cet appel et à se constituer en collectif susceptible d’intervenir dans les mois qui viennent, en lien à d’autres initiatives allant dans le même sens. Vous pouvez signer ce texte en suivant ce lien.
Premiers signataires : Laure Adler, Michel Agier, Gwenaëlle Aubry, Etienne Balibar, Hamid Bennani, Fethi Benslama, Grégoire Borst, Nicolas Bourriaud, Yves Citton, Vincent Cespedes, Catherine Clément, Fleur Cohen, Dominique Collas, Jean-Louis Comolli, Philippe Corcuff, Benjamin Coriat, Jean-Louis Fabiani, Martine de Gaudemar, François Gèze, Sacha Goldman, François Héran, Kamel Jendoubi, Jawad Kerdoudi, Latifa Lakhdar, Catherine Larrère, Sandra Laugier, Christian Laval, Jean-Louis Laville, Guillaume Le Blanc, Carole Lemée, Gilles Manceron, Philippe Mangeot, Paola Marrati, Dominique Martin, Frédérique Matonti, Quentin Meillassoux, Olivier Mongin, Yann Moulier-Boutang, Véronique Nahoum-Grappe, Gérard Noiriel, Yves Pagès, Marc Partouche, Michelle Perrot, Thomas Piketty, Marie-Paule Pileni, Alain Policar, Anne Querrien, Catherine Quiminal, Joël Roman, Elisabeth Roudinesco, Emmanuel Terray, Antoine Spire, Benjamin Stora, Martine Storti, Georges Vigarello, Catherine Wihtol de Wenden.
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