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lundi 3 janvier 2022

La vasectomie rend-elle plus viril ?

«Les 400 culs»

par Agnès Giard  publié le 2 janvier 2022

Encore confidentielle en France, la vasectomie fait peur. S’agit-il d’une castration ? Dans les années 20, au contraire, cette opération – synonyme d’érection – est considérée comme une cure de jouvence. 

En France, souvent faute d’information, moins de 1% des hommes sont stérilisés. Dans d’autres pays, cette opération mineure est considérée comme un moyen de contraception très pratique : au Québec, un homme sur trois a fait une vasectomie, en Nouvelle-Zélande, 44% des hommes de plus de 40 ans et en Australie le chiffre passe à 25%. La vasectomie est également répandue au Royaume-Uni, en Corée du Sud, au Bhoutan, en Espagne et aux Pays-Bas (1). Mais dans la majorité des pays à travers le monde, l’idée même de la stérilisation masculine suscite de violentes réactions de rejet. Les hommes craignent pour leur libido. Après l’opération, pourront-ils encore éjaculer ? A leurs yeux, un homme infertile est forcément un impuissant.

Débuts en fanfare

Il y a un siècle, c’était tout le contraire. Lorsqu’elle se popularise, dans les années 20, la vasectomie est l’équivalent de notre Viagra. Ainsi que le dévoile l’historienne Elodie Serna, dans Faire et défaire la virilité (2), cette technique chirurgicale bénéficie à ses débuts d’une grande popularité. Et pour cause : elle ne prend que dix à vingt minutes, nécessite seulement une petite anesthésie locale. On peut travailler dès le lendemain. Quant aux bénéfices, ils sont jugés immenses. «Son premier usage clinique remonte à 1885, lorsque le chirurgien et urologue français Félix Guyon commence à l’employer pour soigner l’hypertrophie prostatique», écrit Elodie Serna. Très rapidement, les néo-malthusiens en font l’apologie : c’est le moyen le plus efficace de contrôler les naissances, réduire la pauvreté, libérer les femmes, favoriser l’amour libre, disent-ils.

Les autorités s’inquiètent : l’avenir de la nation repose sur ses réserves vives de main-d’œuvre et de soldats. Officiellement, la vasectomie à visée contraceptive est donc illégale. «Pourtant, dans les années 20 et 30, un procédé techniquement similaire devient très à la mode dans la haute société : l’opération de Steinach. Loin d’être stigmatisés, des hommes paient de coquettes sommes pour se faire volontairement ligaturer les canaux déférents», rappelle Elodie Serna.

C’est en Autriche que le phénomène prend son essor. Le professeur Eugen Steinach (1861-1944), directeur de l’Institut de biologie expérimentale de Vienne, met au point ce qu’il appelle la «gérontothérapie», soit une technique révolutionnaire de rajeunissement masculine qui consiste à… se faire stériliser. Steinach fait partie des tout premiers endocrinologues au monde, à une époque où l’on découvre à peine l’existence des hormones. Des expériences sur des rats lui ont montré que la vasectomie stimulait la prolifération d’hormones mâles. C’est du moins la théorie qu’il défend – elle s’avère erronée : moins il y a de spermatozoïdes, dit-il, plus la puissance sexuelle augmente. Les toutes premières opérations sur des humains initiées par Steinach – entre 1918 et 1920 – aboutissent à des résultats quasi miraculeux : les patients perdent leurs rides, prennent du muscle, sont capables de porter 100 kilos sans effort et ont «besoin de trois à quatre rapports par semaine», dixit Steinach.

Vasecto-mania

«Bien que les théories de Steinach soient controversées dans le monde médical, très vite, de nombreux urologues et chirurgiens s’en saisissent.» D’une plume amusée, Elodie Serna raconte que la vasecto-mania se répand partout dans le monde : en Amérique du Nord et du Sud, au Japon, en Australie, les membres de la bonne société vont se faire «steinachiser». Le plus enthousiaste d’entre eux s’appelle William Butler Yeats. A l’âge de 69 ans, il a recours à une chirurgie qui, dit-il, «ravive mon pouvoir créatif. Ravive aussi mon désir sexuel. Et selon toutes apparences, cela durera jusqu’à ma mort». De fait, cette période correspond à une production de poèmes qui sont considérés comme parmi ses meilleurs. En 1930, âgé de 67 ans, Sigmund Freud (camarade de Steinach à l’époque de leurs études) se fait lui aussi vasectomiser, dans l’espoir que cela limite l’extension de son cancer de la mâchoire.

A cette époque, des centaines d’articles vantent les effets miracles de la «steinachisation» : retour de libido, érections de taureau. Sans oublier l’avantage majeur : plaisir sans risque de paternité. Le fait que la vasectomie soit possible pour des hommes fortunés, mais illégale pour les plus pauvres n’échappe cependant pas aux esprits critiques. Certains dénoncent l’ambiguïté légale qui autorise une soi-disant «thérapie» du moment qu’elle est pratiquée dans les cliniques de luxe. Pourquoi ne pas «steinachiser» les ouvriers ? «En Autriche, rapporte Elodie Serna, la principale organisation anarchiste du pays, la Ligue des socialistes antiautoritaires, diffuse une brochure intitulée Vasectomie. Le moyen magique de rajeunissement ! sous-titrée L’amour sans charges ! Elle revendique l’accès à la vasectomie pour le prolétariat et le droit de ne plus procréer.»

Argument pacifiste

En France, les libertaires défendent les mêmes valeurs, c’est-à-dire «le droit de l’individu à disposer librement de son corps». N’est-il pas légitime qu’un homme refuse d’être père, surtout quand il a déjà eu trois, cinq ou sept enfants ? Ce refus paraît d’autant plus légitime dans le contexte belliciste des années 30. Alors que l’Europe s’apprête à basculer dans un nouveau bain de sang, des pacifistes prônent la grève des ventres («les femmes ne doivent plus faire d’enfants tant que les patries auront le droit de les assassiner !») et des réseaux clandestins offrent la possibilité de se faire stériliser pour une somme modique, parfois même gratuitement. Des milliers d’ouvriers, de manutentionnaires et de cheminots se font stériliser. La répression devient sévère. Steinach est obligé de s’exiler après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Partout en Europe, la police démantèle les réseaux. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la vasectomie est l’équivalent d’un crime contre l’Etat. La suspicion qui pèse sur elle se prolonge. En France, ce moyen de contraception ne devient légal qu’à partir de 2001.

(1) Opération vasectomie. Histoire intime et politique d’une contraception au masculin, Elodie Serna, éditions Libertalia, 2020.

(2) Faire et défaire la virilité. Les stérilisations masculines volontaires en Europe dans l’entre-deux-guerres, d’Elodie Serna, éditions Presses Universitaires des Rennes, novembre 2021.


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