par Camille Gévaudan publié le 3 janvier 2022
Le télescope spatial lancé à Noël va voyager un mois avant d’atteindre son poste d’observation, et en profite pour se déplier comme une fleur. Suivi de ce déploiement dont chaque étape est cruciale.
Lancé depuis Kourou le 25 décembre, le télescope spatial James Webb (JWST) a enfin clos le premier chapitre de son histoire (trente ans de conception, construction et tests) pour entamer les choses sérieuses : sa vie dans l’espace. Un voyage d’un mois est nécessaire avant qu’il n’atteigne son poste d’observation final, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Ce temps est mis à profit pour déplier le télescope comme une fleur, lui qui était tout recroquevillé au décollage pour rentrer dans la coiffe de sa fusée. Etape par étape, le JWST va mettre en place ses miroirs, étendre son pare-soleil, allumer ses instruments, calibrer ses systèmes… Autant de manœuvres cruciales, qui ont intérêt à fonctionner comme prévu car il ne sera pas possible d’envoyer des astronautes jouer les réparateurs dans l’espace, comme cela s’était passé pour le télescope Hubble dans les années 90. Si tout se déroule comme prévu, James Webb observera ses premières galaxies et exoplanètes au début de l’été 2022, pour déchiffrer l’histoire précoce de notre univers.
Le pare-soleil est installé. Sur le live vidéo de la Nasa, on voit la salle de contrôle s’animer tout à coup. Les ingénieurs lèvent les yeux de leur écran d’ordinateur et applaudissent. Ils se lèvent de leur bureau pour se faire des high five et des checks avec les poings. Le sourire aux lèvres, ils se dégourdissent enfin les jambes... et vont peut-être aller manger, car il est midi sur la côte Est (le centre Goddard de la Nasa est situé près de Washington), avec le sentiment du devoir accompli. Ils viennent d’avoir confirmation que la cinquième et dernière couche du bouclier thermique est bien tendue. L’installation du pare-soleil est officiellement terminée.
Les températures côté Soleil pourront monter jusqu’à 110° C, et du côté du miroir et des instruments, le minimum sera de -237° C. Moins de deux mètres de distance séparent ces deux extrêmes...
«Ca y est : on vient de boucler l’une des étapes les plus difficiles de notre parcours, résume la Nasa. Avec la mise en tension des cinq couches, environ 75% de nos 344 points de défaillance uniques sont passés !» Les étapes suivantes consisteront à déplier les bras qui tiennent le miroir secondaire, puis ouvrir le grand miroir primaire en nid d’abeille. Les ingénieurs du télescope sont désormais moins inquiets d’un éventuel dysfonctionnement, car de multiples systèmes de secours sont prévus pour la suite des opérations.
Mise en tension du pare-soleil. Ce lundi commence la mise en tension du pare-soleil. Il faut imaginer une pile de cinq nappes en plastique posées sur une table : la forme finale est là, mais il faut maintenant détacher ces couches l’une de l’autre et bien les étendre en tirant sur les coins pour qu’elles soient parfaitement plates. L’opération durera deux jours.
Ouverture des bras latéraux. C’est l’heure d’étendre le pare-soleil, en tirant sur ses deux coins latéraux jusqu’à ce qu’il prenne sa forme finale de grand losange argenté. Au programme du jour, le télescope va donc étendre deux perches, l’une à sa gauche et l’autre à sa droite. Les coins du pare-soleil sont attachés au bout de ces perches.
L’étui est-il bien ouvert ? Mini contretemps dans le planning bien huilé du télescope, rapporte la Nasa : «Les interrupteurs censés indiquer que l’étui du pare-soleil s’est enroulé ne se sont pas déclenchés comme prévu.» Ah. Peut-être que l’étui est encore fermé. Mais peut-être aussi que l’étui est ouvert et que les interrupteurs ont bugué. Comment savoir ? Comme on n’a pas de webcams branchées en direct sur tous les recoins du télescope pour surveiller leur état depuis la Terre, il faut chercher d’autres indices. Les ingénieurs du James Webb ont contrôlé «les données de température» sur un capteur qui semble bien être à l’ombre, donc caché sous l’étui replié. Et en plus, les capteurs des gyroscopes ont «enregistré un mouvement compatible» avec l’ouverture de l’étui. Par ces moyens détournés, ils ont conclu que l’étui s’était ouvert correctement selon toute vraisemblance, et ils sont passés à la suite des opérations. Voilà un aperçu des défis auxquels doit faire face l’équipe de la Nasa, chargée de mettre en route à distance un télescope filant dans l’espace à 1887 kilomètres heure.
Ouverture de l’étui du pare-soleil. Jeudi soir, «les ingénieurs de Webb ont détaché et retiré l’étui qui protégeait les fines couches du pare-soleil pendant le lancement», écrit la Nasa. Grâce à de petits mécanismes commandés à distance, l’étui est désormais ouvert et les cinq feuilles de kapton (un plastique résistant aux températures extrêmes) du bouclier thermique sont à l’air libre (enfin, sans l’air). Elles pourront bientôt être déployées, en forme de losange grand comme un court de tennis, et mises en tension.
Déploiement du support arrière du pare-soleil. La palette arrière du pare-soleil est également déployée, presque six heures après le côté avant.
Le planning avance ainsi micro-étape par micro-étape. Selon Mike Menzel, l’un des ingénieurs en chef de James Webb à la Nasa, il y a 344 points de défaillance uniques dans cette mission – c’est-à-dire 344 étapes sans bouée de secours, dont le dysfonctionnement entraînerait l’échec du processus. 80 % de ces points de défaillance uniques concernent le déploiement du télescope. «C’est difficile à éviter quand on a un mécanisme de libération» comme celui qui a détaché l’étui du pare-soleil, expliquait Menzel début novembre en conférence de presse. «On ne peut pas trop prévoir un système redondant pour ça.»
Déploiement du support avant du pare-soleil. Les grandes manœuvres ont commencé ! «A l’instant, nous venons de déployer la palette avant du bouclier solaire. Voyez cette palette comme un plat à gâteau, qui va soutenir les 5 couches du gâteau-bouclier», tente d’expliquer la Nasa sur Twitter. Heureusement, une petite vidéo d’animation rend tout ça beaucoup plus clair, et on a plutôt envie de comparer le mouvement à une table à rallonge : on tire la rallonge d’un côté de la table, puis on tire l’autre rallonge de l’autre côté, avant de dérouler la nappe (le pare-soleil) sur son support.
Le pare-soleil, qui fait à peu près la taille d’un court de tennis, est composé de cinq couches d’isolation en plastique épaisses comme un cheveu. Il permettra de protéger le télescope des rayonnements du Soleil (et dans une moindre mesure, de la Terre et de la Lune) pour le conserver bien au froid. Côté Soleil, il fera approximativement 85° C. De l’autre côté, à l’abri du bouclier, le télescope sera à -233° C environ. Indispensable pour observer en infrarouge les lointaines émissions des galaxies.
Au-delà de la Lune. Le télescope vient de dépasser l’altitude moyenne de la Lune, soit 384 400 kilomètres. Déjà le quart de son trajet…
Mais la partie la plus délicate du voyage arrivera à la fin, quand James Webb devra freiner et se caler autour du point de Lagrangen°2. C’est un endroit situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, où les champs de gravité s’équilibrent de telle manière que le télescope pourra y rester installé, quasiment sans consommer d’énergie, pour accompagner la Terre dans sa révolution annuelle autour du Soleil.
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