Par Zeliha Chaffin Publié le 09 novembre 2021
Les pépites comme Hemarina, Treefog, Mnemo ou Pixium multiplient les prouesses et désormais les levées de fonds.
« Tu veux sauver des vies avec un ver marin ? C’est n’importe quoi ! »Cette petite phrase, Franck Zal l’a souvent entendue à ses débuts en 2007, lorsqu’il cherchait des fonds pour financer son projet. Il faut dire qu’en pleine crise des subprimes, les investisseurs ne se bousculent pas au portillon. Mais le Breton d’adoption a la tête dure. Et une conviction bien ancrée : les arénicoles, ces petits vers de vase bien connus des flâneurs des littoraux bretons et normands pour les tortillons sédimentaires qu’ils laissent sur la plage, vont révolutionner la greffe d’organes. « En voulant comprendre comment ce ver, qui ne respire qu’à marée haute, parvenait à survivre en apnée pendant six heures à marée basse, j’ai découvert que son hémoglobine avait la faculté de se charger en oxygène à marée haute. Une fois à marée basse, l’arénicole puise dans ce stock pour survivre », raconte le fondateur de Hemarina.
De là naît une idée : utiliser le superpouvoir oxygénant des arénicoles pour améliorer la préservation des greffons en attente de transplantation. L’avantage est double : mieux conservés, le laps de temps d’utilisation des organes est allongé, et les risques de lésions au niveau des greffons sont réduits, diminuant, in fine, la probabilité que l’organe soit ultérieurement rejeté par le receveur. « Aujourd’hui, 20 % des greffons sont perdus faute de temps pour les transférer jusqu’au lieu de prise en charge du receveur, et 30 % parce que les conditions de préservation ne sont pas optimales », détaille Franck Zal. Près de quinze ans plus tard, le rêve un peu fou de l’ex-chercheur en biologie marine au CNRS ne semble plus si absurde. Bien au contraire. Fin septembre, l’innovation de la medtech de Morlaix a ainsi été utilisée dans le cadre d’une double greffe d’avant-bras, − une opération rarissime −, à l’Institut Amrita des sciences médicales de Kochi (Inde).
Imprimante à ADN
Une jolie vitrine pour la Health Tech française ! Ces dernières années, les jeunes pousses de la santé profitent d’un nouvel élan du secteur. En témoignent les levées de fonds record réalisées depuis le début de l’année par les sociétés tricolores : 75 millions d’euros, après deux ans d’existence à peine, pour le spécialiste des thérapies cellulaires contre le cancer Mnemo, 64 millions d’euros pour le girondin Treefrog, et même 142 millions d’euros − un montant inédit pour une biotech dans l’Hexagone − pour l’imprimante à ADN du francilien DNA Script… La biotech française ne s’est jamais aussi bien portée. La magie n’a cependant pas opéré d’un simple coup de baguette. « Il y a eu d’importants efforts réalisés par l’ensemble de la filière et les pouvoirs publics, notamment pour renforcer la dotation des fonds français qui financent les entreprises innovantes en santé, mais aussi pour mieux faire connaître notre écosystème », explique Paul-François Fournier, directeur exécutif Innovation de Bpifrance.
Les récentes levées de fonds des sociétés d’investissement françaises comme Jeito ou Sofinnova en sont un bon exemple. « En un an, nous avons levé 1 milliard d’euros. Quand j’ai commencé il y a vingt-cinq ans, nous avions vingt fois moins d’argent », se félicite Antoine Papiernik, président de Sofinnova Partners, qui observe depuis plusieurs années un « tournant positif » sur le marché des biotechs. Un constat partagé par de nombreux spécialistes, dont Maryvonne Hiance, présidente de HealthTech for Care, qui organisait en octobre des jours de l’innovation afin de faciliter les rencontres entre des pépites de la santé et des investisseurs internationaux : « En l’espace de trois ans, nous avons triplé le nombre d’investisseurs présents », constate-t-elle. Pour séduire ces financeurs étrangers, un grand déjeuner en présence d’Emmanuel Macron a même été organisé à l’Elysée. Une offensive de charme qui n’est pas sans rappeler celle déployée pour vanter la « start-up nation ».
Pixium Vision, grâce à son implant bionique, redonne la vue aux patients atteints de DMLA sèche
La France, future « biotech nation » ? « Il y a encore du chemin avant de voir émerger des grands champions français. Malgré des efforts, lever des gros montants pour accélérer la croissance reste toujours très compliqué en France », regrette Marc Le Bozec chez Financière Arbevel. Le potentiel est là. A l’image de Treefrog (60 salariés), installée à Pessac (Gironde), qui grâce à sa technologie de rupture d’encapsulation des cellules souches pourrait révolutionner le marché des thérapies cellulaires, en abaissant les coûts de fabrication de ces traitements de pointe. « Avec notre technologie, nous pourrions produire facilement en un seul lot de quoi soigner des dizaines de milliers de patients contre à peine une centaine avec les méthodes actuelles », pointe Frédéric Desdouits, son président. Une ambition également partagée par Nicolas Rousseau, cofondateur d’EVerZom, une jeune société qui vient de décrocher un financement européen de 2,5 millions d’euros pour développer la bioproduction d’exosomes, « le jus des cellules souches », utilisé dans le cadre de la régénération des tissus. « Notre procédé permet d’en produire dix fois plus en dix fois moins de temps », détaille-t-il.
Les innovations foisonnent dans les laboratoires tricolores, toujours plus incroyables. Ainsi, Pixium Vision, grâce à son système de vision bionique (un petit implant déposé dans la rétine et qui fonctionne avec des lunettes et une télécommande de poche) redonne la vue aux patients atteints de DMLA sèche devenus malvoyants. « Il n’existait aucun traitement pour y remédier jusqu’à présent », souligne Lloyd Diamond, son directeur général.
« Eviter une greffe »
A Nantes, GoLiver, une biotech issue de l’Inserm et du CHU de Nantes, développe depuis 2017 un médicament à partir de cellules souches pour traiter les insuffisances hépatiques aiguës, une pathologie qui concerne près de 50 000 patients par an dans le monde. Objectif ? « Leur éviter une greffe, en leur injectant des cellules souches qui vont permettre au foie de s’autorégénérer », précise son cofondateur, Tuan Huy Nguyen. De là à imaginer un jour faire pousser des organes entiers pour les transplanter ? « Ce n’est pas encore une réalité, mais cela ne relève plus entièrement de la science-fiction », s’amuse l’entrepreneur.
Déjà, certains s’attellent à la bio-impression de tissus, comme Healshape à Villeurbanne (Rhône), qui planche sur la mise au point d’une bioprothèse mammaire résorbable pour les femmes ayant subi une ablation du sein, ou Poietis à Pessac qui développe une solution de bio impression de peau à destination des grands brûlés. Si l’Hexagone a perdu la bataille de l’ARN messager, la biotech française n’a pas encore dit son dernier mot.
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