Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé a rendu public ce 21 janvier son avis n° 124, intitulé « Réflexion éthique sur l'évolution des tests génétiques liée au séquençage de l'ADN humain à très haut débit ». Un travail qui ne se veut nullement prescriptif : il s'agit plutôt d'éclairer « la complexité », de « dire au législateur, à la société, aux professionnels qu'il faut repenser l'approche de la génétique » et de leur donner les moyens de réfléchir au mieux, a indiqué le président du CCNE, le Pr Jean-Claude Ameisen.
Quel consentement ?
Le séquençage de l'ADN à très haut débit requestionne le consentement libre et informé, fondement de l'éthique médicale et biomédicale. À la croisée de la recherche et de la pratique médicale, le séquençage à haut débit rend poreuse la différence entre le consentement général et ouvert (requis dans les programmes de recherche), et un consentement plus restreint. « En cherchant tel gène, on ne sait pas ce qu'on va trouver. Le rôle du médecin change : doit-il tout dire ? Dire ce qui est important ? Dire ce dont il a discuté au préalable avec son patient ? », questionne le Pr Ameisen. Ces interrogations se posent d'autant plus lorsqu'il s'agit de mineurs, de nouveau-nés, ou encore de la vie fœtale. « Que reste-t-il du droit de ne pas savoir ? », poursuit Jean-Claude Ameisen.
La pratique médicale prend d'autres couleurs. Quelles définitions de la santé et de la maladie, alors que des tests semblent « prédire » la maladie avant les symptômes ?
La généralisation des tests génétiques prédictifs remodèle aussi la prévention. « Aura-t-on des devoirs comportementaux une fois le séquençage de l'ADN déchiffré ? » demande Patrick Gaudray, généticien et président de la section technique du CCNE. Et d'illustrer : un enfant chez qui on va repérer une prédisposition à développer un diabète de type 2 avant 45 ans verra-t-il ses remboursements conditionnés à la bonne application de règles d'hygiène ?
Sans compter qu'il y a des risques psycho-sociaux aujourd'hui « sous-évalués » à prédire la maladie, alerte la philosophe Cynthia Fleury. « Le temps se télescope entre l'état de santé et l'état de maladie », explique-t-elle, mettant en garde sur l'impréparation psychique à l'égard de l'annonce de l'information génétique.
Enfin, les données de santé sont prises dans des enjeux de pouvoir, récupérées par de nouveaux opérateurs (google, amazon, etc), peu aux faits des problématiques de la santé ou de l'éthique. Qu'en est-il alors de la propriété de ces données ? Doit-on parler d'un don d'information si on les confie à la science ? Que faire si l'on décide de les récupérer ? « Il faut trouver un équilibre entre la protection des données, la solidarité, la participation à la science », estime Cynthia Fleury.
Illusion informative
In fine, si le CCNE n'émet pas de recommandations, il appelle à ne pas céder à l' « illusion informative » que suscite le séquençage à haut débit, à réintroduire de la science et de l'éthique dans la technique, et à ne pas faire de la génétique, l'alpha et l'omega de la personne, ni la base normative de la santé. « La recherche en génomique humaine ne sera un atout majeur pour l'amélioration de la santé humaine qu'à la condition de ne pas la substituer à l'approche clinicienne ni à celle de santé publique, toutes deux consubstantielles de la médecine », conclut l'avis.
Attribué dans l'avis à Gargiulo M., Durr A. « Anticiper le handicap. Les risques psychologiques des tests génétiques », in Esprit, 2014/7 juillet, p. 52-65.