Le suicide mi-décembre du Pr Jean-Louis Mégnien à l'Hôpital européen Georges-Pompidou à Paris est bien "le révélateur de dysfonctionnements". C'est le constat de la mission interne à l'AP-HP dans sa note d'étape. Ses membres ne réclament pas pour autant le départ de la directrice. Un premier rapport qui ne fait pas l'unanimité chez les médecins.
Missionnés par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et la faculté de médecine Paris-Descartes pour éclaircir les circonstances du suicide le 17 décembre dernier du Pr Jean-Louis Mégnien, par défenestration sur son lieu de travail à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP, lire ci-contre), Marie-Sophie Desaulle et les Prs Didier Houssin et Patrick Hardy ont remis ce samedi 16 janvier une note d'étape au directeur général du CHU francilien, Martin Hirsch, et au doyen de Paris-Descartes, le Pr Gérard Friedlander*. Rendue publique ce dimanche, cette première ébauche repose sur vingt auditions d'ores et déjà menées, sachant que sept autres sont programmées ces jours-ci et six souhaitées.
Aucun conflit de gouvernance ni abus de pouvoir
Dans son premier constat, la mission assure n'avoir observé aucun conflit de gouvernance, abus de pouvoir ou crise de confiance qui pourraient justifier le remplacement de l'actuelle directrice de l'HEGP, Anne Costa, ou la dissolution de la commission médicale d'établissement (CME) locale. Renouvelée fin 2015, celle-ci est désormais présidée par le Pr Éric Thervet, chef du département hypertension artérielle, affections rénales et cardiovasculaires. Deuxième préconisation, ses membres insistent pour mettre en place "sans délai" à l'échelon de l'AP-HP un "dispositif structuré" de prévention de la souffrance psychique et de réaction à l'alerte suicidaire des personnels médicaux, y compris hospitalo-universitaires. Outre la direction générale et la CME centrale du CHU francilien, il s'agit ici d'associer les universités concernées et la médecine du travail des différentes entités hospitalières et universitaires. De manière plus ciblée au sein de l'HEGP, la mission recommande chaudement de prendre en compte la souffrance actuelle de l'équipe soignante du centre de médecine préventive cardio-vasculaire (CMPCV), où opérait Jean-Louis Mégnien, au regard des critiques dont elle est l'objet. Sur le même registre, elle "suggère" également de s'intéresser aux conflits existants dans le service de chirurgie cardiaque.
L'Igas bientôt saisie sur la souffrance au travail des médecins
Intervenant ce 18 janvier dans la matinale de RTL, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes a annoncé son intention de saisir l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) une fois rendu le rapport définitif de la mission interne de l'AP-HP. Sur la question de l'organisation, l'objectif sera, pour Marisol Touraine, d'apporter "des réponses plus solides" car "la vérité est qu'il n'existe pas de structure, de processus, à même de prendre en compte la souffrance au travail des médecins". Enfin, sur la note d'étape à proprement parler, elle constate que des réponses claires y sont mentionnées s'agissant des failles dans l'organisation mais que le texte n'entre en revanche pas dans le détail des éventuelles failles humaines.
Par ailleurs, la mission confirme que le drame survenu mi-décembre est bien "le révélateur de dysfonctionnements". Ceux-ci s'observent notamment dans la procédure ayant conduit au choix du responsable du CMPCV : en 2012, "un arrangement initial inhabituel entre les médecins de cette unité fonctionnelle, par ailleurs de très petite taille et ayant fonctionné en vase clos durant de longues années, [...] aggravé par un enchaînement de mandats de représentation médicale au sein de l'hôpital, qui est susceptible d'avoir nui à l'impartialité, ou à la perception de l'impartialité, de ce choix" ; en 2015, un remplacement "sans l'aval" du chef de pôle ni du président de la CME locale. S'ajoute, en 2012-2013, une préparation à la promotion hospitalo-universitaire du responsable du CMPCV "alors même que le candidat ne remplissait pas les conditions exigées de mobilité universitaire". Enfin, plus largement, le suicide de Jean-Louis Mégnien révèle des "difficultés d'ordre statutaire et organisationnel". D'une part, cela concerne les nominations hospitalo-universitaires, qui "résultent parfois d'attentes purement hospitalières ou purement universitaires". D'autre part, cela touche à "l'absence d'instances responsables et de procédures adaptées au traitement des conflits entre personnels médicaux ou entre personnels médicaux et direction en contexte hospitalo-universitaire".
Une "liberté de parole" de certains médecins qui dérange
Pour les trois auteurs, qui compilent dans leur note toutes les péripéties passées à l'HEGP depuis son ouverture en 2001 (soupçons de dessous-de-table, piratage informatique, listing sur l'activité de certains chirurgiens avec des commentaires parfois peu amènes de la direction...), "il estdifficile [...] d'affirmer si la conflictualité observée [...] se situe à un niveau supérieur à celle observée dans d'autres hôpitaux de l'AP-HP". Certains auditionnés laissent même entendre qu'elle serait moins forte qu'en 2001, lorsque s'affrontaient des médecins provenant alors de trois hôpitaux différents. Cependant, ajoute la mission, "le tissu des relations des protagonistes avec des responsables politiques ou les médias constitue parfois la toile de fond de ces conflits". Cette "liberté de parole" que s'accordent certains médecins devrait d'ailleurs faire l'objet, dans le rapport final, d'une préconisation avec un point dédié à "la déontologie de la prise de parole publique des personnels médicaux de l'AP-HP". Dans son travail qui se poursuit, la mission promet en outre d'ajouter de nouvelles recommandations sur : la complémentarité hospitalière et universitaire sur les nominations, promotions et mutations hospitalo-universitaires ; les appels à candidatures pour les chefferies de service et de département ; les méthodes de résolution des conflits hospitalo-universitaires ; la capacité d'une direction et d'une communauté médicale à communiquer sur des faits graves la concernant.
Une "vision partiale et incomplète des faits" voire une "censure"
Par le biais d'un communiqué, le collectif des amis de Jean-Louis Mégnien dénonce dans cette note d'étape "une vision partiale et incomplète des faits", quand bien même plusieurs passages mettent "directement en cause la responsabilité pénale" de l'AP-HP. Ses membres s'indignent des "menaces" proférées par la mission "sur la liberté d'expression des médecins et universitaires [...] qui ne seraient pas serviles". Autre critique, un déséquilibre "flagrant" entre les auditionnés : "Tous les médecins de l'HEGP entendus sont ceux précisément dont Jean-Louis Mégnien a eu à se plaindre, alors que ceux qui étaient proches de lui au sein de l'hôpital n'ont pas encore pu s'exprimer". Le collectif, qui n'a eu de cesse de dénoncer depuis début janvier l'impartialité des membres de la mission, emploi même le terme de "censure" pour qualifier leur travail, laissant entendre que "certaines informations gênantes pour les commanditaires de cette enquête sont passées sous silence". Et d'indiquer qu'il n'y a pas grand chose à attendre de la poursuite de cette mission, seule l'enquête judiciaire étant, selon le collectif, "susceptible de faire éclater la vérité".
* La note d'étape a également été transmise au directeur général de l'ARS Île-de-France, à la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes et à celle chargée de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
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