Comme dans chaque livraison du numéro de décembre, les éditeurs de The American Journal of Psychiatry présentent leur sélection d’articles « particulièrement intéressants et importants » de l’année écoulée.
Découverte du premier antidépresseur
Un premier article évoque l’histoire de la découverte clinique de l’imipramine, en 1957, par le psychiatre suisse Roland Kuhn (1912–2005). Résultant d’un processus inattendu (sérendipité), puisque ce praticien expérimentait au départ cette molécule comme un éventuel traitement antipsychotique, mais a reconnu que « ses effets antidépresseurs surpassaient toute utilisation antipsychotique », cette observation inaugurale confirme ainsi que « l’observation clinique attentive par un médecin traitant » peut contribuer à une grande innovation thérapeutique, dépassant le seul cadre de ses patients.
Le devenir des sujets à haut risque psychiatrique
Les pronostics actuels pour désigner les personnes à « risque très élevé » de psychose ultérieure se révèlent exacts environ une fois sur trois. Mais que deviennent les deux-tiers des patients ayant sollicité une aide psychiatrique et identifiés comme sujets à risque ? Une étude publiée en 2015 a abordé cette question en suivant, sur plusieurs années, 226 personnes considérées à « risque très élevé de psychose quand ils avaient entre 15 et 30 ans, mais chez lesquelles ce risque ne s’est pas concrétisé. On constate que 68% de ces sujets vont souffrir d’un « trouble non psychotique » (dépression, anxiété, addiction) et que seuls 7 % ne relèvent d’aucun diagnostic psychiatrique (ni au départ, ni durant le suivi longitudinal). Ces conclusions rappellent que de nombreuses affections psychiatriques débutent « soit à l’adolescence, soit au début de la vie adulte. » Par conséquent, la réduction du « poids des maladies mentales » passe nécessairement par la possibilité d’« infléchir le cours de leur trajectoire » le plus tôt possible, c’est-à-dire par l’essor de la psychiatrie infanto-juvénile dont les carences éventuelles ne manqueront pas de se répercuter à l’âge adulte.
Traiter la dépression maternelle est bénéfique aussi pour l’enfant
Dans la mesure où les problématiques psychiatriques ont aussi des racines d’ordre environnemental et que « l’environnement le plus important d’un enfant est sa famille, et singulièrement sa mère », ce troisième thème de l’année confirme un constat partagé par tous les cliniciens : « quand une mère déprimée va mieux, les troubles observés chez son enfant diminuent. » Les auteurs ont remarqué que les mères (déprimées) retrouvant, sous l’effet du traitement antidépresseur, une meilleure capacité d’écoute et de dialogue avec leurs enfants sont « non seulement moins déprimées, mais deviennent aussi de meilleures mères. » L’enjeu de ce constat est important pour la santé publique, car les conséquences d’une pathologie maternelle peuvent ainsi se répercuter, des années plus tard, sur la génération suivante : le plus grand intérêt à traiter une mère déprimée consiste sans doute dans « l’amélioration ultérieure du fonctionnement psychique de ses enfants. »
Impact de la consommation d’alcool à l’adolescence sur le développement cérébral
L’essor des techniques d’imagerie cérébrale a permis d’examiner « la relation entre des changements dans des habitudes de consommation d’alcool et le développement du cerveau. » Une étude réalisée sur 134 adolescents durant trois ans et demi a montré que ceux consommant le plus d’alcool ont un « rythme accéléré dans la perte de la matière grise et un taux réduit dans la croissance de la matière blanche. » Ce constat inquiétant impose donc de « redoubler d’efforts » pour mieux comprendre comment l’alcoolisme à l’adolescence risque d’altérer le développement mental, physique et social.
Évaluer précocement l’héritabilité des troubles bipolaires
« Pensez-vous que l’un de mes enfants pourrait aussi avoir cette même maladie ? » Une « large étude longitudinale » publiée en juillet 2015 a tenté de répondre à cette question souvent posée, avec inquiétude, par des parents souffrant d’un trouble bipolaire. En résumé, quand ces enfants d’un parent bipolaire souffrent d’épisodes « infraliminaires de manie ou d’hypomanie », il semble que cette éventualité constitue le meilleur critère prédictif de survenue d’une maladie bipolaire ultérieurement, pour leur propre compte. Ce constat permet de « se concentrer sur un nombre très limité de symptômes » pour détecter quels seront les enfants à risque les plus susceptibles d’évoluer vers un trouble bipolaire. Leur évaluation serait « brève, voire réalisable par téléphone ou par télémédecine » (l’auteur exerce aux USA...) et, comme cette étude révèle que ces symptômes infraliminaires affectent déjà 10 % de ces enfants à risque à l’âge de 12 ans, ces observations pourraient débuter « de façon précoce, dès l’âge de 8 ans. » Il serait aussi opportun de faire connaître aux familles l’existence de cet indicateur précoce.
Matière à réflexion pour prédire la démence
Une méta-analyse de 62 études longitudinales a évalué la dégradation d’une DCL (déficience cognitive légère, mild cognitive impairment) vers une démence en considérant divers facteurs de risque : diabète, hypertension, hypercholestérolémie, tabagisme, consommation d’alcool, syndrome métabolique[1], symptomatologie psychiatrique (dépression, anxiété...) et d’autres critères comme l’usage du « régime méditerranéen[2] », taux des folates sériques, niveau d’instruction. Cette recherche montre que la « présence d’un diabète ou d’un pré-diabète » est associée à ce risque de conversion d’une DCL vers la démence. Le dépistage d’un diabète (ou d’un pré-diabète) offre donc une opportunité d’« ajustements diététiques » pouvant avoir un effet bénéfique pour réduire le risque de démence, notamment grâce à la promotion du célèbre « régime méditerranéen » qui se révèle « associé à un risque plus faible de dégradation vers la démence. Mais curieusement, cette méta-analyse n’a pas confirmé que le niveau d’instruction a une incidence pour prédire la conversion d’une DCL vers la démence. Toutefois, ce résultat reste « compatible avec la possibilité qu’un haut niveau d’études retarde la reconnaissance d’une déficience cognitive » et que les troubles neurodégénératifs peuvent être alors « plus avancés au moment de leur détection. »
Bénéfice des interventions psychosociales pour la mère et l’enfant
Maintes affections psychiatriques (psychoses, dépressions, toxicomanies...) plongent leurs racines dans des traumatismes ou des carences éducatives de la petite enfance. Grâce à un programme d’aide à la maternité, au moyen de visites à domicile effectuées par des auxiliaires « culturellement acceptées » auprès d’adolescentes ou de jeunes femmes (12 à 19 ans) enceintes, dans des réserves amérindiennes parmi les plus défavorisées aux États-Unis, la démonstration a été faite que des interventions psychosociales ciblées peuvent améliorer la santé mentale de la mère comme celle de l’enfant. Les mères ont eu moins de problèmes de comportement, moins d’épisodes dépressifs, moins d’usages de drogues et leurs enfants moins de troubles du développement. Se manifestant immédiatement, les bénéfices de ces interventions se sont poursuivis durant les trois années du suivi, en apportant ainsi la preuve que, «même dans un environnement très difficile », une action éducative et psychosociale peut entraîner « un bénéfice durable » pour la mère et son enfant.
Actualité du syndrome de stress post-traumatique
En conclusion de ce « best of » de 2015, The American Journal of Psychiatry cite une étude publiée dans son supplément pour les jeunes confrères (Residents Journal). Rédigé par une jeune résidente de seconde année (Jennifer H. Harris), et commençant par cette citation d’Helen Keller, « Although the world is full of suffering, it is full also of the overcoming of it[3] », cet article est consacré à la prévention du syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Il évoque les nombreux facteurs susceptibles d’influencer la réponse au traumatisme, et donc pertinents pour la prévention d’un SSPT : facteurs d’ordre neurobiologique (neuropeptide Y, Brain-Derived Neurotrophic Factor, hormone corticotrophine), physiologique (sexe), psychologique (vécu antérieur, notamment dans la petite enfance), anamnestique (présence d’un trouble d’anxiété prémorbide ou d’un trouble de la personnalité), etc. Selon la résultante de tous ces facteurs, certains sujets évoluent vers un SSPT, mais d’autres vers la résilience.
Dr Alain Cohen
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