LE 17/04/2021
À retrouver dans l'émission
RÉPLIQUES
par Alain Finkielkraut
Alors que leurs héros respectifs sont confrontés à la vieillesse et à la maladie, les romanciers Pierre Guerci et Paulina Dalmayer interrogent singulièrement l'impératif de cette urgence de vivre.
"Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement" écrivait La Rochefoucaud en un siècle où la religion prétendait pourtant avoir retiré à la mort son dard venimeux et prenait le trépas au mot en le présentant comme un passage, comme un changement de domicile. Depuis lors, la santé a définitivement prévalue sur le salut. La longévité est devenue, au détriment de l'éternité, à laquelle il est de plus en plus difficile de croire, la valeur majeure. On a assisté, comme le dit Michael Walzer, à un lent développement de l'intérêt pour les soins médicaux et à une lente érosion de l'intérêt pour les soins religieux. De la mort, qui ne se peut regarder fixement et dont ils pensent pour la plupart qu'elle n'a pas de lendemain, les Modernes s'emploient avec succès à retarder l'échéance. Mais ce succès pose lui-même des problèmes imprévus. A la peur de mourir s'ajoute aujourd'hui, selon l'expression suggestive de Noëlle Chatelet, la "peur de mal mourir". La longue et douloureuse fin de vie n'est pas moins terrorisante que la fin de la vie : elle non plus ne peut se regarder fixement. Deux écrivains ont décidé de tenter l'impossible et de regarder l'irregardable : Paulina Dalmayer dans Les Héroïques et Pierre Guerci dans Ici-bas. La lecture de ces deux romans est éprouvante et en même temps salutaire ; ils n'éludent rien et leurs descriptions sont terribles, mais c'est précisément le rôle de la littérature d'affronter la réalité aussi prosaïque qu'elle puisse être, sans tricher, sans se payer de mots.