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mercredi 21 avril 2021

Neurosciences contre psychothérapie : une nouvelle bataille autour de l’autisme ?




par Eric Favereau  publié le 20 avril 2021

Alors que vient d’être publié un arrêté permettant le remboursement de consultation d’un psychologue sur le dépistage des troubles autistiques, une partie du monde de la psychiatrie s’insurge.


Serait-on en train d’assister à un nouvel épisode de la guerre sur l’autisme, entre d’un côté les partisans de thérapies cognitives et comportementalistes, très liées aux neurosciences, et de l’autre ceux qui mettent en avant la psychothérapie ? En tout cas, ces derniers, par le biais de trois collectifs (l’Appel des appels, le Collectif des 39, et le Printemps de la psychiatrie) appelaient ce week-end à «une mobilisation générale» le 2 mai «des praticiens du soin psychique».

Objet du délit, la publication d’un arrêté autour du remboursement par l’assurance maladie de l’intervention d’un psychologue, lors du début de la prise en charge d’un enfant.

L’idée au départ est de coordonner la prise en charge d’un enfant perturbé, et pour cela d’établir un diagnostic le plus rapidement possible via une plateforme départementale qui relie le travail de tous les acteurs. Faut-il rappeler que plus de 40% des enfants autistes seraient diagnostiqués tardivement ? «Nul ne remet en cause le constat que dépister tardivement est une vraie perte de chance», assure le pédopsychiatre Moise Assouline, membre du Conseil national pour l’autisme. «Je reste révoltée quand je vois un enfant pris en charge trop tardivement, insiste Claire Compagnon, déléguée ministérielle à l’autisme. Cet enfant qui ne parle plus alors qu’une intervention précoce aurait pu l’aider efficacement».

«Comme si tout n’était qu’affaire de neurosciences»

Mais la rédaction de cet arrêté manque de souplesse. Son langage est pour le moins normatif : «Le psychologue réalise une évaluation fonctionnelle spécifique et personnalisée du fonctionnement adaptatif de l’enfant dans ses milieux de vie notamment en famille, à la crèche, et à l’école. Il prend en compte la demande et l’expertise de la famille. Il établit les objectifs et les modalités de l’intervention, il met en œuvre l’intervention proposée. Il évalue les bénéfices de l’intervention au regard des objectifs et des modalités proposés.»

Puis dans l’article 2, on insiste sur le choix des modèles théoriques que doit maîtriser le psychologue. Tout ce qui touche à la psychothérapie en est absent. «Les interventions et programmes des psychologues s’appuient […] sur des thérapies cognitivo-comportementales, de la remédiation neuropsychologique et cognitive et de la psychoéducation.» Suit, pour conclure, une liste de pratiques, un catalogue de techniques dont on peut douter qu’elles ont été un jour évaluées sérieusement.

«Ce n’a pas été pas simple à rédiger, analyse Pierre Vienot, parent d’enfant autiste et membre du Conseil national, il y a des rapports de force compliqués. Pour certaines associations de parents, rien que le fait de parler de psychiatrie dans l’autisme est un scandale tant le contentieux est lourd.»

«C’est quand même saisissant : aujourd’hui tout semble fait pour éviter le mot psyché, s’alarme le pédopsychiatre Pierre Delion. Comme si tout cela n’était qu’une affaire de neurosciences, de synapses, de gènes et de comportements réflexes à corriger.»

«L’existence de plateformes à visée diagnostique dans toute la France est aujourd’hui une avancée importante pour les enfants et leurs familles, nuance Moise Assouline, qui tente d’établir un lien entre les deux conceptions. De plus, que la prise en charge soit remboursée est important. Il faut faire feu de tout bois pour cette prise en charge précoce.»

«Peu de moyens ont été alloués par l’Etat»

En tout cas, l’heure semble être de nouveau aux combats. Le fossé est là, entre neurosciences et psychisme. «La psychanalyse n’a rien à faire avec l’autisme»dit souvent la déléguée ministérielle, Claire Compagnon. Le docteur Patrick Belamich, qui préside la Fédération des centres médicaux psycho pédagogiques et partisan des psychothérapies, analyse ce champ de bataille dans un long mail, rappelant que dans la stratégie gouvernementale, «peu de moyens ont été alloués par l’Etat». Il s’inquiète : «Le focus a été mis essentiellement sur le diagnostic. Et après ? Sur le terrain nous constatons que les plateformes de coordination qui existent sont déjà saturées, faute de débouchés et de moyens en aval.»

Enfin, il dénonce la mise de côté de certains professionnels et de certaines structures. «Il a été décidé d’essayer de marginaliser ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Recevoir de façon continue par certains des invectives voire des insultes, c’est montrer une grande ignorance de l’histoire de la folie et du handicap dans notre pays. Qui a sorti ces enfants mais également ces adultes qui étaient regroupés sous ce terme ignoble de “défectologie” ? Qui a redonné de la dignité à ceux qui croupissaient dans des culs-de-basse-fosse ? Vouloir se débarrasser entre autres de la psychiatrie ou de la pédopsychiatrie pour certains enfants ou adultes qui ne relèveraient que du handicap et donc d’une bonne rééducation est un déni de notre histoire. Ce n’est pas en promouvant un catalogue digne de la Redoute que l’on peut soutenir et soigner ceux qui se trouvent éjectés de notre cruelle modernité», conclut Patrick Belamich.

«Le problème, poursuit Pierre Vienot, c’est que ce sont toujours les mêmes qui parlent. Les praticiens de terrain ? On les entend peu. Or ces derniers sont beaucoup plus tolérants, ils font des thérapies comportementales, mais aussi des thérapies psychothérapeutiques. Mais ils ne sont pas sur le devant de la scène. En plus, bien souvent ce sont les seuls psychiatres qui parlent, alors que là il s’agit d’un décret sur les psychologues. Les rapports entre les deux professions ne sont pas simples…»

 

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