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mardi 20 avril 2021

Critique Le «malheureux», figure discrète de la révolte

par Simon Blin  publié le 19 avril 2021

Dans «De si violentes fatigues», le chercheur Romain Huët, longtemps bénévole dans un service d’écoute des personnes dépressives, explore le phénomène d’épuisement existentiel. Selon lui, le désaveu pour la vie exprime paradoxalement une forme de subversion politique.

Après plus d’un an de pandémie, les Français ont le moral dans les chaussettes. Les études sont unanimes : si l’on s’est occupé de soigner les malades du coronavirus, certains ont vécu un choc bien moins visible et qui inquiète sérieusement les spécialistes. Au point qu’Emmanuel Macron a annoncé l’organisation d’Assises de la santé mentale et de la psychiatrie cet été. Isolement, anxiété, dépression, troubles du sommeil… l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte sur les dégâts à long terme de la crise sanitaire et des restrictions liées au Covid-19. Car même en bonne santé, même quand tout va bien, a priori, sur le papier, les experts constatent une épidémie du sujet «épuisé». On appelle ça la «fatigue pandémique».

Bien avant que la souffrance collective ne fasse l’objet d’une attention accrue des pouvoirs publics, le chercheur Romain Huët s’est longuement plongé dans le monde de la grosse déprime. En l’occurrence, celui des personnes exprimant un désaveu pour la vie. Entre 2008 et 2015, ce maître de conférences en sciences de la communication à l’université de Rennes-II s’est glissé dans la peau d’un bénévole écoutant d’une association de prévention contre le suicide. De son observation participante, il a tiré l’enquête ethnographie De si violentes fatigues : les devenirs politiques de l’épuisement quotidien (Puf, 2021). Aussi auteur du Vertige de l’émeute, de la ZAD aux gilets jaunes (Puf, 2019), Romain Huët s’est fait une spécialité de l’«histoire des vaincus», pour reprendre l’expression de Walter Benjamin.

Faire du désespoir un objet de dialogue

Il y a ces vies qui souffrent de ne pas s’intégrer à la société. Il y a celles qui cherchent à s’extraire de ses règles étouffantes. Entre toutes ces âmes cabossées, Romain Huët dessine un tissu de solitudes ordinaires reliées par une expérience commune de l’épuisement. Autrement dit, n’interpréter le «sujet fatigué» que comme une «altération subjective», renvoyer son mal-être à une dimension purement psychologique, de l’ordre de l’intime et du privé, serait une erreur, selon l’ethnographe. Le rendre visible permettrait ainsi de saisir comment l’ordre social produit cette impuissance à la fois individuelle et collective. D’où la nécessité de faire du désespoir, souvent renvoyé aux «marges» et aux «zones dérogatoires», un objet de dialogue. En somme, de déconfiner ces vies «minuscules» qui «tiennent malgré tout».

L’approche originale de Romain Huët consiste à voir dans cette difficulté moderne à trouver des raisons de vivre le signe d’une nécessité de transformation du monde social : le «malheureux»serait en fait une figure discrète, sinon impensée, de la contestation politique contemporaine. «Son simple désir que quelque chose change dans son existence suffit à affirmer qu’il oppose au monde des récits alternatifs, affirme le chercheur. Ses récits montrent l’inconsistance et le défaut des normes communes.» De si violentes fatigues n’est cependant pas un appel à la rupture insurrectionnelle ni un encouragement à la compassion. Il s’agit de pointer un rapport à la société dans ce qui lui manque et de s’interroger sur la possibilité politique de le combler.


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