par Laurence Defranoux, Envoyée spéciale à Copenhague (Danemark) publié le 23 avril 2021
Anne-Marie Gerdes, présidente du Conseil d’éthique danois, analyse les principaux dilemmes posés par la mise en place d’un passeport sanitaire, obligatoire depuis le 21 avril pour se rendre au restaurant ou au stade.
Dans son avis rendu en mars sur le projet de Coronapas, qui indique si un individu a été vacciné, immunisé ou testé négatif depuis moins de 72 heures, le Conseil d’éthique danois relevait que, si les restrictions sanitaires s’imposaient à tous les citoyens durant le confinement, cette nouvelle mesure signifie forcément un accroissement de la liberté pour ceux qui en disposent, et une restriction pour les autres. Anne-Marie Gerdes, présidente du Conseil d’éthique danois, analyse les nombreux dilemmes posés par ce passeport sanitaire obligatoire au Danemark depuis le 21 avril pour se rendre au restaurant, au bar, au musée ou au stade.
Quels sont les principaux défis éthiques posés par le Coronapas ?
Même si le Coronapas est un moyen de rouvrir la société plus rapidement et d’accorder plus de libertés à plus de personnes que pendant le confinement, nous avons quatre préoccupations majeures. D’abord, il est nécessaire que l’utilisation du passeport Corona soit aussi courte que possible, et que des évaluations fréquentes sur son efficacité et son usage soient réalisées par les politiques et les autorités. Ensuite, il est très important de s’intéresser au sort des personnes qui n’ont pas de Coronapas pour ne pas creuser les inégalités sociales. C’est dans cette optique que le passeport n’est pas délivré seulement aux personnes vaccinées, mais aussi à celles qui sont immunisées ou testées négatives. Le troisième souci est la sécurité des données personnelles et sensibles, qui sont pour l’instant exposées sur le Coronapas, et l’exclusion possible des personnes qui n’ont pas accès au monde numérique. Enfin, il est important de réfléchir à la coordination à l’échelle internationale.
La mise en place du Coronapas marque-t-elle un changement dans le mode de vie danois ?
C’est un grand changement dans notre manière de vivre et par rapport à la libre circulation à laquelle nous avons été habitués avant la pandémie. C’est pour cela que notre grande préoccupation est la durée d’utilisation du Coronapas. Les autorités ont expliqué qu’il serait nécessaire jusqu’à ce que toutes les personnes de plus de 50 ans aient été vaccinées. Pourtant, si le taux d’infection est très faible dans le pays et que beaucoup de gens sont vaccinés, les gestes barrières devraient suffire. Je suis assez inquiète du fait qu’on doive continuer à montrer son passeport sanitaire, et donc des données très personnelles, pour aller au restaurant ou chez le coiffeur. Au Danemark, nous avons l’habitude de vivre dans une société avec un degré élevé de confiance les uns envers les autres. Et maintenant, nous mettons en place une sorte de contrôle social. J’ai 63 ans et je n’ai jamais eu auparavant à montrer mes papiers dans la vie quotidienne. Les personnes âgées comparent cette exigence à ce qui avait cours pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela dit, depuis le début du Coronapas, mis en place le 6 avril d’abord pour les coiffeurs, les masseurs et les tatoueurs, le Conseil d’éthique n’a pas été saisi de plaintes de la part de citoyens et de politiques.
Qu’en est-il des gens qui ne peuvent pas, par exemple pour des raisons médicales, être vaccinés ou testés ?
Les autorités laissent aux personnes qui le souhaitent la possibilité de déclarer aux établissements qu’ils ne sont pas en mesure de se faire vacciner ou tester pour des raisons personnelles. C’est un peu étrange, parce que ça laisse la possibilité de tricher, et qu’il est délicat de devoir expliquer à votre coiffeur pourquoi vous ne pouvez pas avoir de pass. Il serait donc préférable d’avoir un document qui déclare que vous ne pouvez pas avoir de Coronapas sans expliquer la raison, sinon les gens concernés vont renoncer à sortir de chez eux. Le Coronapas a été mis en place très vite pour lever le confinement, sans que des solutions numériques adaptées aient eu le temps d’être encore développées.
Pensez-vous que l’exigence d’un passeport sanitaire puisse être vue comme coercitif pour la vaccination ?
Oui, en quelque sorte, car si vous ne souhaitez pas être vacciné, vous devez être testé une ou deux fois par semaine pour obtenir les mêmes droits. Mais je pense que nous sommes face à une maladie infectieuse où le choix de la vaccination devrait dépasser les seules considérations personnelles, et que dans cette optique, il est acceptable que la société fasse pression en recommandant la vaccination. Mais pour cela, bien sûr, nous devons être absolument certains de la sécurité des vaccins, et que l’information donnée aux citoyens soit totalement transparente. Par ailleurs, le Conseil d’éthique estime qu’il est essentiel que les données sensibles ne soient pas stockées sur des plateformes autres que celle du système de santé, et qu’elles ne soient pas utilisées à d’autres fins.
Que recommanderiez-vous à l’Union européenne qui réfléchit à un passeport sanitaire ?
Nous devons être très attentifs à ce que l’accès aux voyages pour des raisons familiales, professionnelles ou pour les vacances, ne soit pas réduit pour les citoyens des Etats qui n’ont pas les moyens de développer rapidement un passeport sanitaire numérique. Il sera indispensable d’apporter une attention particulière à ceux qui n’auront pas de passeport sanitaire, par exemple en donnant l’accès à un test rapide du Covid-19 dans les aéroports et à l’entrée sur le territoire. Il est important de veiller à ce que la mise en place d’un passeport sanitaire n’augmente pas les inégalités entre les pays de l’Union. En théorie, de nouveaux systèmes numériques de cette ampleur ne devraient pas être mis en place de manière accélérée comme réponse à des situations critiques.
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