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jeudi 22 avril 2021

La «guerre à la drogue», c’est de la merde

par Michel Henry, journaliste  publié le 22 avril 2021

Parce que la répression n’entraîne pas de baisse de la consommation et n’a pas d’effet sur la circulation des produits, la bataille d’Emmanuel Macron est purement électoraliste.

Le 18 avril, Emmanuel Macron a déclaré la guerre à la drogue, en visant, dans des déclarations au Figaro, les consommateurs de cannabis qui «alimentent le plus grand des trafics», ce qui importe de les combattre avec ardeur. «Eradiquer» ces trafics «par tous les moyens» est devenu «la mère des batailles». Toutes nos félicitations, voilà au moins un conflit dont on connaît déjà l’issue : la défaite, et en rase campagne. Tous les addictologues le savent, la répression n’entraîne pas de baisse de la consommation et n’a pas d’effet sur la circulation des produits. Au mieux, elle stimule la concurrence : quand une filière tombe, une autre la remplace, c’est la loi de l’offre et la demande.

Déclaration de matamore en campagne

Lancé par Richard Nixon dans les années 70, le concept de «guerre à la drogue» dont Macron reprend aujourd’hui les accents martiaux est un échec planétaire qui a coûté des centaines de milliards d’euros dépensés en pure perte. Il y a cinquante ans, le chef de l’Etat américain poursuivait des objectifs politiques : discréditer la jeunesse, l’opposition à la guerre du Vietnam, la contre-culture gauchisante… Depuis près d’un siècle, la diabolisation du cannabis sert aux politiques à cibler des boucs émissaires, à tenter de se refaire, à bomber le torse, à masquer leurs impuissances dans les autres domaines.

Ils n’ont pas en tête la santé des jeunes, comme ils le prétendent. S’ils avaient ce souci, ils commenceraient par la seule mesure qui s’impose : organiser un marché régulé, seule mesure efficace pour diminuer les trafics, et mettre le paquet sur la prévention. Au contraire, Macron cible le consommateur comme un délinquant, en lui infligeant, depuis septembre, une «amende-cannabis» (70 000 usagers y ont déjà goûté). La «guerre à la drogue» aggrave la situation sanitaire, tous les addictologues le savent. Car si l’éventuel patient est traqué comme un délinquant, il a tendance à se défiler. Emmanuel Macron l’ignore-t-il ?

C’est qu’il poursuit un tout autre objectif : montrer à la droite et à son extrême qu’il n’est pas mou du genou en matière de sécurité. Sa déclaration de matamore en campagne n’a rien à voir avec la santé des ados, mais tout avec sa réélection. Il dispose en la matière d’un expert scientifique de haut niveau : Gérald Darmanin. «La drogue, c’est de la merde», résume le ministre de l’Intérieur. L’axiome a l’avantage de simplifier une question complexe et ne souffre aucune critique, sauf celle-ci : pourquoi la sentence n’a-t-elle pas été étendue aux deux drogues les plus mortelles en France, l’alcool et le tabac ?

Escadrons de CRS dans les bistrots

En matière de «merde», ces deux produits en tiennent une couche. Le tabac tue 75 000 personnes par an, l’alcool 41 000. Il faut ajouter les violences commises sous l’influence de l’alcool, les accidents de voiture, l’engorgement des tribunaux, ce qui rend leur impact sur l’économie, notamment sur les dépenses de santé, considérable. Le coût social de chacun avait été estimé en 2015 par l’économiste Pierre Kopp à 120 milliards d’euros par an, soit 240 milliards au total (contre 8,7 milliards pour les drogues illégales).

Face à cette «merde», l’expertise du Professeur Darmanin impose une seule solution : la prohibition, comme pour le cannabis. On attend l’envoi dans tous les bistrots, dès qu’ils auront rouvert, d’escadrons de CRS chargés de vérifier que tout le monde est passé au diabolo-grenadine. Idem dans les tabacs, pour s’assurer qu’ils ne vendent que des chewing-gums. Et que penser de ce gouvernement qui, à la suite du gel dans nos campagnes, a promis un milliard d’euros aux agriculteurs, dont les viticulteurs toucheront une partie ?

On espère que Gérald Darmanin a combattu cette mesure invraisemblable, on attend sa déclaration : «Pas de subventions pour les marchands de mort  Car oui, parfois le vin tue ou pousse au meurtre. Inadmissible que sa vente soit légale, encouragée, financée par l’argent public. Ou alors, faut-il admettre que la «guerre à la drogue» ne répond pas à des critères très objectifs, qu’elle cible certains produits plutôt que d’autres, en vertu d’objectifs politiques ? Que la prohibition n’est pas une bonne solution de santé publique ? Monsieur le ministre, nous attendons vos explications, nous les boirons même, si vous nous les garantissez sans alcool.

Etat transformé en dealer

En attendant, permettez-nous de vous suggérer cette lecture :Trafics d’Etat d’Emmanuel Fansten (Robert Laffont). L’auteur, journaliste à Libération, y raconte comme l’Etat français, via son Office des stups, a été un temps «le premier importateur de drogue»dans le pays, en s’appuyant sur un gros trafiquant qui pouvait à sa guise introduire vingt tonnes de cannabis par mois, des «livraisons surveillées» dont une infime partie était ensuite saisie, histoire de montrer l’efficacité des services.

Cette enquête implacable ne comporte pas que la révélation d’un scandale policier (contesté par ses responsables). Elle montre comment la prohibition peut, in fine, transformer l’Etat en dealer,juste dans le but de démontrer qu’elle aurait un sens. Importer du cannabis pour prouver que son interdiction est pertinente. Comment dirait le ministre… «La prohibition, c’est de la merde» ?

Journaliste indépendant, ancien de Libération, Michel Henry est l’auteur de Drogues : pourquoi la légalisation est inévitable (Denoël, 2011).


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