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lundi 19 avril 2021

« L’année dernière, on nous applaudissait et, là, on nous montre du doigt » : certains soignants hésitent encore à se faire vacciner contre le Covid-19

Par  et   Publié le 19 avril 2021

Plus des deux tiers des professionnels de santé ont désormais reçu une première dose. Mais il reste un noyau de « réfractaires ». En cause, entre autres, l’image négative du vaccin AstraZeneca.

Au centre hospitalier de Poissy (Yvelines), une médecin urgentiste reçoit une dose de vaccin contre le Covid-19, le 18 février.

Elle a beau « être vaccinée de tout ce qui est vaccinable », Sophie (qui n’a pas souhaité indiquer son nom), infirmière en service psychiatrique de 58 ans, hésite. Va-t-elle profiter de son accès prioritaire au vaccin contre le Covid-19 ? « Pour l’instant, je ne peux pas, car j’ai été malade en février, mais je ne sais pas encore ce que je vais faire le mois prochain », explique-t-elle, perdue entre les injonctions contradictoires de la cadre de son service, qui lui avait demandé de venir travailler, même positive au SARS-CoV-2, si elle était asymptomatique, et celles du ministre de la santé, Olivier Véran, qui tançait, en mars, les soignants, les appelant dans une lettre à se vacciner rapidement pour ne pas contaminer leurs patients. « Tout ça est incohérent, confie Sophie. Juste avant, on était des héros, et là on est des méchants qui refusent de se faire vacciner. »

Comme elle, un certain nombre de soignants hésitent encore à franchir le pas du vaccin, alors qu’ils font partie des cibles prioritaires depuis le 6 février (ceux de plus de 50 ans depuis le 4 janvier). Même si ces incertains sont moins nombreux de semaine en semaine. Selon les derniers chiffres du bulletin hebdomadaire de Santé publique France (SPF) publié le 15 avril, 68 % des professionnels de santé ont désormais reçu une première dose, soit 8 % de plus que la semaine passée.

Une accélération importante, si on considère qu’ils n’étaient que 30 % début mars, lorsque l’exécutif a tiré la signal d’alarme. « Il ne faut pas surestimer la méfiance envers le vaccin, parmi les soignants comme dans la population générale », souligne Alexis Spire, directeur de recherche en sociologie au CNRS. « Il y a un noyau de réfractaires, une petite minorité, en dessous de 15 % de la population, pour le reste, ce n’est pas de l’hostilité, mais de l’hésitation », avance le chercheur.

Près de 70 % de primo-injectés, c’est plus qu’il n’en était espéré. Selon une étude menée de décembre à février, auprès de 10 000 soignants par le groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres), et Judith Mueller, professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique, les intentions de vaccination atteignaient seulement le seuil de 60 % des participants, un échantillon non représentatif, mais similaire à la population des soignants en France. « Aujourd’hui, il semble qu’on ait atteint cette intention, observe la médecin épidémiologiste. Nous avons mesuré une marge de 5 % à 10 % de personnes qui ne savaient pas encore si elles voulaient se faire vacciner : de quel côté ces gens vont basculer ? Peut-être parviendra-t-on à 80 %, ce qui serait un niveau très élevé. Mais si on veut atteindre cet objectif, il faut travailler sur la dynamique de groupe, et ne pas véhiculer de clichés sur les soignants. »

Vaccin « low cost »

Comment expliquer une telle avancée de l’intention vaccinale dans cette population ? Un tournant certain s’est opéré à la mi-mars, lorsque le vaccin d’AstraZeneca a été suspendu, puis recommandé seulement pour les plus de 55 ans : la plupart des soignants et soignantes ont ainsi pu avoir accès aux vaccins à ARN messager de Pfizer-BioNTech et Moderna, dont les éventuels effets secondaires les effrayaient moins. « Cela fait un an qu’on fait tous les efforts pour se protéger d’un virus, c’était pas pour se jeter dans un vaccin aussi polémique que celui d’AstraZeneca », justifie Laura Martin, infirmière libérale à Bordeaux.

Lors de débats houleux, la jeune femme a tenu tête à certains de ses proches qui ne comprenaient pas qu’elle ne veuille pas faire cet effort altruiste. Pour elle, il était hors de question d’accepter un vaccin « low cost ». Elle a finalement reçu une première dose de Pfizer-BioNTech il y a dix jours, ravie et soulagée. « Mais je ne serai véritablement rassurée que quand tous mes patients seront vaccinés », ajoute-t-elle.

Depuis le centre hospitalier de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), Médéric Roux, infirmier de 46 ans, témoigne du même phénomène. « Dans mon établissement, tout le monde est OK pour le vaccin, mais on ne voulait pas de l’AstraZeneca », assure ce délégué du personnel. Trop de polémiques sur l’état grippal que certains signalaient juste après l’injection. Pourtant, selon une étude menée par SPF, seuls 6 % des médecins libéraux interrogés pour l’enquête (dont 28 % avaient été vaccinés par AstraZeneca) ont dû se mettre en arrêt de travail d’au moins un jour. « Ce qui est dommage, c’est que ça fait de la mauvaise publicité pour les autres vaccins. Beaucoup de gens ne sont pas bien informés et, derrière, ça fait des dégâts », souligne M. Roux.

De fortes réticences demeurent, plus fortement chez les infirmiers et sages-femmes en médecine libérale, ainsi que chez les aides-soignants. Alors que médecins et pharmaciens atteignent des taux d’adhésion vaccinale très élevés. « Les soignants représentent une population très hétérogène de différentes catégories professionnelles, mais l’éducation n’explique pas complètement ces différences d’intention vaccinale, qui sont aussi liées, par exemple, à la peur des effets secondaires et à l’opinion majoritaire de l’entourage familial, avertit Mme Mueller. C’est également une question plus large de confiance dans le système. »

A l’hôpital de Vichy (Allier), Laurène Baud, manipulatrice d’électroradiologie médicale, croit en l’efficacité des vaccins et, en tant que référente hygiène dans son établissement, a convaincu ses collègues de se protéger contre la grippe cette année. Pourtant, elle ne se fera pas vacciner contre le Covid-19 ; son compagnon, ambulancier, n’ira pas non plus. « On n’a pas de recul, et le gouvernement fait n’importe quoi », explique calmement la jeune femme de 33 ans. Des situations l’interrogent, comme ce médecin chef tout juste vacciné qui a dû être arrêté cinq semaines en raison de symptômes typiques du Covid-19.

Elle préfère attendre un an, pour voir les effets réels des vaccins, et se laissera peut-être convaincre si un passeport sanitaire est imposé. En attendant, « l’hygiène hospitalière est suffisante pour protéger les patients et s’en protéger, même quand ils ne portent pas de masque », estime la soignante. « Il ne faut pas penser que la non-vaccination est synonyme d’une indifférence au patient, c’est un contresens absolu, assure M. Spire. Dans le discours des soignants, on a le sentiment que les gestes barrières, le masque, la distanciation, appliqués depuis un an, sont beaucoup plus importants que le vaccin pour protéger le patient. »

Effets « chaotiques » de la campagne vaccinale

D’autres facteurs renforcent les hésitations. Ainsi, raconte Sylvie Pons, responsable CGT et infirmière travaillant au centre hospitalier de Muret, près de Toulouse, « ceux qui, malades après avoir été vaccinés, doivent s’arrêter, perdent leur journée de carence », avec des conséquences financières pour les bas salaires. « L’année dernière, on nous applaudissait au balcon et, là, on nous montre du doigt parce que l’on ne voudrait pas se faire vacciner », déplore-t-elle.

« Le personnel est comme le reste de la population, il s’interroge sur les vaccins mis à disposition, et certains d’entre eux semblent plutôt être en phase d’expérimentation généralisée », explique Mireille Stivala, secrétaire générale de la fédération santé CGT. Selon elle, les effets « chaotiques » de la campagne vaccinale sont à l’origine de beaucoup de défiance. « La plupart des soignants savent que la vaccination, en général, sauve des vies. Cela n’empêche pas les incertitudes sur les conséquences du vaccin, surtout quand ils ont des problèmes de santé », précise cette aide-soignante du centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle), qui se fera vacciner, mais aimerait « bien choisir son vaccin ».

Selon une étude menée par la CGT Santé – à laquelle cent dix syndicats ont répondu (64 % du secteur public, 36 % privé) –, près de 96 % des réponses font état de personnels qui ont refusé la vaccination. Le syndicat note que les instances représentatives du personnel n’ont pas été consultées, dans près de 50 % des cas, pour la mise en place de cette campagne de vaccination, qui, dans 90 % des cas remontés, a débuté. Enfin, détaille cette étude à paraître prochainement, les pressions auraient existé dans moins de 10 % des cas.

La défiance, vis-à-vis du vaccin, se trouve aussi renforcée par le ressentiment à l’égard des autorités politiques et sanitaires. Ainsi, le courrier du 5 mars d’Olivier Véran, le ministre de la santé, qui leur était adressé, n’a pas toujours plu. « Je vous le demande, pour vous-même, votre entourage, les Français, si vous n’êtes pas encore vaccinés, faites-le rapidement… Je sais pouvoir compter, encore une fois, sur votre engagement », écrivait-il.

Pour autant, faut-il brandir la menace de l’obligation vaccinale pour parvenir à une couverture suffisante ? « Considérant que l’hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants », l’Académie nationale de médecine a tranché en faveurde la vaccination obligatoire pour tous les professionnels de santé.

De son côté, le Comité consultatif national d’éthique alerte sur le fait qu’une obligation vaccinale « ne serait pas adaptée dans une situation de faible approvisionnement en doses de vaccin, ni dans un contexte d’évolutivité et d’incertitudes »Dans un communiqué publié fin mars, l’institution plaide plutôt pour une démarche pédagogique et active au sein des équipes. « L’hôpital public s’effondre, avec toujours plus de postes non pourvus, des personnels dont la charge de travail est de plus en plus lourde… La question aujourd’hui est de savoir comment retenir celles et ceux qui restent, et non de leur rajouter des contraintes comme une injonction supplémentaire sur la vaccination », analyse M. Spire.

Injonction contre-productive

Pour Véronique Sengel, infirmière aux urgences pédiatriques de Colmar, la question est tranchée depuis longtemps. « Si on m’oblige à me faire vacciner, je démissionne par principe, car les libertés, c’est primordial, assure la quinquagénaire. On fait tous des concessions, mais notre corps c’est la limite. » Même à seulement quelques années de la retraite. « Pour l’instant, je n’ai pas l’intention de me faire vacciner. Il y a tellement de gens qui en ont plus envie que moi. Je n’ai pas l’impression que j’en ai besoin, même si le risque zéro n’existe pas », relativise-t-elle.

L’injonction peut donc être contre-productive. Pour Christiane Wiskow, responsable des politiques sectorielles, à l’Organisation internationale du travail, « la vaccination ne doit pas être obligatoire »« C’est une décision qui reste individuelle, mais il est de la responsabilité des employeurs et des autorités d’encourager, de donner les bonnes informations, afin que les personnels prennent la bonne décision », analyse-t-elle. Et de rappeler que, dans de nombreux pays, le problème réside d’abord dans la disponibilité des vaccins, déjà en nombre insuffisant pour couvrir les populations vulnérables.

Le constat est le même à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), même si, précise-t-elle, dans certains pays, « il peut arriver que les autorités considèrent qu’il faille, au-delà du volontariat, mettre en place un “programme obligatoire” de vaccination ». Il faut alors, explique l’OMS, « prendre grand soin que l’application de ces programmes n’entraîne pas des pénalités qui renforceraient les inégalités sociales ». Un équilibre souvent difficile à trouver.


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