Par Elisabeth Berthou Publiée 21 avril 2021
Selon Stéphane Debove, biologiste et psychologue, la morale est le fruit de notre évolution, un « sens » qui a permis à l’espèce humaine de coopérer et, ainsi, de survivre. Une théorie qu’il manie avec pédagogie et humour dans ce livre.
Le livre. D’où vient la morale ? Comment est-elle entrée dans le cerveau humain ? Avec quelle nécessité ? Ces questions ardues sont au cœur des recherches du biologiste et psychologue Stéphane Debove. Dans son récent opus, en maniant pédagogie et humour, il invite le lecteur à partager son cheminement vers une théorie inspirée de la psychologie évolutionnaire, un courant de la psychologie cognitive. Soulignant l’importance de l’interdisciplinarité, il convoque philosophes, sociologues, anthropologues, biologistes et même économistes pour expliquer « l’origine du contrat que les humains semblent avoir passé entre eux ».
Si, de prime abord, la morale paraît liée à l’éducation, la religion et la culture, l’auteur avance que les jugements moraux ont des bases biologiques et qu’ils peuvent être compris comme le produit d’une capacité cognitive évoluée par sélection naturelle. Son hypothèse : les humains possèdent tous un « sens moral », équivalent au sens du goût ou de l’odorat, mais spécialisé dans la production de jugements moraux.
Ce résultat de l’évolution, traduit par « un précâblage universel », se retrouve dans toutes les sociétés sous forme de valeurs telles qu’aider son groupe ou sa famille, retourner un service rendu, partager des ressources… De même, il a été démontré que, dès l’âge de 6-7 mois, les enfants établissent un lien entre sens de l’équité et coopération.
Pour autant, explique le chercheur, le sens moral peut varier, car le cerveau est en proie à des calculs cognitifs incessants. Ce sens particulier est un algorithme parmi d’autres fonctionnant grâce à des informations diverses selon les individus ou les cultures, et « il ne faut donc pas penser que le sens moral sera toujours l’algorithme privilégié, que sa voix compte toujours plus au grand parlement des instincts ».
Coûts, bénéfices et investissement
La singularité de la morale – « nous faire adopter des comportements coûteux pour nous-mêmes, mais bénéfiques pour les autres » – amène le chercheur à étudier la coopération dans le monde du vivant. Posséder un sens moral permet de ne pas agir égoïstement et de se faire choisir par les autres comme partenaire, mais permet aussi de détecter ceux qui se comportent de façon égoïste et d’éviter d’interagir avec eux.
Chez les chasseurs-cueilleurs, la survie est liée à une collaboration intense et à un système élaboré d’obligations réciproques (de partage de gibier, par exemple). L’auteur rappelle que, déjà, pour Darwin (dans La Filiation de l’homme, 1871), la morale résultait de la combinaison des « instincts sociaux » et d’une « capacité à réfléchir et évaluer les conséquences de nos actions ».
Attaché à la notion de coopération, l’auteur la reformule en termes d’investissement et de coûts : « Si vous voulez avoir des partenaires avec qui coopérer, vous avez intérêt à rembourser correctement ceux qui travaillent avec vous. » Le lecteur parvient ainsi à une étape charnière du livre : la morale comme « solution de la sélection naturelle au problème du remboursement des coûts d’opportunité ».Théorie qui, du point de vue de la biologie, concerne l’ensemble du vivant puisque les exemples d’entraide existent chez les animaux – il suffit de penser aux abeilles.
Si la fin du livre fait une large place aux distinctions de l’altruisme – comportemental, psychologique, biologique –, elle laisse entrevoir que Stéphane Debove prolongera avec enthousiasme ses explorations sur la trace des calculs que fait l’algorithme moral, ainsi que sur « les stimuli de l’Univers auxquels il réagit ».
Pourquoi notre cerveau a inventé le bien et le mal, de Stéphane Debove (HumenSciences, mars 2021, 300 p.
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