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jeudi 22 avril 2021

Le triomphe des méduses, miroir de la bêtise humaine

par Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste  publié le 22 avril 2021

Dans un essai composé de microfictions analytiques, Jacques André montre comment l’inversion de la domination pose la question aiguë de la survie.

Figure privilégiée du totémisme psychanalytique et du sexe de la mère, lequel pétrifie celui qui ose le regarder en face, de quoi la méduse-gorgone est-elle aujourd’hui le symbole ? C’est à cette question que le psychanalyste Jacques André tente de répondre dans les «microfictions analytiques» qui composent cet ouvrage. Si l’on compare l’espèce humaine et les méduses, on constate que la première est la seule à s’autodétruire et à détruire les autres espèces. Sauf une… Car profitant de la dégradation des écosystèmes marins, la méduse, elle, prolifère tranquillement. Elle n’a aucun neurone, tandis que l’homme depuis qu’il est sapiens en a 86 milliards dont il ne fait pas toujours le meilleur usage. D’où le titre de l’ouvrage qui dit la revanche que prennent les méduses. Un propos à entendre tant au sens propre que métaphorique. Un exemple : parce qu’elles filtrent les nanoparticules du plastique, l’idée a germé de les utiliser dans les stations d’épuration d’eau de mer. «Mieux encore, dit l’auteur, la méduse est riche en vitamines B1 et B2 et contient 31 calories pour 100 grammes. La tradition culinaire japonaise l’accommode depuis fort longtemps.»

Est-ce à un livre de cuisine ou de psychanalyse auquel on a affaire, peut s’interroger le lecteur ? Aucun doute possible : c’est bien de la psychanalyse que relève cet ouvrage qui se situe dans le droit fil du questionnement de Freud quand il analysait la psychologie collective, celle des masses et de leurs meneurs. Dans Malaise dans la culture, publié fin 1929, Freud écrivait : «La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure le développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement. […] Les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu’avec l’aide de ces dernières il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier.» Ces lignes prophétiques sonnent étrangement aujourd’hui tant la domination s’est inversée. Car c’est désormais, comme le souligne Jacques André, le malaise dans la nature qui menace la culture d’effondrement. «Réchauffement planétaire, désertification, hausse du niveau des océans, accroissement exponentiel de la démographie… tous les ingrédients sont réunis pour mettre au cœur de l’humanité la question de son autoconservation et de sa survie». Quelles sont les chances d’Eros dans son combat contre son mortel adversaire ? Minces selon l’auteur. Il n’a que sa jeunesse pour lui, qui défile dans les rues des grandes villes du monde occidental. Première réaction, encore bien timide, de ceux dont la survie est le plus immédiatement menacée, remarque Jacques André, quelque peu sceptique sur le destin d’Eros. Eros dont le psychanalyste François Gantheret – récemment disparu, ami de Jacques André et auteur de l’excellent livre Fins de moi difficiles – écrivait : «Eros est incertain et son incertitude est essentielle. Il ne vit que de son échec, il meurt de son succès.»

Ces trente petits chapitres, parfois cocasses, parfois carrément comiques (la satire des psys lacaniens par exemple) alternent fragments cliniques et remarques anthropologiques. Un antidote au malaise dans la nature.

Jacques André, la Revanche des méduses, PUF, 165 pp.


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