Drame, information et maladie mentale
http://www.sudouest.com/accueil/actualite/opinions/article/747730/mil/5275943.html
Mercredi matin, colère de deux personnes de ma connaissance. Le titre de une du journal du jour les révolte : « Folie meurtrière au coeur du Béarn » ; il est complété par une accroche de trois lignes : « Momas (64). Un homme de 66 ans a été retrouvé mort, hier, auprès de sa locataire grièvement blessée. Le fils de celle-ci, Nicolas Plévent, 28 ans, soigné pour des troubles psychiatriques, était activement recherché. »
Les reproches pleuvent. « Vous stigmatisez la maladie mentale... Vous accréditez l'idée que les " fous " sont des criminels en puissance... Vous mettez la psychiatrie en accusation sans rien savoir des conditions dans lesquelles ce drame s'est déroulé... Vous détruisez le travail que nous faisons dans des conditions très difficiles... » L'un d'eux ajoute : « Vous croyez tenir un bon filon : l'hôpital de Pau serait encore coupable de négligence... » (1)
Leur réaction est compréhensible. Quiconque exerce un métier aussi difficile que celui d'infirmier ou de médecin en milieu ouvert ou fermé, confronté à un fait divers de cette nature, ne peut qu'en être blessé, et toute évocation réductrice ne peut que l'indigner. Or, un titre est, par nature, réducteur. Cependant, il n'est jamais seul et renvoie à un ou des articles plus développés, qui apportent des précisions, soulèvent des questions. Dans le cas d'espèce, l'article publié donnait l'ensemble des informations recueillies à chaud, formulant des soupçons et des hypothèses sans énoncer de certitudes. Le suspect était en fuite, le plan Épervier avait été déclenché et, qu'on le veuille ou non, la révélation de la souffrance mentale qu'affrontait le jeune homme apparaissait comme un élément important pour la suite de l'enquête.
Le lendemain, « Sud Ouest » est revenu sur l'affaire en y consacrant une page. Entre-temps, le garçon avait été arrêté et, selon les enquêteurs et le procureur de la République de Pau, était passé aux aveux. En outre, certains éléments matériels venaient conforter les hypothèses de la veille. En complément du récit factuel, le témoignage de la soeur, l'analyse d'un psychiatre et les réactions des équipes soignantes de l'hôpital de Pau permettaient de mieux cerner les problèmes soulevés par cette douloureuse affaire. Nous pouvions alors estimer - sous réserve de ce que nous pourrions apprendre dans les jours à venir - que l'information était assez diversifiée pour permettre à nos lecteurs de prendre la mesure de ce drame et d'échapper à la simplification que notre titre de première page de mercredi matin, rédigé dans l'urgence, pouvait suggérer.
La maladie mentale fait peur. Des personnes qui ne craignent pas d'affronter et de chercher à comprendre les souffrances du corps reculent dès qu'il s'agit de troubles psychiques. Nous préférons ne pas voir, ne pas savoir, et l'enfermement apparaît alors comme une panacée. Un fait divers survient et c'est immédiatement la question accusatrice qui pointe : « Que faisait-il dehors ? » Jusqu'au jour où un groupe, une famille est touchée par la « folie » à travers l'un de ses membres. Alors le regard change, le besoin de comprendre l'emporte sur les idées reçues. Il y a, bien sûr, des cas où la nécessité de l'enfermement est évidente, aussi bien dans l'intérêt du sujet, de son entourage, que de la société. Mais il y a tous les autres cas, où la souffrance est avérée sans que la dangerosité soit patente. La psychiatrie s'y frotte quotidiennement. Les journalistes la rencontrent occasionnellement, au risque de ne pas toujours trouver les mots les plus justes. (1) Le 17 décembre 2004, Romain Dupuy, interné à plusieurs reprises dans cet établissement, avait tué deux infirmières. Il a été reconnu pénalement irresponsable trois ans plus tard.
la chronique du médiateur Auteur : Patrick Berthomeau