Les doigts dans la prison
portrait
13/09/2010
Olivier Maurel. Un peu cow-boy, un peu samouraï, le détonant directeur de la centrale de Poissy fait corps avec la taule.
Par SONYA FAURE
Il est en prison depuis vingt ans. Il connaît la vie à l’ombre et les nuits trop claires, aveuglées par les projecteurs des miradors. Mais lui a les clefs. Olivier Maurel est directeur de la centrale de Poissy (Yvelines), où dorment les longues peines. Il publie un livre, le Taulier, cerné par les clichetons littéraires et un sens de la litote qui parfois laisse coi («J’ai gardé longtemps l’image et l’odeur de ce détenu en train de se dévorer au milieu de ses excréments. Triste spectacle…»). Mais une parole inattendue et rare venant d’une institution, la pénitentiaire, surnommée à juste titre «la petite muette».
Olivier Maurel a fait relire son texte à sa hiérarchie. Il écrit: «Ne cherchez pas dans ce livre de message politique ou socialement connoté.» On y trouve une prison d’une violence extrême et le profil imprévu d’un commis de l’Etat. Aux journalistes, le service com de l’administration pénitentiaire dit : «Olivier Maurel est un directeur de prison atypique.»
Il est élégant, un peu raide, cheveux ras. Mais Maurel se lit en Lino Ventura, peur de rien et respect pour les vieux braqueurs compris. Un peu cow-boy aussi. «Ah non, pas cow-boy ! C’est à l’opposé de ce que je suis.» L’adjectif revient pourtant souvent à son propos, il le sait. «Il est très sympathique mais un peu barbouze», juge un collègue. «Il incarne une certaine droite pénitentiaire. Un patron de choc qui pense qu’il ne faut jamais faire croire aux détenus que l’administration n’est pas la plus forte à tout moment», estime Jean-Michel Dejenne, représentant CGC du personnel de direction.
Dans la cour de promenade de Poissy, Olivier Maurel lance à un détenu : «Ça s’est réglé votre affaire ?»«C’est bon, merci patron», dit l’autre. Sur 230 «pensionnaires», comme il dit parfois, 140 ont tué. Depuis qu’il est arrivé, des caméras ont été installées, mais les parloirs rallongés. «Olivier Maurel est respecté par les détenus et par le personnel : c’est un homme d’action, mais il a le sens de l’écoute», assure Pierre Raffin, son ancien supérieur à Moulins. Un surveillant confirme : «Il est derrière ses hommes, comme un militaire.»
Maurel est marathonien, Maurel aime les sports de combat. Alors, des champions de boxe thaï font des galas à la centrale et un des prisonniers prépare les 20 kilomètres de Paris. Lors de la dernière fête de la musique, il a pris la place d’un détenu à la batterie et joué My Sharona de The Knack. Maurel aime le hard rock et la moto (que sa seconde femme, avocate, lui a fait arrêter). Il a le corps couvert de tatouages qui l’obligent, l’été, à travailler en manches longues. Des porte-bonheur chinois, des maximes de moines Shaolin. Sur le bras droit : «L’homme sage et courageux renaîtra de ses cendres.»
Il y a d’abord eu Grasse, premier poste ou presque de cet homme grandi dans des villages de l’Aude, entre un père aux valeurs «rouges rouges»et une mère gaulliste-nationaliste-catho, tous deux enseignants. «Comparée à la répression des fraudes ou aux douanes, la matière pénitentiaire me semblait celle qui allait m’ennuyer le moins.» Grasse, donc, l’épisode dont les collègues parlent encore avec une voix plus atone.
C’est le matin, Maurel court dans un parc d’Antibes. Derrière lui, des aiguilles de pins craquent. Violent coup sur la nuque, sérieux tabassage. Il entend une lame qu’on sort d’un cutter. S’évanouit. Se réveille avec la peau taguée à l’aérosol : «DEAD». L’agression a été commanditée par un détenu de 20 ans que Maurel avait placé 45 jours au mitard. «A l’époque, j’étais d’avantage dans une logique d’opposition que de compréhension. J’avais 25 ans, j’étais vif.» Un collègue commente : «Une telle agression ne m’est jamais arrivée, ce n’est peut-être pas un hasard.» Maurel : «C’est sûr qu’à rester le cul dans son bureau, on ne risque pas la prise d’otage.» Qu’il a aussi connue. Pierre Raffin, qui l’a vu descendre dans la cour de promenade de la centrale de Moulins négocier avec des détenus en état de mutinerie, parle d’un «courage extrême».
Olivier Maurel s’est formé à la gestion de crise lors de stages avec le Raid et le GIGN et cite l’Art de la guerre de Sun Tzu. Il a été chef du bureau du renseignement pénitentiaire, chargé d’amasser les informations sur les détenus jugés les plus dangereux, les terroristes. Lui qui adore Hemingway et préfère Jankelevitch à Foucault, lui qui a vu 43 fois l’Année du dragon avec Mickey Rourke mais n’a pas voulu se plonger dans un trop proche Prophète, passe son temps libre à écrire un polar inspiré de ses analyses comportementales de serial killers. Une seule chose le fait reculer : les prisons de femmes. «Trop trash. Vous n’imaginez pas les propos crus qu’elles peuvent tenir.»
Il a l’âme d’un «centralien» comme on dit à la pénitentiaire, parce que dans les établissements des longues peines, «on a le temps de connaître les détenus, de discuter». «Parler liberté avec un homme qui a déjà fait vingt piges, ça a quand même une autre gueule qu’entendre un intellectuel blasé sur le sujet.» L’idée du livre est née au quartier disciplinaire de Moulins, dans la cellule de Michel Vaujour, le braqueur aux cinq évasions. «On discutait, il m’a dit : "Monsieur Maurel, un jour il faudra qu’on écrive ce qu’on a vécu. Mais les gens n’y croiront pas."» Olivier Maurel ouvre les portes, cellule par cellule, et ce qu’il montre de l’intérieur est en effet édifiant.
Moulins, cellule d’un double perpète. «La veille, on se tapait un délire dans la salle informatique», se souvient le directeur. Le lendemain, le prisonnier l’agresse. «Le seul surveillant qui a pu s’approcher s’est fait sécher en moins de deux.» Quatre détenus se lancent vers l’agresseur : «Partez monsieur Maurel, on le maîtrise.»
Mirador n°1, prison de Bois-d’Arcy. Le surveillant ne répond plus. A l’intérieur, une odeur de métal rouillé, «du sang et de la matière cervicale». Le gardien s’est supprimé. Quand ils l’apprennent, des détenus applaudissent. «La première fois, ça secoue. Après, il y a toujours le choc et l’émotion. Mais les pieds dans le sang, vous faites mentalement une check-list des appels à passer… Les psys appellent ça l’habituation.»
Fleury-Mérogis, division 1, peu avant Noël. Rachid délire, Rachid veut extirper le démon de son propre corps. Malgré la ceinture de contention psychiatrique, il parvient à libérer son poignet, il se dévore l’index puis s’arrache un testicule. «La prison est devenue le déversoir des hôpitaux psychiatriques. On les appelle les "fatigués".»
Olivier Maurel a déplié la cartographie de la prison où l’on meurt violemment, celle des mutineries et des prises d’otages. Il y a l’autre, celle où l’on vieillit, celle de l’ennui. Il écrit : «Je dois alors "replier" le temps pour que les détenus ne perdent pas espoir.» Il explique: «Il faut remettre de la logique là où il n’en existe plus. On mobilise autour d’une formation, du maintien des liens familiaux, de petites choses essentielles.» A Poissy, Maurel a retrouvé un ancien de Moulins. «Vous n’avez pas la même voix», a dit le prisonnier. «J’ai pris de l’âge, traduit Maurel. J’ai été touché dans ma tête et dans mon corps depuis vingt ans.» Le détenu, lui aussi, avait vieilli. Ils se sont dit qu’ils avaient blanchi.
Olivier Maurel a fait relire son texte à sa hiérarchie. Il écrit: «Ne cherchez pas dans ce livre de message politique ou socialement connoté.» On y trouve une prison d’une violence extrême et le profil imprévu d’un commis de l’Etat. Aux journalistes, le service com de l’administration pénitentiaire dit : «Olivier Maurel est un directeur de prison atypique.»
Il est élégant, un peu raide, cheveux ras. Mais Maurel se lit en Lino Ventura, peur de rien et respect pour les vieux braqueurs compris. Un peu cow-boy aussi. «Ah non, pas cow-boy ! C’est à l’opposé de ce que je suis.» L’adjectif revient pourtant souvent à son propos, il le sait. «Il est très sympathique mais un peu barbouze», juge un collègue. «Il incarne une certaine droite pénitentiaire. Un patron de choc qui pense qu’il ne faut jamais faire croire aux détenus que l’administration n’est pas la plus forte à tout moment», estime Jean-Michel Dejenne, représentant CGC du personnel de direction.
Dans la cour de promenade de Poissy, Olivier Maurel lance à un détenu : «Ça s’est réglé votre affaire ?»«C’est bon, merci patron», dit l’autre. Sur 230 «pensionnaires», comme il dit parfois, 140 ont tué. Depuis qu’il est arrivé, des caméras ont été installées, mais les parloirs rallongés. «Olivier Maurel est respecté par les détenus et par le personnel : c’est un homme d’action, mais il a le sens de l’écoute», assure Pierre Raffin, son ancien supérieur à Moulins. Un surveillant confirme : «Il est derrière ses hommes, comme un militaire.»
Maurel est marathonien, Maurel aime les sports de combat. Alors, des champions de boxe thaï font des galas à la centrale et un des prisonniers prépare les 20 kilomètres de Paris. Lors de la dernière fête de la musique, il a pris la place d’un détenu à la batterie et joué My Sharona de The Knack. Maurel aime le hard rock et la moto (que sa seconde femme, avocate, lui a fait arrêter). Il a le corps couvert de tatouages qui l’obligent, l’été, à travailler en manches longues. Des porte-bonheur chinois, des maximes de moines Shaolin. Sur le bras droit : «L’homme sage et courageux renaîtra de ses cendres.»
Il y a d’abord eu Grasse, premier poste ou presque de cet homme grandi dans des villages de l’Aude, entre un père aux valeurs «rouges rouges»et une mère gaulliste-nationaliste-catho, tous deux enseignants. «Comparée à la répression des fraudes ou aux douanes, la matière pénitentiaire me semblait celle qui allait m’ennuyer le moins.» Grasse, donc, l’épisode dont les collègues parlent encore avec une voix plus atone.
C’est le matin, Maurel court dans un parc d’Antibes. Derrière lui, des aiguilles de pins craquent. Violent coup sur la nuque, sérieux tabassage. Il entend une lame qu’on sort d’un cutter. S’évanouit. Se réveille avec la peau taguée à l’aérosol : «DEAD». L’agression a été commanditée par un détenu de 20 ans que Maurel avait placé 45 jours au mitard. «A l’époque, j’étais d’avantage dans une logique d’opposition que de compréhension. J’avais 25 ans, j’étais vif.» Un collègue commente : «Une telle agression ne m’est jamais arrivée, ce n’est peut-être pas un hasard.» Maurel : «C’est sûr qu’à rester le cul dans son bureau, on ne risque pas la prise d’otage.» Qu’il a aussi connue. Pierre Raffin, qui l’a vu descendre dans la cour de promenade de la centrale de Moulins négocier avec des détenus en état de mutinerie, parle d’un «courage extrême».
Olivier Maurel s’est formé à la gestion de crise lors de stages avec le Raid et le GIGN et cite l’Art de la guerre de Sun Tzu. Il a été chef du bureau du renseignement pénitentiaire, chargé d’amasser les informations sur les détenus jugés les plus dangereux, les terroristes. Lui qui adore Hemingway et préfère Jankelevitch à Foucault, lui qui a vu 43 fois l’Année du dragon avec Mickey Rourke mais n’a pas voulu se plonger dans un trop proche Prophète, passe son temps libre à écrire un polar inspiré de ses analyses comportementales de serial killers. Une seule chose le fait reculer : les prisons de femmes. «Trop trash. Vous n’imaginez pas les propos crus qu’elles peuvent tenir.»
Il a l’âme d’un «centralien» comme on dit à la pénitentiaire, parce que dans les établissements des longues peines, «on a le temps de connaître les détenus, de discuter». «Parler liberté avec un homme qui a déjà fait vingt piges, ça a quand même une autre gueule qu’entendre un intellectuel blasé sur le sujet.» L’idée du livre est née au quartier disciplinaire de Moulins, dans la cellule de Michel Vaujour, le braqueur aux cinq évasions. «On discutait, il m’a dit : "Monsieur Maurel, un jour il faudra qu’on écrive ce qu’on a vécu. Mais les gens n’y croiront pas."» Olivier Maurel ouvre les portes, cellule par cellule, et ce qu’il montre de l’intérieur est en effet édifiant.
Moulins, cellule d’un double perpète. «La veille, on se tapait un délire dans la salle informatique», se souvient le directeur. Le lendemain, le prisonnier l’agresse. «Le seul surveillant qui a pu s’approcher s’est fait sécher en moins de deux.» Quatre détenus se lancent vers l’agresseur : «Partez monsieur Maurel, on le maîtrise.»
Mirador n°1, prison de Bois-d’Arcy. Le surveillant ne répond plus. A l’intérieur, une odeur de métal rouillé, «du sang et de la matière cervicale». Le gardien s’est supprimé. Quand ils l’apprennent, des détenus applaudissent. «La première fois, ça secoue. Après, il y a toujours le choc et l’émotion. Mais les pieds dans le sang, vous faites mentalement une check-list des appels à passer… Les psys appellent ça l’habituation.»
Fleury-Mérogis, division 1, peu avant Noël. Rachid délire, Rachid veut extirper le démon de son propre corps. Malgré la ceinture de contention psychiatrique, il parvient à libérer son poignet, il se dévore l’index puis s’arrache un testicule. «La prison est devenue le déversoir des hôpitaux psychiatriques. On les appelle les "fatigués".»
Olivier Maurel a déplié la cartographie de la prison où l’on meurt violemment, celle des mutineries et des prises d’otages. Il y a l’autre, celle où l’on vieillit, celle de l’ennui. Il écrit : «Je dois alors "replier" le temps pour que les détenus ne perdent pas espoir.» Il explique: «Il faut remettre de la logique là où il n’en existe plus. On mobilise autour d’une formation, du maintien des liens familiaux, de petites choses essentielles.» A Poissy, Maurel a retrouvé un ancien de Moulins. «Vous n’avez pas la même voix», a dit le prisonnier. «J’ai pris de l’âge, traduit Maurel. J’ai été touché dans ma tête et dans mon corps depuis vingt ans.» Le détenu, lui aussi, avait vieilli. Ils se sont dit qu’ils avaient blanchi.
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