Une équipe mixte de détenus a monté elle-même, avec l’aval du service pénitentiaire, cette manifestation autour du thème de la femme.
« Simone Veil, elle me rappelle ma mère, qui s’est battue toute sa vie contre des hommes hostiles. Au Parlement, ils étaient tous contre elle, mais elle leur a fait comprendre qu’ils n’étaient que des bébés au petit pied. Et elle l’a eu, son avortement ! Elle a jamais lâché l’affaire, je suis si fière d’elle ! » La voix de Bouchra tremble. D’elle, on ne saura rien. Son histoire lui appartient, et restera entre les murs de la prison de Réau (Seine-et-Marne). Mais cette émotion, cette ardeur, elle les partage depuis trois mois avec ses codétenus du centre pénitentiaire sud-francilien, quand elle leur fait visiter l’exposition qu’elle a conçue au sein de l’établissement avec une dizaine de compagnons d’infortune. Ils l’ont intitulée « La Femme, un regard différent ». Simone Veil en est l’une des vedettes, aux côtés de l’écrivaine Colette, ou de la révolutionnaire Olympe de Gouges, qui finit guillotinée.
Rien à voir avec un accrochage de pacotille : ce collectif de commissaires hors norme a eu accès aux plus belles collections muséales. Comme par deux fois auparavant : deux expositions ont déjà été montées ici, l’une autour du voyage, aidée par le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, et l’autre autour des Misérables de Victor Hugo. C’est d’ailleurs Vincent Gille, l’un des conservateurs de la maison de Victor Hugo, place des Vosges, qui se trouve aux manettes depuis le début. Il ne compte pas son temps pour voir aboutir ces initiatives ardues, mais essentielles à ses yeux : « Les détenus se sentent exclus de la culture, il y a une vraie distance symbolique entre le monde de l’art et eux, que d’un coup nous faisons disparaître. Les œuvres des musées nationaux leur appartiennent, autant qu’à nous tous. »
Vincent Gille, conservateur : « Par le biais de ces œuvres passe une aventure humaine de partage »
Appuyé par son collègue Jérôme Godeau, du Musée Bourdelle, il s’est rendu une cinquantaine de fois à Réau pour rencontrer Bernadette, Xavier, Karim, Bouchra, Anderson… Une équipe de six hommes, quatre femmes, retenus sur la base du volontariat, avec l’aval du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Pour l’agent responsable des quelque 700 personnes incarcérées ici, ce type d’initiative ne relève pas d’un luxe, mais d’un droit. « L’administration pénitentiaire a pour devoir de donner accès à la culture, rappelle-t-il. Un coordinateur culturel se charge donc de donner accès à la lecture, au chant, au patrimoine, au spectacle. » Monter une exposition derrière ces barreaux n’est pas le plus simple de ses projets. D’autant plus qu’il s’agit d’une des très rares activités mixtes, dans cette prison qui abrite environ 75 femmes. « Mais un vrai lien s’est tissé entre nous, une famille de cœur », s’émeut Jérôme Godeau.
Visites guidées
Pour l’exposition, les commissaires ont été libres de A à Z : choix des œuvres, de la scénographie, rédaction des cartels, ils s’occupent de tout, même des visites guidées, ouvertes à leurs compagnons de détention mais aussi aux familles. Le choix du thème a fait consensus : « On nous avait aussi proposé l’envol ou le jardin secret, on a choisi la femme, pour blâmer les préjugés, résume la pétulante Bernadette. Notre souhait le plus profond, c’est de faire découvrir l’art à ceux qui n’ont jamais l’occasion d’aller au musée, de les voir curieux, émerveillés ou réactifs. »
De Vénus préhistoriques en tapas kanak, de sarcasmes brodés par Annette Messager en masques de Sierra Leone, d’affiches du MLF en pochoirs de Miss. Tic, les visites sont rodées. « Admirez la grande qualité plastique de cette Dame de Brassempouy, ces raclages, ce polissage… C’est ici une copie, mais c’est la première représentation d’un humain dans le monde, et pour le coup, c’est une femme », s’enthousiasme Karim, qui a digéré tous les enseignements offerts durant les visites faites par les conservateurs des musées sollicités pour les prêts. Ce masque ventral ? « Il est porté par les hommes, qui miment la douleur de l’enfantement, rappelle Bouchra. C’est malheureux qu’on n’ait pas ça en France ! Pour nous, c’est un message à tous les détenus, ça leur rappelle qu’être une femme, sincèrement c’est pas facile. Mais que les femmes sont capables d’être plein de choses, des mères universelles. »
Bernadette, elle, se retrouve plutôt dans la section « femmes de caractère ». Colette ? « J’adore son côté provoc, quand elle disait : “Le rôle de baronne me va comme une plume dans le derrière.” J’ai beaucoup tenu à présenter aussi la communarde Louise Michel, car quand j’étais jeune, je bataillais, j’étais un peu révolutionnaire, et on m’avait comparée à elle. Louise Michel, elle se battait pour les autres plus que pour elle, moi je suis un peu comme ça. Même si je suis quand même coquette, hein, attention ! »
Chacun se projette à sa manière. « Par le biais de ces œuvres passe une aventure humaine de partage, résume Vincent Gille. Cela permet de vérifier qu’elles ont un pouvoir sur les gens, un pouvoir d’ouverture. Indéniablement, ça marche. » Bouchra confirme : « Cela m’a permis d’avoir plus confiance en moi, de parler aux hommes, ça m’aidera pour mon projet à la sortie. » Peintre amateur et grand lecteur, Xavier a, lui, retenu une autre leçon : « Le grand avantage d’être un humain, c’est de toujours continuer à apprendre. Pour nous, c’est fondamental d’avoir des discussions avec des gens de l’extérieur, sinon on ne parle que de prison, et ça c’est tragique. »
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