Séance de jeu Adapt'ou Pas à l'institut Claude-Pompidou destinée à la recherche et aux soins des malades d'Alzheimer. Photo Laurent Carré pour Libération
«Adapt’ou pas» permet d’aborder les pertes de mémoire, l’apathie et la désinhibition de façon ludique. Développé par le Centre mémoire de Nice et l’association Innovation Alzheimer, il sera présenté au festival international des jeux, qui commence vendredi à Cannes.
Mamie a bonne mine. Elle a rassemblé ses cheveux en chignon et a enfilé son joli gilet prune. On devine son regard rieur derrière ses lunettes rondes. Mais la grand-mère commence à avoir quelques troubles cognitifs. Sa maladie d’Alzheimer fait qu’elle confond parfois les prénoms, a des difficultés à lacer ses chaussures et refuse de prendre l’air. Mamie est l’héroïne du jeu de société Adapt’ou pas. Elle n’est qu’un être de papier imprimé sur un plateau et sa maladie est sortie de l’imagination des équipes du Centre mémoire de Nice et de l’association Innovation Alzheimer. Glissés dans la peau de ses petits-enfants, les joueurs devront opter pour les bons mots et les décisions appropriées pour aider la grand-mère, sans la froisser, ni la mettre en danger.
On tire la première carte : «Mamie n’arrive plus à lacer ses chaussures. Je lui dis : "Recommence, ce n’est pas compliqué, tu vas y arriver !"» Réponse adaptée ou pas ? Opter pour la bonne solution, c’est marquer l’un des dix points qui mèneront à la victoire. «Ne la mets pas en échec, explique-t-on aux joueurs. A cause de sa maladie, Mamie ne peut plus faire certains gestes. Demande à ta maman d’aller choisir ensemble une nouvelle paire de baskets sans lacet ou à scratch.» La réponse préalablement choisie n’était donc pas adaptée. Pas plus que de se vexer quand elle se trompe de prénom, de filouter en lui demandant «une troisième part de gâteau» ou de «faire des devinettes» quand elle redemande l’heure. «On est partis du constat que le lien familial se délite avec la maladie. Ce n’est pas préserver les petits-enfants que de ne pas rendre visite à leurs grands-parents quand ils sont malades, estime la neuropsychologue qui travaille sur le projet, Julie Brousse. C’est à l’entourage de s’adapter et de réagir correctement.»
«Informer de manière ludique»
Le jeu de société encourage à «répéter l’information», «éviter la confrontation», «orienter l’attention sur autre chose». Vendu 45 euros, Adapt’ou pas permet d’aborder les pertes de mémoire, les hallucinations, l’apathie et la désinhibition. «L’objectif, c’est d’informer de manière ludique sur un symptôme et une pathologie, explique le professeur Philippe Robert, psychiatre au Centre mémoire. Tous les jours en consultation avec des familles, j’explique des choses basiques : quand quelqu’un fait répéter quinze fois la même chose, ce n’est pas pour nous embêter. Mais quand on est le mari, la femme, le fils ou la fille, on a une relation affective qui fait que c’est complexe à comprendre. On interprète les choses de manière différente qu’une personne extérieure à notre famille.»
Ce serious game est loin d’être un ovni dans l’univers du jeu de société. Au festival international des jeux de Cannes, grand-messe du gaming (de vendredi à dimanche), certains professionnels font la part belle à ces activités qui abordent le handicap et la maladie. L’année dernière, l’éditeur de jeux Asmodee avait accueilli l’équipe niçoise et son prototype d’Adapt’ou pas pour des phases de test. «On soutient le développement de la recherche sur le jeu de société. Cela passe par le financement de projets de recherche et la communication pour diffuser le savoir sur les jeux de société, détaille Mikael Le Bourhis, responsable du pôle Asmodee Research. Nous avons déjà pas mal de données sur le fait que le jeu est sociabilisant et motivant.»
«Distanciation»
Aline Chemineau et Sabine Bertrand en ont fait l’expérience. Ces deux mères ont créé Did Act et la Magie du dôme, deux jeux autour du diabète de type 1 dont sont atteints leurs enfants. «Les connaissances s’ancrent mieux avec un jeu qu’avec un PowerPoint ou un bouquin. On va construire soi-même un certain nombre de notions pédagogiques : le jeu permet aux gens de faire de la simulation sans stress. D’ailleurs, les premiers serious games ont été créés par l’armée pour s’entraîner au combat, explique Aline Chemineau. En utilisant un jeu, on ouvre un cadre plus détendu, on permet des phénomènes de distanciation : on fait des choses qui nous engagent en tant que joueur et non en tant que personne. On est donc plus ouverts à la critique et à la discussion.» Impossible de tomber en hyperglycémie après avoir déposé une mauvaise carte. Impossible de froisser la grand-mère en se trompant de réponse. Elle garde inlassablement son sourire imprimé.
Sur le plateau de jeu, on tâtonne, on teste, on ose. Et on garde en mémoire ses expériences pour mieux les transposer dans la réalité. «Certaines situations font écho à la réalité et interpellent. On peut se rendre compte qu’on s’est trompé et ça peut être culpabilisant. Le jeu ouvre la discussion, pointe également la cocréatrice d’Adapt’ou pas, Laure Chantepy. Avec les enfants, on mêle les parents. Le jeu devient alors un outil intergénérationnel : on joue en famille et on s’autoquestionne.» Une extension avec la «version adultes» est en préparation. Pour que mamie et ses troubles ne soient plus un mystère pour les petits-enfants et leurs parents.
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