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dimanche 19 avril 2020

« La peur et ses précautions ne doivent pas nous déposséder face à la mort et à la maladie »

Publié le 19 avril 2020


Saluant, dans une tribune au « Monde », le souhait d’Emmanuel Macron de voir s’organiser dans les hôpitaux et les maisons de retraite des visites entre les personnes en fin de vie et leurs proches, un collectif de personnalités, parmi lesquelles Marcel Gauchet, Boris Cyrulnik, Tareq Oubrou, se dit attentif à la mise en place d’une mesure essentielle pour rendre le deuil possible.

Tribune. Nous voulons ici remercier le président de la République d’avoir rendu à chacun la possibilité de l’ultime présence, en disant ces mots, lundi 13 avril : « Je souhaite aussi que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d’organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu. »
Après les mesures de mobilisation médicale, les mesures de soutien économique, le président a secouru le caractère fondamental de toutes les sociétés humaines ; l’accompagnement de la mort, la possibilité du dernier adieu. La condition même de notre humanité.
La solitude des instants suspendus de la fin d’une vie ne relève pas uniquement de l’intime : le lien qui relie tous les êtres, c’est celui d’une commune humanité, faite du partage de ces moments cruciaux : une présence, un regard, une caresse d’un des vôtres au point de bascule vers la mort, cette inconnue.

Un dernier partage d’humanité


Il n’est donc effectivement pas acceptable de laisser partir un proche sans avoir pu le voir une dernière fois, ni concevable de dire adieu devant un cercueil clos !
Nous avons tout autant besoin de la science que de l’adieu à ceux que nous aimons.
Chacun sa place.
La nôtre auprès des nôtres, de près ou de loin, d’une façon qui reste à inventer pour ne pas mettre en péril la santé collective, mais d’une façon décente dans ce moment si important.
Celle du politique est de penser et d’organiser les conditions d’un dernier partage d’humanité, les conditions de l’adieu à nos proches, qu’ils soient dans leurs maisons de retraite ou à l’hôpital.
Alors que toutes les mesures qui séparent les familles, les couples, les vies en leurs instants extrêmes, visent à nous protéger, à épargner d’autres vies aussi, alors que les soignants se tuent littéralement au travail, pour nous sauver, il peut sembler égoïste ou inconscient de réclamer un aménagement des protocoles.
Mais les gestes barrières du quotidien ont justement été pensés pour permettre une interaction minimale, dans l’idée que la vie continue, alors que le confinement radical montre ses limites au moment où commencent à être envisagées les étapes d’un « déconfinement ».

Des formes nouvelles

La peur et ses précautions ne doivent pas nous déposséder face à la mort et à la maladie, ni nous défaire de notre humanité et seule la décision politique peut rendre la possibilité du dernier adieu et ce sur l’ensemble du territoire.
Il existe des lieux dans les Ehpad où, avec la garantie des moyens de protection nécessaires, organiser la visite de nos parents afin que la solitude ne tue pas davantage que le virus lui-même
Quand les conditions d’une présence sont réellement impossibles, nous serons attentifs aux formes nouvelles à trouver qu’elles passent par la dématérialisation d’espaces virtuels ou réels aménagés à l’écart, par une vitre, ou encore par un écran.
Il existe des lieux dans les hôpitaux pour organiser ce moment, un endroit dans lequel les familles viendraient à tour de rôle dire adieu à leurs proches.
Il existe des lieux dans les établis­sements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où, avec la garantie des moyens de protection nécessaires, organiser la visite de nos parents afin que la solitude ne tue pas davantage que le virus lui-même.
Que des volontaires aident le personnel soignant pour prévenir les familles que le dernier moment arrive et accompagnent chaque personne près d’une baie vitrée, d’un balcon, d’un bout de couloir lointain même, ou d’un écran de téléphone, pour voir ou entendre sa famille, un ami, une présence proche.

Psychologues et aumôniers

Ne faut-il pas aussi proposer au monde médical un retour visible, réel ou virtuel, des psychologues ou aumôniers dont c’est le savoir-faire d’accompagner les vivants dans la mort ?
Penser ces gestes aujourd’hui, c’est prévenir la culpabilité, la honte, les rancœurs collectives envers les puissances de l’Etat, celles-là mêmes que l’on devrait pouvoir considérer avec reconnaissance pour nous avoir protégés.
La présence, le lien, le regard symbolisent les valeurs essentielles qui portent une collectivité.
De ces valeurs nous sommes tous responsables.
Mais c’est bien au gouvernement d’en rendre possible la mise en œuvre, quelles que soient les circonstances, car précisément les circonstances appellent le pouvoir politique à intervenir pour défendre ce qui est le plus cher, et le plus vulnérable, au cœur de notre société.
Pour un deuil possible, pour un lien maintenu, pour l’ultime présence.
Les signataires : Maïténa Biraben, animatrice et productrice ; Anne-Lorraine Bujon, directrice de la rédaction de la revue Esprit ; Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, éthologue ; Fabrice Demarigny, président du conseil de surveillance de la revue Esprit ; Véronique Fournier, médecin ; Marcel Gauchet, philosophe, historien, directeur d’études à l’EHESS ; Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste ; Edgar Morin, sociologue ; Tareq Oubrou, iman de Bordeaux ; Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris (ADP).

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