Quelle influence le confinement a-t-il sur nos songes ? En explorant ses propres rêves, mais aussi ceux de Descartes, la romancière et essayiste Isabelle Sorente trouve en eux bien plus qu’un espace de projection de la petite enfance : une surface où la cloison entre le “je” et le “nous” éclate, et un écran où se dessine le monde d’après.
« Le dormeur voit ce que l’éveillé ne voit point »... écrivait le grand romancier égyptien, Gamal Ghitany dans son chef-d’œuvre, Le Livre des illuminations, où le narrateur voyage en songe sur les traces de son père. Gamal Ghitany avait l’art de mêler scènes réalistes – il fut reporter de guerre – et quête mystique. S’il ne nous avait pas quittés en 2015 et avait traversé la crise que nous connaissons aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’écrirait pas de journal de confinement mais serait en train de noter ses rêves. Bien sûr, cette supposition a déjà quelque chose d’onirique, comme une vision du maître égyptien, avec ses yeux brillants et ses lunettes rondes, retranscrivant ses rêves dans un monde parallèle où il serait encore vivant...
Une porte ouverte
“Que voit le dormeur que l’éveillé ne voit point, en cette période surnaturelle où nous avons l’impression de vivre à l’intérieur d’un scénario que même les plus audacieux storytellers de Netflix n’auraient osé imaginer ?”
Que voit donc le dormeur que l’éveillé ne voit point, en cette période surnaturelle où nous avons parfois l’impression de vivre à l’intérieur d’un scénario que même les plus audacieux storytellers de Netflix n’auraient osé imaginer il y a six mois encore ? L’activité humaine en arrêt ou presque, de New York à Mumbai, des milliards de personnes toutes enfermées chez elles, confinées en même temps. Trop fou pour être vrai. Parce que la réalité a dépassé la fiction, nos rêves, qui dépassent la réalité, prennent nécessairement aujourd’hui une nouvelle dimension.
Mais laquelle ? L’historien Hervé Mazurel, qui collecte actuellement des rêves de confinement avec la psychanalyste Élisabeth Serin, affirmait déjà en 2018, dans l’édito d’un extraordinaire numéro de la revue de sciences sociales Sensibilités intitulé « La société des rêves » (coordonné par Bernard Lahire et Hervé Mazurel et édité par Anamosa), qu’il était essentiel de retrouver et d’explorer la dimension collective du rêve, sa valeur sociologique, en rouvrant « l’interprétation des rêves à bien d’autres couches significatives que délaisse le regard psychanalytique ». Et notamment le partage de l’imaginaire, la façon dont nos vies secrètes communiquent la nuit. Comme si le rêve était la porte par laquelle notre identité s’ouvre, pour y laisser entrer autre chose que nous. (Arthur Rimbaud n’a-t-il pas dit : « Je est un autre » ? Et Jorge Luis Borges que nous sommes tous le double du même rêveur ? Et Hartmut Rosa que l’identité est résonance ?)
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