/ Nancy Huston 24 avril 2020
« Nous sommes coupables dès que nous nous levons le matin », écrit l’écrivaine Nancy Huston. Que l’on boive un jus d’oranges — d’où viennent les fruits ? —, pianote sur notre smartphone ou enfile un T-shirt made in Bangladesh, nous sommes accrocs à des milliers de produits criminels à l’apparence innocente. Prêts pour un nettoyage éthique ?
Nancy Huston est une romancière franco-canadienne. Elle a écrit de nombreux romans dont Cantique des plaines (Actes Sud, 1993), Lignes de faille, (Actes Sud, 2009) et Rien d’autre que cette félicité (Parole, 2019).
« Bolsonaro le militaire se saisit de la crise pour faire le nettoyage ethnique dans les favelas », écrit mon ami Jean Morisset [1], qui connaît bien le Brésil.
Et si, nous-mêmes, nous nous saisissions de la crise pour faire un peu de nettoyage éthique ?
D’ores et déjà, par exemple, nous savons que notre besoin irrépressible et impérieux de nous (passez-moi l’expression) torcher le cul avec une substance douce et agréable a entraîné des catastrophes – notamment au Brésil – car notre PQ est fait de cellulose, c’est-à-dire d’eucalyptus. Un végétal dont les plantations en monoculture ont nécessité la déforestation de grands pans de l’Amazonie, ce qui a causé le déplacement forcé des populations autochtones qui habitaient ces forêts et favorisé les terribles incendies de 2019. Ce savoir, trop abstrait apparemment, ne nous a nullement empêchés de nous précipiter massivement dans les supermarchés dès le début de la crise du coronavirus pour acheter des stocks importants de papier toilette afin de s’assurer au moins d’une chose : qu’après avoir fait caca, nous allions pouvoir nous essuyer avec une substance douce et moelleuse jusqu’à la fin des temps — jusqu’à l’Apocalypse !
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