Publié le : 19/03/2020
Les assureurs font remplir des questionnaires de santé par les médecins traitants de leurs clients avant ou après la souscription d’un contrat. Totalement illégal !
Les manoeuvres intrusives des assureurs font perdre du temps aux praticiens tout en ignorant leurs obligations déontologiques. Que ce soit dans le cadre d’une assurance vie, d’un contrat de prévoyance ou d’un emprunt immobilier, ils ont pris l’habitude de s’adresser aux médecins traitants de leurs clients et de leur demander des informations détaillées sur leur état de santé. Avant la signature du contrat, pour définir exclusions de garanties et surprimes, mais aussi après souscription pour détecter une fraude qui les dispenserait de servir les prestations dues. Sans trop s’embarrasser du secret médical.
DES PROCÉDÉS ABUSIFS
Le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau (62), peut citer des exemples à la pelle. Au point qu’il a écrit au procureur de la République afin de signaler les faits. Récemment, c’est SMAvie BTP qui l’a fait sortir de ses gonds. Avant de verser des indemnités dues pour un accident de travail, cette société a demandé à l’assuré de faire remplir par son médecin traitant une « attestation médicale d’incapacité temporaire totale-invalidité ». Le document est un véritable concentré des audaces que s’autorisent aujourd’hui les compagnies d’assurances. Son point 5, par exemple, exige un « résumé de l’ensemble du passé médical », composé des « antécédents distincts de l’affection justifiant de l’arrêt de travail actuel », avec diagnostic, date, durée et traitement suivi. Le tout validé par le cachet et la signature du praticien. À se demander ce qui l’a retenue de réclamer la transmission pure et simple de tout le dossier médical du patient !
Ces tentatives sont tout simplement abusives. Si, lors de la survenue d’un risque comme c’est le cas ici, « il incombe à l’assuré de faire la preuve de son état », souligne Aurélie Coviaux, avocate spécialisée dans le préjudice corporel, ce n’est pas une raison pour revendiquer l’intégralité de son historique de santé. Encore moins auprès de son médecin ! En l’occurrence, comme le rappelle l’Ordre des médecins dans ses échanges avec le Dr Rochoy, « l’arrêt de travail délivré par le médecin traitant suffit à justifier le versement des indemnités journalières et, en dehors d’une remise en cause de l’arrêt de travail décidé après contrôle par le médecin-conseil, leur paiement ne peut être suspendu ».
Autre anomalie, relevant de l’illégalité cette fois : le médecin n’a pas le droit de divulguer sous sa propre responsabilité des informations aussi sensibles. Le secret médical le lui interdit, et les besoins des assureurs ne font pas partie des rares exceptions susceptibles de l’en affranchir. Le patient lui-même n’est pas en mesure de l’en délier. Céder à la pression reviendrait, pour le praticien, à se mettre en infraction. La communication à la compagnie d’assurances d’éléments de santé demeure le domaine réservé du patient. Celui-ci est libre de disposer de ses données médicales comme il l’entend, un tiers n’est jamais autorisé à se substituer. Il appartient donc au patient de décider s’il faut en dire plus à l’assureur. Si le médecin intervient, c’est à sa demande dans un rôle de conseil, afin de faciliter les démarches. En cas de décès, le professionnel peut fournir à l’ayant droit un certificat attestant si la mort est naturelle ou accidentelle, sans plus.
Nous avons interpellé SMAvie BTP sur ses pratiques. Elle a refusé de réagir. Pour sa part, Carcept Prev, filiale de Klesia, dont un questionnaire présente aussi comme obligatoires la signature et le cachet du médecin, nous a expliqué que cette partie-là du document « peut être remplie par le médecin traitant ou le médecin spécialiste de l’assuré », laissant entendre que finalement, elle serait facultative. Ce qui est remis au client est pourtant sans ambiguïté. La mention « obligatoire » apparaît à trois reprises sur la même page, notamment dans la phrase figurant tout en bas du formulaire : « Les réponses aux questions et informations collectées sont obligatoires pour la gestion de mon dossier. » Laurie Thévenet, consultante qui nous a contactés au nom de Carcept Prev, passe rapidement sur ce point, préférant faire remarquer que « le document étant remis par l’assuré, celui-ci donne son consentement à la transmission des informations médicales et personnelles ». Faux, car il n’a pas la capacité de dispenser son médecin du secret médical. Mais l’affirmation révèle tout l’intérêt, pour l’assureur, de solliciter de la sorte le médecin traitant : se procurer une expertise médicale sérieuse – et subventionnée par l’Assurance maladie –, tout en faisant mine de respecter la loi, en passant par l’assuré. Idéal, pour éviter d’organiser sa propre expertise, qui aurait le double désavantage d’être à la fois coûteuse et contestable !
MISE À JOUR DES PRÉCONISATIONS
Pour le patient en attente de prestations, la situation est difficilement tenable. Pressé par l’assureur de remplir son questionnaire, il peut avoir le sentiment que son médecin fait preuve de mauvaise volonté et qu’il s’oppose pour des questions de principe au versement des indemnités pour lesquelles il a cotisé. Sans toujours réaliser que c’est l’assurance qui outrepasse ses pouvoirs. « C’est ce que j’appelle le droit des compagnies, explique Aurélie Coviaux. Les assureurs n’ont parfois plus conscience de ce qu’est la loi, ils jouent simplement d’un rapport de force économique. » Plus diplomate, le Dr Anne-Marie Trarieux, nouvelle présidente de la section Éthique et déontologie au Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), reconnaît que « les médecins sont régulièrement sollicités, et ça complique leur exercice quotidien ».
Après plusieurs rencontres avec des représentants des assureurs, l’Ordre a mis à jour, à la fin de l’année dernière, les documents à la disposition des praticiens pour définir la conduite à tenir dans les cas de figure les plus courants. « Nous sommes maintenant dans une phase de suivi et d’évaluation, il est un peu tôt pour dire si les préconisations sont respectées », souligne Anne-Marie Trarieux. Tout dépendra des signalements que les praticiens feront remonter. Du côté de la Fédération française de l’assurance (FFA), nous n’avons pas pu obtenir d’éléments sur les consignes données pour l’application des règles par les compagnies.
DEUX EXEMPLES CARICATURAUX
Une personne a déclaré à son assureur une attitude scoliotique. En plus de la surprime, il a exclu des garanties le risque de dépression !
Après une hospitalisation à l’étranger pour traumatisme crânien, une femme a dû prouver à son assureur qu’elle avait encore son utérus. Une hystérectomie avait été notée dans son dossier médical par erreur !
CE QUI EST LÉGAL
Quiconque a souscrit un crédit immobilier a dû prendre une assurance emprunteur et répondre à des questions de santé. Idem pour une assurance vie ou un contrat de prévoyance. Il s’agit pour l’assureur de cerner le risque et de déterminer, en cas de pathologie, les exclusions de garantie tout en appliquant une surprime. Après s’être enquis d’une hospitalisation, d’une éventuelle consommation de tabac, du poids et de la taille de son futur client, il peut pousser les investigations, si un risque de santé est décelé, en le convoquant à une visite médicale ou en l’invitant à un bilan sanguin.
Dans ce schéma classique, l’assureur organise sa propre expertise, et c’est parfaitement réglementaire. Mais soutirer avant souscription des informations du médecin traitant n’est pas plus légal qu’une fois le contrat signé.
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