Pour la première fois en France, deux études de l’Institut Pasteur détaillent la diffusion « sauvage » du coronavirus, et donnent des débuts de réponses, notamment sur la fiabilité des tests sérologiques.
Il y a quatre mois, le monde entier ignorait l’existence du nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Depuis, plus de 180 000 personnes dans le monde y ont succombé, sans que l’on sache encore grand-chose de cet ennemi redoutable. Pour la première fois en France, deux études publiées jeudi 23 avril par l’Institut Pasteur, lèvent un coin du voile sur sa diffusion « sauvage », avant la mise en place du confinement le 17 mars.
Les 661 participants, tous volontaires, ont été recrutés à Crépy-en-Valois (Oise), dans le lycée où deux cas de Covid-19 avaient été décelés début février.
Différents tests sérologiques – destinés à repérer la présence d’anticorps spécifiques au SARS-CoV-2 – ont révélé que 26 % d’entre eux avaient « rencontré » le virus. Ce taux, dit « d’attaque » dans le jargon épidémiologique, différait nettement entre le groupe composé des lycéens, des professeurs et du personnel (40,9 %) et celui où figuraient des parents, des frères et sœurs des lycéens (10,9 %).
Autre découverte très significative : l’étude montre que 17 % des personnes infectées n’avaient pas présenté de symptômes. Dans ce contexte d’incertitude, on envierait presque ces volontaires enfin fixés sur leur sort. Mais qu’en est-il vraiment ? Que signifie cette « immunité » et que peut-on attendre d’un dépistage ?
Dans le cas du Covid-19, plusieurs tests sont commercialisés avec un marquage « CE ». Cela signifie seulement qu’ils répondent à certaines normes ; pas qu’ils ont fait l’objet de vérifications approfondies. « Il est primordial que les tests sérologiques puissent être validés (…) avant leur achat et leur utilisation en routine », met en garde la Haute Autorité de santé qui a rédigé un cahier des charges détaillant des critères de qualité et d’exigence. La fiabilité des tests est évaluée par le Centre national de référence des virus des infections respiratoires.
« Les tests doivent être validés afin de s’assurer de leur sensibilité et de leur spécificité », insiste la virologue Christine Rouzioux, membre de la cellule de veille scientifique de l’Académie nationale de médecine.
Lors de l’épidémie de chikungunya en 2014, une étude avait révélé les défaillances des quatre tests sérologiques commercialisés en France. Les deux tests « classiques » – dosant les anticorps dans le sérum – étaient utilisables mais avec un nombre non négligeable de faux résultats et les deux tests rapides – qui fonctionnent comme un test de grossesse – se sont révélés inutilisables.
« Autant tirer à pile ou face, souligne la virologue Christine Prat, auteure de l’étude, qui travaille pour le consortium European Virus Archive Global. De telles approximations seraient catastrophiques dans le cas du Covid-19, où une personne pourrait se croire protégée alors qu’elle ne l’est pas. »
Ensuite, « il ne s’agit pas simplement de prendre le meilleur test, car encore faut-il que l’entreprise qui le propose soit capable de fournir les quantités voulues », avance Christine Rouzioux. A l’échelle nationale des décisions ont été prises d’acheter cinq millions de tests Abbott car de nombreuses machines de ce fabricant équipent des laboratoires en France. Mais avec ces plateformes « fermées » l’Hexagone n’a aucune marge de manœuvre – comme le propriétaire d’une imprimante n’a pas le choix des cartouches. Pour y échapper, d’autres pistes sont explorées, comme l’utilisation des machines « ouvertes » équipant les laboratoires vétérinaires.
- Au bout de combien de temps apparaissent des anticorps (séroconversion) ?
« Les anticorps contre le SARS-CoV-2 apparaissent assez précocement, avant l’apparition des symptômes », indique Odile Launay, directrice du centre d’investigation clinique de vaccinologie Cochin-Pasteur (Paris).
L’étude conduite à Crépy-en-Valois pour évaluer différents tests sérologiques de l’Institut Pasteur a révélé que les anticorps étaient détectables dès le cinquième ou sixième jour. Leur activité neutralisante – c’est-à-dire leur capacité à bloquer le virus – était décelable sept à quatorze jours après le début des symptômes.
- Est-on protégé après avoir été infecté ?
« L’immunité vis-à-vis d’un virus donné est appréciée par la quantité d’anticorps neutralisant ce virus dans le sérum, ce qu’on appelle le titre d’anticorps, explique Eric Vivier, professeur d’immunologie à Aix-Marseille, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Pour le Covid-19, nous manquons encore de données mais nous savons qu’ils se développent contre les virus à ARN [acide ribonucléique] possédant une enveloppe, ce qui est le cas du SARS-CoV-2. »
Il existe encore des incertitudes sur le fait que toutes les personnes infectées par le SARS-CoV-2 en soient porteuses. « Est-ce que [celles] développant peu de symptômes en produisent et si oui dans quelles proportions ? », s’interroge Odile Launay.
- Quelle est la durée de l’immunité chez les personnes qui ont rencontré le virus ?
« L’immunité ne peut être déterminée que dans le temps, souligne l’immunologiste Jean-Laurent Casanova (Université de Paris, Inserm et Université Rockefeller). Si dans deux ans les gens qui ont eu une première infection par ce virus et une sérologie positive n’ont pas fait une deuxième maladie, nous conclurons que la première infection protège pendant deux ans. Cela ne nous dira même pas si cela durera trois ans. »
« Nous savons pour les autres coronavirus que cette durée est relativement courte, de l’ordre de deux ou trois ans, mais nous l’ignorons pour le SARS-CoV-2 », constate Odile Launay.
La période au cours de laquelle on retrouve des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 n’est pas strictement la même que celle de la protection contre l’infection. En effet, « les anticorps ne sont pas les seuls éléments de la réponse immunitaire, puisqu’il y a également une réponse cellulaire, avec les lymphocytes CD8 cytotoxiques, que l’on voit chez les sujets âgés touchés par la grippe », poursuit l’infectiologue.
- Existe-t-il un risque de réinfection par le SARS-CoV-2 ?
« La guérison survient quand la réponse immunitaire a éliminé le virus, rappelle Odile Launay. Les Sud-Coréens ont décrit des cas de tests à nouveau positifs chez des personnes ayant été infectées puis ayant un test négatif. Nous ne savons pas s’il s’agit de faux négatifs qui se sont repositivés, s’ils ont vraiment été réinfectés ou auraient dans l’organisme un réservoir où le virus persisterait. »
- Une seconde infection peut-elle être plus grave que la première ?
« Dans le champ des maladies infectieuses, il en existe une pour laquelle la seconde infection est souvent plus grave que la première : c’est la dengue, précise Jean-Laurent Casanova. Mais c’est une maladie virale parmi des centaines de maladies virales. Est-ce le cas pour le SARS-CoV-2 ? Ce serait le scénario cauchemar, qui reste peu probable. Les autres infections à coronavirus ne rentrent pas dans ce schéma. »
- L’immunité de groupe nous protégera-t-elle ?
Le chiffre d’au moins 60 % à 70 % de la population immunisée est avancé pour parvenir à une immunité de groupe. « C’est une hypothèse, car l’on sait que pour des maladies très contagieuses comme la rougeole, ce seuil est fixé à 95 %, prévient Odile Launay. Nous sommes encore très loin du compte et le virus continue de circuler. Avec un peu de chance, l’été fera encore chuter sa propagation qui a baissé avec le confinement. A l’automne, il faudra porter des masques – j’insiste –, tester et isoler les porteurs du SARS-CoV-2 afin d’éviter une nouvelle vague plus violente. »
- Sommes-nous certain d’avoir un vaccin contre le Covid-19 ?
« Il n’y a de vaccin pour aucun des sept coronavirus humains connus, remarque Jean-Laurent Casanova. Nous ignorons encore si les anticorps sont protecteurs. Un vaccin stimule l’immunité en général, pas seulement la fabrication d’anticorps et nous ne savons finalement pas très bien comment ils fonctionnent. Leur développement est assez empirique. »
Pour Odile Launay, « le vaccin n’est pas pour demain ». L’infectiologue attire aussi l’attention sur le problème des anticorps facilitants qu’il pourrait induire. Ils ne sont pas neutralisants, au contraire : ils se fixent sur le virus et facilitent son entrée dans la cellule ou s’opposent à d’autres anticorps, aggravant donc l’infection. C’est ce qui s’est produit avec un candidat vaccin contre le virus respiratoire syncytial (VRS), principale cause d’infections respiratoires chez les jeunes enfants, ou un autre contre la dengue.
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