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dimanche 22 janvier 2023

«Cet endroit m’a sauvée» : à la Cité des dames, accueil de nuit pour femmes sans-abri

par Cassandre Leray   publié le 15 janvier 2023

Alors que le plan «grand froid» avait temporairement déchargé les centres parisiens en décembre, les haltes sont de nouveau saturées. Dans le XIIIe arrondissement de Paris, l’équipe n’a d’autre choix que de refuser des femmes sans domicile, faute de places.

publié le 15 janvier 2023 à 13h33

Ayla (1) compte les jours. Cette nuit, une fois de plus, elle dormira dehors. Voilà des mois que la jeune femme d’une trentaine d’années n’a plus de chez elle. Son regard fatigué le dit mieux que des mots : elle ne ferme presque jamais l’œil. «Quand tu es une femme à la rue le soir, tu ne dors pas. Tu protèges tes affaires, mais surtout ton corps, explique-t-elle. J’ai constamment peur qu’on me viole.» Ses paupières ne parviennent à se clore qu’une fois installée sur les fauteuils de la Cité des dames. Quasi quotidiennement, Ayla se rend dans ce centre d’accueil pour femmes sans-abri au cœur du XIIIe arrondissement de Paris. «Je sais qu’il n’y aura pas de place pour moi cette nuit, mais je garde espoir pour demain.»

Cette phrase, Olivia Gayraud, cheffe de service de la Cité des dames, l’entend trop souvent. «On aimerait accueillir tout le monde, mais on ne peut malheureusement pas pousser les murs», regrette-t-elle, déconfite. En France, 300 000 personnes sont «sans domicile», selon la Fondation Abbé-Pierre. Pour tenter de trouver un refuge le temps d’une nuit, les personnes sans-abri peuvent soit se rendre dans certaines haltes directement – comme la Cité des dames – ou appeler le 115, numéro d’urgence dédié à la mise à l’abri des sans domicile. Mais leurs services, eux aussi, sont saturés : le 5 décembre, 5 014 personnes ont appelé sans obtenir de place, selon des données du Collectif des associations unies. Ce dernier, qui rassemble 39 organisations dont la Fondation Abbé-Pierre et la Croix-Rouge, alertait déjà en décembre quant au risque d’une «année noire» pour les personnes sans-abri : «On reste sans solution pour des centaines de personnes.»

«Toutes les haltes sont sous l’eau»

Le plan «grand froid», déclenché par le gouvernement le 12 décembre face aux températures glaciales en France, a pu apaiser la situation un temps en libérant des places supplémentaires dans des écoles, des salles municipales ou encore des gymnases. Mais le soulagement n’est que temporaire : depuis début janvier, la Cité des dames – qui fait office d’accueil de jour et de halte de nuit – déborde à nouveau. Chaque soir, l’équipe est contrainte à refuser entre 5 et 10 femmes, faute de places. «C’est comme ça depuis des années. Pourquoi attendre qu’il fasse -5 °C dehors pour agir ?»interpelle Olivia Gayraud.

Une situation à l’image des autres accueils de nuit de la capitale, mais aussi du reste de la France : «A Paris, toutes les haltes sont sous l’eau, on est complètement saturés, déplore Laura Bienaimé, travailleuse sociale au sein de la Cité des dames. Quand nos bénéficiaires appellent le 115, elles attendent souvent pendant des heures pour avoir un écoutant.» De longs moments de patience qui se soldent bien souvent par des déceptions : les mises à l’abri le soir-même peuvent se compter sur les doigts d’une main, d’après la professionnelle. Dans un soupir, elle résume : «Pour ces femmes qui se retrouvent sans rien, il n’y a aucune solution. Il ne reste que l’attente.»

«Nous n’avons presque rien à proposer»

Quelques rires s’échappent de la salle d’accueil de la Cité des dames. 16 heures. Certaines profitent du lieu pour cuisiner, tandis que d’autres se lancent dans une flopée de démarches sur des ordinateurs. Dans ces locaux, les bénéficiaires peuvent également laver leurs vêtements, se doucher, récupérer des vêtements ou encore rencontrer une travailleuse sociale, une psychologue, une sage-femme… Elles tissent aussi des liens entre elles, notamment au travers de groupes de parole. Des instants passés à se raconter, les violences dans la rue, la peur de ne pas trouver de logement, d’attendre indéfiniment. Comme Assa (1), 34 ans. Assise sur un fauteuil fuchsia, les mains sur son ventre rond enveloppé d’une robe longue, elle confie avoir passé «des mois à dormir dehors dans des tentes» avant de trouver une place ici. Enceinte de trente-sept semaines, une couchette lui a été attribuée jusqu’à son accouchement. Quand elle aura son bébé avec elle, il ne lui sera plus possible de se rendre sur place. «La grossesse est une source d’angoisse pour les femmes que nous accueillons. Notre halte, comme beaucoup d’autres lieux, n’a pas la possibilité d’accueillir des enfants. Le retour à la rue est extrêmement dur», souligne Laura Bienaimé.

En journée, entre 60 et 70 femmes peuvent trouver refuge sur place. Mais pour passer la nuit, la halte ne dispose que de 50 places : 24 couchettes et 26 sur les canapés et fauteuils de la salle d’accueil, que les bénéficiaires s’échangent à tour de rôle. En théorie, cet accueil se doit d’être temporaire. Les travailleuses sociales endossent la difficile mission d’orienter les femmes qu’elles accueillent au sein du centre. L’objectif est avant tout de les aider à trouver des solutions d’hébergement pérennes. «Mais, faute de places, nous n’avons presque rien à proposer à nos bénéficiaires. On leur dit qu’il va falloir essayer de tenir, on les soutient comme on peut, mais sans aucune certitude qu’elles trouveront un logement rapidement», détaille Laura Bienaimé. A seulement 24 ans, la travailleuse sociale est complètement désabusée face à la prise en charge des personnes sans-abri en France : «Si on n’existait pas, où seraient ces 50 femmes ?»

Faute de places en hébergement d’urgence, le temps dans la rue s’allonge. Et les personnes sans-abri tentent de survivre comme elles peuvent. Si les violences y sont présentes pour tous, «les femmes sont surexposées, notamment aux violences sexuelles», rappelle Laura Bienaimé. Pour se protéger, elles racontent les stratégies qu’elles doivent continuellement mettre en place : positionner leurs vêtements de manière que personne ne puisse introduire sa main en dessous, porter des couleurs qui les rendent le plus invisibles possible dans l’espace public, ne pas se laver pour repousser les hommes… Alice, qui a longtemps été sans domicile, est aujourd’hui «femme repère» au sein de la Cité des dames : elle accompagne les bénéficiaires qui, comme elle par le passé, sont aujourd’hui dans la rue. La quinquagénaire en témoigne : elle a dû sortir de nombreuses femmes sans-abri «de la traite» et du«chantage, car certains hommes imposent aux femmes des rapports sexuels en échange d’un hébergement».

«On a des progrès à faire»

Djénéba, 39 ans, le raconte avec «honte». Après avoir quitté le Mali pour échapper à un mariage forcé, elle arrive en France en janvier 2022. Elle s’est entendue dire que «la France aidait beaucoup les femmes dans [sa] situation» et tombe des nues une fois sur place. En Normandie, d’abord, elle loge chez une connaissance «qui [l]’exploite» avant de la mettre dehors. Puis elle rencontre un homme sur Facebook, qui lui dit «qu’il [la] logera contre du sexe». Djénéba baisse les yeux sur sa robe orange, avant de reprendre. Elle ne veut pas accepter. Mais elle a 4 enfants au Maroc qui ont besoin d’aide et d’argent. «Alors je l’ai fait, en échange d’argent et d’un lit. Tous les soirs, il exigeait du sexe. Quand il a voulu m’imposer de le faire avec un de ses amis aussi, j’ai refusé. Il m’a mise dehors.» C’est en décembre qu’elle a fini par trouver refuge à la Cité des dames, à Paris. D’un regard franc, les mains agitées, Djénéba glisse ce que toutes les autres bénéficiaires répètent inlassablement : «Cet endroit m’a sauvée. Si seulement il y avait de la place pour nous toutes.»

En décembre, la Première ministre, Elisabeth Borne, promettait que l’amélioration du 115 était à l’agenda : «On a des progrès à faire […] à la fois matériels, pour qu’il y ait plus de meilleures réponses, plus d’écoutants. Mais aussi sans doute d’autres dispositifs et ça c’est un grand chantier pour l’année 2023», ébauchait-elle à l’occasion de la visite d’un centre d’hébergement d’urgence pour jeunes femmes. Elle avait également confirmé la reconduite du programme «Logement d’abord». Lancé en 2017 et doté d’une enveloppe 44 millions d’euros, il a à ce jour permis à 400 000 personnes sans abri d’accéder à un logement.

Si ces points sont une avancée, les professionnels du secteur le martèlent : l’urgence est à la création de places. Alors que leur nombre héber avait été porté à 200 000 au cours de la pandémie de Covid-19, le gouvernement envisageait jusqu’il y a peu de n’en financer plus que 193 000 fin 2022 et 186 000 fin 2023. Mais avait fini par faire marche arrière suite à la mobilisation de dix maires socialistes et écologistes. Un maigre soulagement, pour Laura Bienaimé. La travailleuse sociale de la Cité des dames pense aux visages de ces femmes qu’elles voient défiler, démunies. «Ce qu’on voit ici est le miroir de ce qui passe partout en France.»

(1) Les prénoms de ces bénéficiaires de la Cité des dames ont été modifiés.


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