Propos recueillis par Gladys Marivat
Publié le 25 janvier 2023
Dans « Le Couple et l’argent », l’autrice féministe montre comment le couple creuse les inégalités de richesse entre les femmes et les hommes. Mais qui paiera pour les enfants ?
Titiou Lecoq, à Nantes, le 26 novembre 2022.
Après le succès de ses essais sur l’invisibilisation du travail domestique – Libérées ! Le Combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (Fayard, 2017) – et celle des femmes dans l’histoire – Les Grandes Oubliées (L’Iconoclaste, 2021) –, l’écrivaine féministe Titiou Lecoq s’intéresse à la question de l’argent dans le couple. Dans Le Couple et l’argent (L’Iconoclaste, 2022), on découvre comment l’absence d’éducation financière ou les impôts contribuent à appauvrir les femmes, ou encore pourquoi les écarts de richesse entre hommes et femmes perdurent et s’accroissent aujourd’hui. Et, lorsqu’un couple décide d’avoir un enfant, comment se passe la répartition des dépenses ? Eléments de réponse avec l’autrice.
Quand une femme devient mère, elle s’appauvrit ; quand un homme devient père, il s’enrichit, expliquez-vous dans votre livre. Pourquoi ?
Selon une étude de l’Insee publiée en 2019 sur les trajectoires professionnelles des femmes, celles-ci vont perdre en moyenne 25 % de leurs revenus salariaux dans les cinq ans après l’arrivée d’un enfant, tandis que les revenus des pères demeurent stables, et augmentent parfois. C’est la conséquence d’un jeu de représentation : un salarié qui devient père connaît un bonus professionnel, c’est-à-dire que les pères de famille font de meilleures carrières que les hommes célibataires. On retrouve là une répartition des rôles très traditionnelle : pour une promotion, on va penser au salarié qui a des enfants, car il est responsable, il doit assurer pour sa famille. On va considérer qu’on lui doit une carrière, alors que, pour la femme, ce sera exactement l’inverse : une salariée avec un enfant en bas âge est perçue comme démobilisée.
Dans la fiche d’analyse « La dimension territoriale de l’accès à l’emploi des femmes », publiée par l’Observatoire des territoires en 2021, apparaît le fait que les femmes ont un temps de trajet plus court que celui des hommes pour aller au travail. En creusant, on s’est rendu compte que les mères, dans leur recherche d’emploi, privilégient la proximité de leur domicile ou de l’école ; elles renoncent donc potentiellement à un emploi mieux payé, en se disant qu’elles doivent rester disponibles géographiquement. C’est intéressant, car ce sont des choix que l’on peut faire à titre personnel, sans mesurer leur impact économique.
Sait-on qui, du père ou de la mère, paie le plus pour les enfants ?
C’est compliqué, car cela dépend de l’organisation du couple. Y a-t-il un compte commun ? Comment est-il approvisionné ? La sociologue Delphine Roy, qui a travaillé sur la répartition et le marquage de l’argent au sein du couple, a étudié les couples qui ne mettent pas l’argent en commun. Alors que l’idée répandue est que le salaire de l’homme est mobilisé pour la famille et que le salaire de la femme sert de complément, la sociologue a constaté que c’est totalement faux.
Dans les couples, la femme va mobiliser sa ressource financière personnelle, directement et en premier, avant de demander au conjoint de compléter parce que c’est insuffisant pour payer l’ensemble des charges. Même si elle a un salaire moins important, elle l’utilisera d’abord pour payer ce qui fait la vie de la famille : les courses, les frais de scolarité, etc. Et le conjoint, lui, calculera combien il manque, puis complétera.
En fin de compte, les mères donnent plus, en sacrifiant leur travail…
Dans mon livre, le personnage, Gwendoline, passe à temps partiel quand elle a des enfants. On peut calculer ce que ça représente de salaire en moins. Il y a aussi la perte d’opportunités professionnelles, et combien cela fait économiser en garde d’enfants et en temps de travail ménager – car, évidemment, Gwendoline s’en occupe. Parce qu’elle prend tout cela en charge, son compagnon peut faire carrière, lui, et il a des bonus. Enfin, le système fiscal français est ainsi fait que le conjoint de Gwendoline va payer moins d’impôts, car sa compagne est à temps partiel – elle a pris son mercredi pour s’occuper des enfants. En fait, tout cela vaut de l’argent.
L’historienne Michelle Perrot explique que la féminité est construite sur l’idée de don. C’est dû au fait que les femmes donnent la vie, le lait. Elles sont liées au soin, au don d’elle-même. Quand on prend le contre-pied – des femmes qui s’enrichissent à titre personnel –, c’est perçu comme contre nature par rapport aux stéréotypes que nous avons en tête. C’est compliqué pour les femmes de se dire qu’elles ont droit à leur argent de manière égoïste. La virilité est associée à la puissance, et la puissance, dans notre société, est économique.
Quelles sont les bonnes questions qu’un couple doit se poser avant de fonder une famille ?
Faire une soirée comptabilité (rires) ! Il y a plusieurs étapes. Une étape psychologique, d’abord : il faut interroger l’autre sur son rapport à l’argent, afin de déminer le sujet. Une fois qu’on a parlé du côté névrotique, on peut parler comptabilité. Pour cela, il faut se faire une éducation financière. Il y a des outils, des comptes sur les réseaux sociaux, des livres comme cette BD, Aux thunes citoyennes !, d’Héloïse Boll et Insaff El Hassini (Alisio, 260 pages, 19,90 euros).
Il faut comprendre que toutes les dépenses ne se valent pas : acheter des pots de yaourt et acheter une voiture, ce n’est pas la même chose. Si l’on n’est pas marié sous le régime de la communauté des biens, celui qui a acheté la voiture repart avec elle, et l’autre, avec des pots de yaourt vides. Je n’ai pas envie de dire aux couples comment ils doivent faire. Ils choisissent, mais ils doivent le faire en connaissance de cause.
En général, dans nos sociétés, on répartit les dépenses. Le plus égalitaire serait de répartir les recettes. Certains couples que j’ai rencontrés ont adopté ce modèle suivi par Gwendoline : faire un compte commun avec les deux salaires, payer tout avec ce compte. Et avoir chacun un compte personnel où l’on se verse une sorte d’argent de poche, le même montant pour les deux. Par exemple, 300 euros chacun par mois. Et ça, c’est l’argent perso : on le dépense, on l’épargne, on en fait ce qu’on veut.
Comment le patrimoine entre-t-il dans le calcul de ce qu’un couple dépense pour ses enfants ? On pourrait se dire que celui qui a le plus de patrimoine va moins participer aux dépenses courantes pour les enfants, car il leur transmettra plus…
On pourrait tout à fait décider le contraire : que celui des deux parents qui a le plus de patrimoine doit contribuer davantage, afin que l’autre parent puisse se constituer un patrimoine grâce à l’épargne. La personne dans le couple, homme ou femme, qui est en situation d’insécurité économique est celle qui doit se constituer un patrimoine en priorité. Ce choix doit prendre en compte la situation conjugale : mariés ou pas, sous contrat ou pas, pacsés ou pas.
Le mariage sous le régime de la communauté des biens est le système le plus protecteur. Il implique que ce qui est à l’un est également à l’autre. Donc, celui qui possède le plus (souvent l’homme) est obligé de partager à 50 % avec l’autre (souvent la femme). A l’inverse, l’individualisation des patrimoines se fait forcément au détriment du plus petit revenu. Or il se trouve que l’on va vers cette individualisation. Les gens se marient de moins en moins, et de moins en moins en mettant tout en commun. Cette individualisation se fait au préjudice de celles qui ont moins : les femmes. D’après les travaux de Marion Leturcq et Nicolas Frémeaux publiés en 2020, les inégalités de patrimoine s’accroissent entre les hommes et les femmes. Elles ont quasiment doublé, passant d’un écart de 9 % en 1998 à 16,3 % en 2015.
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