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samedi 28 janvier 2023

Zone d'expression prioritaire Moi JEune : «Je passe ma vie entre l’hôpital et le lycée»




par ZEP Zone d'expression prioritaire  publié le 27 janvier 2023Parcours de soins lourds, scolarité difficile à suivre, regard des autres… Quatre jeunes racontent leur expérience de la maladie et de l’hôpital et comment ils ont réussi à surmonter cette épreuve.

En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.

«Mon cancer m’a fait développer un optimisme à toute épreuve»

Mounir, 23 ans, étudiant, Mantes-la-Jolie (Yvelines)

«T’as 15 piges, tu te sens au sommet de ta gloire et un mercredi matin tout s’arrête. On t’annonce que t’as un cancer, un synovialosarcome plus précisément. On te dit que les douze prochains mois, tu vas les passer sur un lit d’hôpital à te faire shooter à ta nouvelle cure de jouvence, la chimio.

«J’avais une boule sur le bras gauche, un kyste. Rien de grave selon mon médecin. Pour des raisons de gêne et d’esthétique, je suis passé sur le billard. L’opération s’est passée sans encombre. C’était bon, j’avais retiré cette boule et j’étais de nouveau moi. Un mois après, un mercredi matin, alors que je m’apprêtais à aller en cours, le téléphone a sonné. C’était le service de radio de l’hôpital de Mantes. Ils voulaient me voir parce que dans la biopsie de mon kyste, ils avaient trouvé des cellules malignes. Le merdier a commencé ! Mes parents, en panique totale, ne comprenaient strictement rien. On m’a annoncé que j’allais devoir repasser sur le billard dans les jours suivants pour une seconde opération qui allait me retirer 60% de mon biceps gauche. Putain, 60% de mon biceps, c’est juste dingue !

«Tout allait trop vite. Tu sais pas comment prendre la maladie que t’es déjà sur un lit à te faire shooter. Après l’opération, j’ai fait quatre mois de rééducation pour récupérer la mobilité de mon bras. Pour terminer le championnat des opérations, j’ai eu le droit à l’implantation d’un cathéter central en haut à droite de mon pectoral pour protéger les veines de la chimio. C’est par lui que l’on m’injectait ma chimio et l’ensemble des drogues qui me shootaient.

«Jeune sans souci de santé, avec une excellente condition physique, je suis devenu un cancéreux luttant pour vivre. J’ai passé douze mois dans le service d’oncologie de l’hôpital Raymond-Poincaré. J’ai côtoyé l’espoir et le désespoir, l’amour de la vie et l’attente de la mort. L’équipe médicale était tout simplement incroyable. On ressentait une réelle passion et une volonté de rendre la maladie la moins douloureuse possible. Je reste redevable à tout jamais à ces médecins qui, par un travail acharné, permettent de rendre la vie beaucoup plus agréable.

«Mes semaines entre l’hôpital et ma chambre, c’était d’abord cette chimio qui me rendait malade à en crever. Imaginez avoir tous les mois une grippe qui vous retourne et surtout une fatigue qui affaiblit au point où marcher 100 mètres est une torture. Ça, c’est la chimio ! Après la torture, je rentrais chez moi.

«Le gamin que j’étais a pris une grosse claque, une claque qui a fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Cette période m’a fait développer un optimisme à toute épreuve. Au début, je prenais mon cancer comme un cancer. J’avais en tête le début de la fin, aucun espoir, la mort me tendait ses bras. Puis, mon état d’esprit a complètement changé. Je ne voyais plus la maladie comme un poids mais comme une réalité. J’étais malade, je devais apprendre à m’y faire. Pour cela, j’ai mis en place deux stratégies. La première était de rendre ma maladie moins grave d’un point de vue psychologique. C’est là que mon cancer est devenu une “grosse grippe”. La deuxième stratégie était de connaître à fond ma maladie. Je me suis documenté, j’ai posé des questions à mes médecins et j’ai rencontré d’autres malades. Cela m’a permis de me rendre compte que j’avais de grandes chances de guérison !

«Je suis devenu un “jeune vieux”, en décalage avec mes amis de 15 ans qui n’en ont rien à foutre de leur santé ou n’en ont pas conscience. A cette époque, j’étais en seconde. J’ai raté toute ma première que j’ai redoublée à cause de mon traitement. Ma deuxième première a aussi été très compliquée. Je venais de terminer ma chimio. Ça a duré trois ans. Trois ans, avec de la fièvre tous les deux jours. Abonné au Doliprane. Ajoutez à ça une fatigue chronique due au traitement, vous obtenez moi : un élève présent en cours 40% du temps. Malgré tout, j’ai réussi mon bac ES avec 11 de moyenne ! C’est ouf ! Aujourd’hui est signe de renouveau : je reprends mes études en première année de Staps. C’est juste hyper excitant. Lorsque je regarde mon passé, je me dis qu’il est riche d’expériences, de rencontres ; qu’il est ouf ! J’ai toute la vie devant moi et je kiffe ma race.»

«J’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas m’en sortir»

Bilal, 19 ans, en recherche de formation, Bagnolet (Seine-Saint-Denis)

«Huit mois alité, quinze kilos perdus. On m’a nourri avec une perf. La vie à l’hôpital, c’est nul. J’y ai passé une bonne partie de mon adolescence. Perfusions, opérations, allers-retours. Ma pathologie, c’est une maladie qui survient à l’adolescence. En mars 2020, on m’a opéré d’urgence à la clinique Floréal à Bagnolet. On m’a gardé un mois et demi. Les médecins disaient qu’ils ne pouvaient rien faire. J’ai donc été hospitalisé à Saint-Antoine à Paris où je suis resté plus de huit mois.

«Les quatre premiers mois, on me réveillait vers 5 heures du matin pour prendre ma tension. Ensuite, l’infirmière me donnait un morceau de paracétamol et me souhaitait bonne nuit. Déjà que la nuit, je n’arrive pas à dormir à cause de la douleur alors là, c’est sûr que je n’allais pas réussir à me rendormir. La meuf, t’as juste envie de l’insulter.

«Je voyais beaucoup de monde dans ma chambre. Médecins, infirmières, famille. Au début, il y avait même mon père, et parfois ma mère qui restait avec moi parce que j’étais mineur. A mes 18 ans, j’ai demandé à ne plus avoir de visites. Ma famille parlait à ma place, ils disaient n’importe quoi. Je pensais : “C’est pas vous qui vous faites taillader et qui criez de douleur pendant des mois !” En réalité, je pense qu’ils en profitaient pour poser des questions parce qu’ils avaient peur d’attraper la même chose que moi.

«Le jour de ma sortie, j’ai fait des efforts pour ne plus avoir l’air malade. Dans la salle de bain de ma chambre d’hôpital, je me regardais dans le miroir et je me disais : “Et c’est moi ça ?”»

—  Bilal

«Le jour de ma sortie, j’ai fait des efforts pour ne plus avoir l’air malade. Dans la salle de bain de ma chambre d’hôpital, je me regardais dans le miroir et je me disais : “Et c’est moi ça ?” La première fois que j’ai recommencé à marcher, j’ai tenu dix minutes avant de m’asseoir. J’étais choqué parce que j’étais vraiment maigre. Je ne me suis pas reconnu. J’avais toujours la tenue d’hôpital avec un pyjama. J’avais du flow de ouf en pyjama, peignoir et chaussons. Ma famille ne m’a pas reconnu non plus. Après être sorti, je me prenais pour Rick Grimes dans The Walking Dead. Je marchais, le teint pâle, et je titubais. J’ai repris mon poids en deux semaines.

«A l’hôpital, je n’étais en contact qu’avec le personnel soignant, donc niveau vie sociale, c’était le néant ! Pour les cours, pareil ! Je ne pouvais pas travailler. Je me souviens avoir eu le seum parce que je n’ai pas pu passer le bac. Une fois sorti, j’ai pris conscience de ma nouvelle réalité : j’avais deux ans de retard. Je me souviens marcher avec un ami qui me racontait sa vie. J’étais comme ailleurs. Je réfléchissais déjà à un plan pour rattraper mon retard. Les jours suivants, mes souvenirs de l’hôpital ont refait surface d’un coup. Sans m’en rendre compte, je me suis levé et j’ai pris une douche gelée. Depuis, je ne prends que des douches gelées. Je pense que c’est ce qu’il me fallait.

«L’hôpital m’a gâché deux ans de ma vie ; j’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas m’en sortir. J’avais perdu espoir mais aujourd’hui, j’ai réussi à me relancer. J’ai retrouvé des amis et une femme qui partage les mêmes centres d’intérêt que moi.»

«J’ai appris à avoir une vie à peu près normale»

Assia, 16 ans, Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)

«A 16 ans, je n’ai pas la même vie que les gens de mon âge. Chaque semaine, je me rends à l’hôpital pour faire des examens, des prises de sang et des transfusions. Je rate des heures de cours, voire même des journées entières. Puis je dois les rattraper pour éviter d’avoir trop de retard sur les autres.

«Je passe ma vie entre l’hôpital et le lycée. J’ai une maladie chronique, elle attaque mes plaquettes, qui servent à coaguler le sang pour éviter les hématomes et les hémorragies. Je me suis habituée. J’essaie de faire mine que tout va bien en souriant, mais je suis épuisée. La fatigue me cause souvent des maux de tête et des vertiges, parfois même des grosses douleurs au cœur.

«Je n’en parle jamais. Je n’ai pas honte, mais je préfère dire que je vais bien pour ne pas que les gens s’inquiètent, ou qu’ils me considèrent comme malade. C’était le cas quand j’étais petite, on me faisait sentir que j’étais différente. J’ai été diagnostiquée à 3 ans, j’ai passé deux ans et demi à l’hôpital. Quand on est une petite fille, on ne comprend pas pourquoi on ne peut pas aller à l’école comme les autres.

«A l’hôpital, j’avais ma chambre toute seule. Les infirmières et les médecins y défilaient, jours et nuits. Mais personne ne comprenait ma maladie, et ma santé ne s’améliorait pas. Alors on a décidé avec ma maman, qui a été à mes côtés durant toute mon hospitalisation, de me faire reprendre l’école pour la rentrée en CP. Les autres me posaient énormément de questions : “Pourquoi tu viens pas en récré ?“ ; “Pourquoi t’étais pas là ?” Je me sentais différente.

«Les médecins m’ont toujours déconseillé de faire des activités sportives, pour éviter de provoquer des hémorragies. Je suis du genre à n’en faire qu’à ma tête, donc j’ai fait beaucoup de sport dans ma vie : du foot, de la gym, de la danse, du patinage ! J’aime aussi sortir avec mes copines, mais surtout, j’aime trop partager des moments en famille : pour moi, c’est ce qu’il y a de plus précieux. J’ai appris à avoir une vie à peu près normale. Mais je ne sais pas si ça va s’empirer ou bien s’améliorer, car ma maladie n’est pas connue des médecins. Je vis au jour le jour.»

«J’ai réussi à avoir mon bac à l’hôpital»

Ahmed, 19 ans, étudiant, Paris

«A l’hôpital, une infirmière passait le bac en même temps que moi. Elle avait la quarantaine. Le matin, on révisait ensemble les mathématiques. C’était moi le prof ! Les autres matières, je les révisais tout seul, parce qu’elle était en économie-gestion, alors que moi j’étais en sciences de l’informatique.

«J’avais toujours la même routine : à partir de minuit, je commençais mes révisions et je terminais à 5 heures du matin. J’ai veillé des nuits en étudiant. Mes amis et mes professeurs m’envoyaient les cours. Je cherchais aussi sur YouTube, et sur des sites de cours en ligne. C’était difficile. J’étais seul, et je ne pouvais pas demander d’aide.

«J’ai appris que j’avais un cancer du sang en entrant en terminale. Je me suis senti épuisé, et mon état s’est aggravé. Dès que je marchais un petit peu, je me sentais faible. Je dormais tout le temps, je ne pouvais plus rester avec mes amis. Je n’avais plus faim. J’ai perdu beaucoup de poids.

«J’ai appris que j’allais arrêter d’étudier et que je ne pouvais pas retourner à l’école. C’était une période difficile. La chimiothérapie a commencé, ce qui a aggravé mon état. J’ai eu une chute de cheveux, ma peau était très sensible, j’avais beaucoup de douleurs dans la bouche et dans la gorge…

«Avec détermination, patience et force, j’ai essayé de continuer mes cours à l’hôpital. J’aimais beaucoup l’année du bac. Ça faisait longtemps que j’attendais la fin du lycée et je ne voulais pas redoubler. Je n’avais jamais redoublé. A l’hôpital, je ne pouvais pas réviser toutes les matières en même temps, alors j’avais juste révisé les principales avec des gros coefficients. L’informatique par exemple, c’était coefficient 6. Si je ne faisais pas ça, je ne réussissais pas.

«J’ai réussi à avoir mon bac. Les professeurs m’ont dit que j’étais un champion. J’ai eu une mention assez bien, avec 12,2 de moyenne. J’étais fier. Je suis retourné à l’hôpital. Après mes cures, le médecin m’a dit qu’il fallait faire une autogreffe (greffe de moelle osseuse). J’ai envoyé mon dossier à Gustave-Roussy en région parisienne, et ils m’ont accepté.»


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