par Eric Favereau publié le 24 janvier 2023
Des débats de tous les côtés. Alors que se poursuit chaque week-end la Convention citoyenne sur la fin de vie – qui doit rendre son avis en mars –, se multiplient en parallèle des colloques, des réunions, des prises de position sur cette question, avec en toile de fond une éventuelle modification législative en France. Et aujourd’hui, à mi-chemin de ce processus, il ressort que la possibilité la plus fréquemment citée (car peut-être la moins conflictuelle) serait d’aller vers une dépénalisation de l’aide au suicide, voire une autorisation du suicide assisté.
Ainsi, après l’avis en partie dans ce sens du Comité national d’éthique, rendu le 13 septembre, c’est la position que vient d’adopter le groupe «Ethique et Cancer» de la Ligue nationale contre le cancer. Dans ce texte, publié la semaine dernière, il est écrit : «S’il était admis par le législateur que le cadre juridique actuel de la fin de vie ne permet pas de répondre humainement à certaines demandes d’aide à mourir exprimées par des personnes malades, une aide active à mourir sous la forme d’une assistance au suicide pourrait alors être prévue et encadrée par la loi.»
Revenons d’abord sur le contexte de la maladie cancéreuse. Car tout n’est pas identique. Et la fin de vie d’un patient atteint d’une maladie de Charcot a peu à voir avec un malade en bout de course d’un cancer incurable. Des questions demeurent, elles sont là, délicates. Par exemple, faut-il ou non faire une énième chimiothérapie à ce patient qui le réclame, alors que les médecins savent que cela ne sert à rien ? Faut-il, à l’inverse, accepter la demande de fin de vie médicalisée à ce malade qui n’en peut plus de cette vie sans espoir, épuisé par des traitements devenus trop lourds ? Questions redoutables mais dépendantes de chaque histoire et de chaque contexte.
Les réticences massives du corps médical et du corps soignant
L’avis du comité d’éthique de la Ligue nationale contre le cancer est en cela utile. Dans ce long travail, les experts font d’abord un constat, largement partagé par tous les professionnels de santé : en France, nous sommes en manque chronique de soins palliatifs. «En dépit des politiques publiques et de cinq plans nationaux de développement des soins palliatifs mis en œuvre depuis vingt ans, l’offre de soins palliatifs est loin de répondre aux besoins. Trop peu de malades sont en mesure d’y avoir accès. Les inégalités territoriales sont par ailleurs patentes : à ce jour, vingt-six départements restent dépourvus de structure organisée de soins palliatifs.»
Puis le texte revient sur la question de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, dispositif prévu par la loi Claeys-Leonetti sous certaines conditions. Ledit comité constate que cette avancée réelle ne répond pas à toutes les situations ni à toutes les demandes. Et que, de ce fait, trois scénarios existent devant «la demande qui s’exprime de faire évoluer le cadre légal qui interdit actuellement les aides actives à mourir». Il y a le scénario qui consiste à ne pas bouger, attendant que les structures des soins palliatifs montent en puissance partout sur le territoire. Le second est celui d’une dépénalisation de l’assistance au suicide. Et, enfin, existe celui d’une «dépénalisation de l’euthanasie en réponse à une demande de la personne».
Cette dernière proposition est clairement refusée par le comité, qui met en avant «les réticences» massives du corps médical et du corps soignant : il serait, en somme, inapplicable, car source de trop de tensions. Le scénario du statu quo, lui, n’a pas non plus les faveurs du comité. Reste donc celui de «lever les obstacles juridiques au suicide assisté». Le comité note d’abord qu’il «repose sur l’idée qu’il n’est pas éthiquement critiquable de vouloir décider pour soi du moment de sa mort et que, dans certaines conditions, n’est pas davantage critiquable l’assistance technique procurée par un tiers pour que la mort soit douce et paisible – et non pas brutale et douloureuse comme elle peut l’être dans le suicide non assisté».
Bref, au regard des valeurs de bioéthique, c’est envisageable car, dans ce scénario, poursuivent les experts, «c’est l’autonomie de la personne qui est privilégiée par rapport à la sauvegarde de la vie, aux exigences de bienfaisance et non-malfaisance qui pèsent en particulier sur les professionnels de santé». Ils constatent même «qu’accorder la primauté au respect de l’autonomie des personnes est une tendance forte de l’époque moderne des débats». Le comité «Ethique et Cancer» s’y montre donc favorable. Non sans précaution, néanmoins, avec entre autres l’obligation d’une collégialité. «Les professionnels de santé sollicités devraient être protégés d’une participation contraire à leurs convictions par une clause de conscience», tempèrent également nos experts. En conclusion, le comité «estime que c’est maintenant à la société, aux acteurs politiques que sont les citoyens et leurs représentants, de décider».
L’attitude contradictoire des professionnels de santé
Cette ouverture – nouvelle – vers le suicide assisté repose, de fait, sur des arguments particuliers, ceux-là mêmes que l’on retrouve dans l’avis du Comité national d’éthique, comme d’ailleurs également dans l’attitude des acteurs du monde des soins palliatifs, très opposés à l’euthanasie. Ils partent du constat, ou plutôt du sentiment, que le corps médical ne veut pas donner la mort, en tout cas ne veut pas collaborer directement avec des pratiques d’euthanasie. De ce fait, il se décharge de la décision de fin de vie comme de sa mise en pratique sur le patient : à lui de faire le geste. Reste que c’est quand même le médecin qui prescrit le produit létal, mais ce n’est pas lui qui le donne. Cette attitude, considérée par certains comme un brin hypocrite, permet de contourner les oppositions d’une partie des professionnels de santé à l’euthanasie médicale. Tout à la fois, ces mêmes professionnels de santé insistent pour dire que, paradoxalement, la fin de vie est de leur ressort. Une contradiction évidente à laquelle le législateur devra éventuellement répondre. Qui doit, en effet, décider ? Le médecin ou le patient ? Cette tension éthique fait en tout cas écho aux propos du Dr François Damas, qui dirige une consultation fin de vie en Belgique où l’euthanasie est autorisée : «C’est le patient qui décide, et moi, en tant que médecin, j’y consens.»
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