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jeudi 26 janvier 2023

Onanisme et voyeurisme : les dessous de la “Nymphe épiée par deux satyres”, de Nicolas Poussin

Sophie Cachon  Publié le 26/01/23

« Nymphe épiée par deux satyres », un tableau de Nicolas Poussin à voir jusqu’au 5 mars au musée des Beaux-Arts de Lyon.

Dans le cadre d’une exposition consacrée à Nicolas Poussin, le musée des Beaux-Arts de Lyon présente ce tableau si déroutant de la part du peintre philosophe qu’il a longtemps été rejeté par les historiens de l’art. Décryptage.

Elle ne dort pas et ses yeux mi-clos laissent peu de doute sur les effets de son activité, en pleine nature, tête renversée. D’une blancheur de porcelaine, sa main gauche, glissée entre ses cuisses, constitue le centre magnétique du tableau, là où tous les regards convergent, personnages et public compris, déclenchant une pulsion scopique irrépressible. Sous les frondaisons d’un paysage classique, Vénus s’adonne au plaisir solitaire – quoi de plus naturel pour la déesse de l’Amour ? – tandis que deux satyres, irrésistiblement attirés, n’en perdent pas une miette. Ces demi-dieux plutôt rustiques, au sens propre comme au figuré, montés sur pattes de bouc et toujours partants pour la fête, la beuverie et les galipettes, ne peuvent évidemment pas résister. Tandis que l’un retire le voile qui recouvre le ventre de la déesse avec un rictus salace, regard vissé sur son pubis, son acolyte se masturbe allègrement, planqué derrière un arbre judicieusement positionné. Notez que lui aussi est gaucher.

Cette composition stupéfiante, datant de 1626 – aujourd’hui présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon dans le cadre d’une exposition consacrée à son auteur – l’est encore plus lorsque l’on sait qu’elle a été peinte par le grand maître du classicisme à la française, Nicolas Poussin (1594-1665) en personne, peintre philosophe dont chaque tableau, que l’on aborde toujours avec humilité, est une somme de réflexion et d’érudition. Poussin, auteur du Massacre des Innocents(musée Condé, Chantilly) ou de L’Enlèvement des Sabines (Louvre), dont l’intimidant Autoportrait (Louvre encore) personnifie l’esprit français à lui tout seul, a pourtant lui aussi été jeune et en recherche de commanditaires.

Lorsqu’il arrive à Rome en 1624, où il fera presque toute sa carrière, le peintre a 30 ans et une œuvre à construire. Son style alliant sujets savants et touche sophistiquée, totalement à contre-courant de la profusion baroque omniprésente à l’époque en Italie, en fera en quelques années l’un des artistes les plus en vus de la Ville éternelle. Mais entre-temps, Nicolas Poussin, féru de mythologie, d’art antique et de nature, aura su combiner son idéal intellectuel, souvent tiré des lectures d’Ovide, à des sujets licencieux susceptibles de trouver facilement des amateurs. Ses tableaux érotiques, à la touche méticuleuse, s’arrachaient comme des petits pains et ont été régulièrement copiés.

Poussin n’a pas inventé le genre, il s’inspire d’œuvres célèbres en son temps, telle la fameuse Vénus d’Urbino (1538), de Titien, dont le positionnement des doigts a suscité beaucoup d’analyses, ou encore une gravure gratinée circulant sous le manteau, signée Agostino Carracci, Satyre épiant une nymphe (1590-1595) représentant explicitement l’homme aux pattes de bouc en train de se masturber à moins de 50 centimètres du séant de la belle endormie. On connaît aujourd’hui plusieurs variations de Poussin autour du thème du désir et du sexe, mais ces œuvres, déroutantes de la part du peintre philosophe, ont longtemps été rejetées par les historiens de l’art. Trop triviales, trop salaces, les grands spécialistes ne se sont résolus que tardivement à les attribuer au grand Poussin, et encore sous couvert de productions commerciales. Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que le voile soit clairement levé – et la libido et Poussin réconciliés.

« Pous­sin et l’amour », jusqu’au 5 mars, musée des Beaux-Arts de Lyon. Catalogue : coédition MBA Lyon-In Fine, 324 p.


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