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dimanche 22 janvier 2023

Et si l’angoisse de Parcoursup commençait dès la crèche ?

Publié le 20 janvier 2023

CHRONIQUE

Clara Georges

Face aux incertitudes, les parents s’y prennent parfois très tôt pour tenter de sécuriser la scolarité de leurs enfants, observe Clara Georges pour la newsletter « Darons Daronnes ».

A la cantine du journal, l’autre jour, devant un dahl de lentilles (très bon), une collègue m’a parlé de son fils, actuellement en CM2. Le collège dont il dépend n’a pas bonne réputation, et son mari et elle s’inquiétaient. Mais elle a rencontré une femme, enseignante elle-même, dont l’enfant est scolarisé là-bas, et qui lui a dit le plus grand bien du collège. Cette conversation l’a rassurée. Quand je lui ai demandé ce qui lui faisait peur, elle m’a répondu qu’elle craignait pour le bien-être de son enfant et que le niveau soit trop faible. En réfléchissant, elle a ajouté que ce qui lui importait vraiment, c’était qu’il ait la possibilité, le jour venu, de faire ce qu’il a envie de faire – que les portes ne se ferment pas sous son nez en raison de son lieu de scolarisation.

Je lui ai dit que je n’étais pas encore concernée par ce type de préoccupations, ma fille aînée n’étant qu’en CE1. Puis je me suis souvenue d’une vieille conversation avec des parents de la crèche, quand ma fille avait 3 ans. Ils m’avaient dit qu’ils avaient pris rendez-vous avec plusieurs directeurs d’écoles maternelles, publiques et privées, pour qu’on leur expose le projet pédagogique et qu’ils puissent choisir le meilleur pour leur fils (en dérogeant si besoin à la carte scolaire). Cela m’avait alors semblé très saugrenu – je ne connaissais même pas l’expression « projet pédagogique », et il me semblait que l’école maternelle était un lieu dont la vocation universaliste était exactement à l’opposé de cette logique.

Le plan de carrière des enfants

Quelques années plus tard, tandis que mon benjamin terminait ses trois années de crèche à son tour, j’ai appris qu’une de ses petites camarades n’irait pas dans la maternelle du secteur, mais dans un groupe scolaire privé du coin : « Comme ça, en entrant dès 3 ans, elle est sûre d’avoir une place au lycée », m’avait dit son père. J’avais trouvé ça un peu fou, je dois l’avouer. Je m’étais dit que cela ressemblait aux récits de ces « parents hélicoptères » aux Etats-Unis, qui établissent le plan de carrière de leur enfant dès sa naissance, ou presque.

Puis, tout récemment, j’ai découvert les indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires français, mis en ligne par le ministère de l’éducation nationale. C’est un outil qui calcule la position des élèves dans l’échelle sociale en fonction du métier des parents, de la taille du logement, etc. Ces données sont terrifiantes et fascinantes, parce qu’elles donnent enfin une réalité chiffrée à ce que l’on pressentait tous : le ravin de la ségrégation scolaire en France. J’ai donc regardé en détail. IPS du collège privé où la petite fille de la crèche ira : 130. IPS du collège de secteur où elle aurait dû aller : 100. La moyenne française est à 103,4.

Evidemment, l’IPS ne définit pas le niveau d’un établissement ; il n’est, en quelque sorte, qu’un indicateur de sa désirabilité. Sauf qu’au bout du chemin, il y a Parcoursup. Pour 640 000 familles – peut-être la vôtre ? – ont commencé, mercredi 18 janvier, les inscriptions. Depuis sa création en 2018, la plate-forme d’accès à l’enseignement supérieur constitue le paroxysme de l’angoisse parentale et lycéenne. Son fonctionnement complexe, bâti sur un algorithme, alimente toutes les peurs.

De nombreux articles font état de ce stress. Dans un récit sur l’année « en apnée » des familles confrontées à Parcoursup, un père raconte, en apprenant que son fils était premier sur liste d’attente, s’être pris à espérer qu’un admis « rate un virage en sortant de boîte pendant l’été »… Je continue mes lectures pour découvrir que des élèves prennent des anxiolytiques pour faire face à la pression ; que des coachs en orientation proposent leurs services aux lycéens et à leurs parents. Une mère qui a payé 690 euros (encore faut-il le pouvoir !) dit ainsi de sa fille : « En première, elle était sèche niveau idées. Cela me rendait très anxieuse, je me disais qu’il fallait anticiper. »

Ailleurs, je lis que certains élèves de collège « ouvrent Pronote dix fois par jour » ; que des lycéens font des crises d’angoisse, voire ne parviennent plus à se rendre en cours pendant des mois ; que le ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, s’est alarmé à la rentrée de la santé psychique des adolescents.

Un pari fou : la confiance

A la lumière de ces informations, je comprends mieux que certains parents cherchent à protéger le plus tôt possible leur enfant pour lui épargner ces souffrances. Si Parcoursup fait si peur, c’est entre autres parce que l’on est contraint de confier à un algorithme le sort de notre progéniture – et ainsi d’en perdre le contrôle. C’est vrai pour des gens qui maîtrisent les codes scolaires, et ça l’est encore davantage pour ceux qui s’en sentaient déjà exclus. Plus largement, je comprends l’angoisse de larguer nos enfants dans un avenir au brouillard épais. On les imagine vieillissant dans une touffeur irrespirable, condamnés à des enfermements successifs à cause des pandémies ou des guerres ; en 2019, d’après un sondage réalisé par l’institut Gece, seuls 3 % des parents pensaient encore que la génération de leurs enfants vivrait mieux que la leur. Comment ne pas tout faire pour alléger ce fardeau, dont en plus nous sommes en partie responsables ?

Mais essayons de prendre la question dans l’autre sens. Puisqu’on ne maîtrise en réalité pas grand-chose, et surtout pas nos propres enfants – heureusement ! ; puisqu’on ne sait pas ce qu’ils souhaiteront dans dix ans, ni dans quel monde ils vivront, n’avons-nous pas intérêt à tenter un pari fou : celui de faire confiance et à eux, et à l’avenir ? Je vous entends : « Tout le monde n’en a pas les moyens. » C’est vrai, et c’est injuste. Je vous entends encore : « On en reparle quand sa fille sera ado ! » Peut-être bien… Mais qui sait ?


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