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dimanche 22 janvier 2023

Séances inclusives Cinéma et handicap : «Ça devrait être la norme, pas l’exception, d’être tous ensemble comme ça !»

par Eloïse Duval   publié le 18 janvier 2023

Le cinéma la Fauvette de Neuilly-Plaisance, en partenariat avec l’association Ciné Relax, propose chaque mois une séance adaptée aux personnes handicapées.

Dans l’obscurité, un pâle halo de lumière caresse les fauteuils de velours rouge de la salle de cinéma. Un brassard jaune fluorescent enroulé autour du bras gauche, Katia, bénévole au sein de l’association Ciné-Relax, promène sa lampe dans les allées verticales, manifestant délicatement sa présence au cas où l’un des spectateurs aurait besoin de sortir de la salle. Car tous les premiers samedis du mois, le cinéma la Fauvette, accroché aux hauteurs du plateau de Neuilly-Plaisance, est le théâtre d’une séance un peu particulière. L’association Ciné Relax y propose, en partenariat avec les cinémas et les collectivités locales, des séances inclusives ouvertes aux personnes autistes, polyhandicapées, ou ayant un handicap cognitif ou intellectuel.

«Ces séances ont vu le jour en 2005donc il y a bientôt dix-huit ans»,retrace Amar Nafa, délégué général de Culture Relax. Le dispositif est né à l’initiative de parents d’enfants handicapés. Pour ce public, les difficultés d’accès au cinéma n’étaient pas liées aux déplacements, mais à l’impossibilité de bouger, de parler, de vocaliser ses émotions pendant la projection, ce qui rendait les escapades cinématographiques inenvisageables. «Les parents se rendaient compte qu’ils attiraient des regards de pitié, ou d’agressivité de la part des autres spectateurs. Et leurs réflexions transformaient en épreuve ce qui est censé être un moment de plaisir et de partage en famille», déplore Amar Nafa.

«D’autres parents ne tentaient jamais l’expérience, parce que leur vie quotidienne est déjà peuplée de ce genre de réactions, que ce soit dans les transports ou dans les magasins, donc ils n’avaient pas envie de s’exposer à tout celaDonc ces séances permettent d’offrir une bulle de normalité aux familles dont le quotidien est marqué par la différence», poursuit le délégué général. Depuis 2005, le dispositif imaginé par Ciné Relax a fait tache d’huile : plus de 65 cinémas partout en France l’ont repris, attirant ainsi plus 16 000 spectateurs par an. Et ces séances ne sont pas réservées aux personnes handicapées. «Tout le monde peut venir, car l’idée c’est vraiment que chacun se sente légitime d’aller au cinéma, avec ou sans handicap», conclut-il.

Privés de loisirs culturels

Dans le hall d’entrée du petit cinéma, alors que les premiers spectateurs se pressent déjà devant la vitre ronde du guichet, Katia déplie une table sur laquelle elle dispose des feuilles blanches, ainsi qu’un pot qui dégorge de feutres et de crayons de couleurs. «C’est pour les enfants, mais les adultes peuvent se servir également, dit-elle en riant. Parfois, la séance peut être un peu longue, donc il n’est pas rare que certains enfants sortent et dessinent, avant de retourner s’asseoir dans la salle, quand ils sont prêts à le faire», précise la bénévole.

Coordinatrice de l’équipe de Neuilly-Plaisance, Katia a mis en place les séances Ciné Relax au cinéma La Fauvette en 2016. «Je suis moi-même maman d’un enfant autiste, et j’étais heureuse de pouvoir aller au cinéma avec mon fils en me disant que personne ne nous jugerait, et sans avoir peur de déranger, confie-t-elle. Ici, ils peuvent applaudir, et même si l’on ne reste que vingt minutes, c’est déjà bien, et peut-être que l’on restera une demi-heure la prochaine fois», explique la bénévole en souriant, avant d’enchaîner : «On explique aux spectateurs la façon dont va se dérouler la séance au moment où ils achètent le billet, comme ça, ils ne sont pas pris au dépourvu. Si les gens sont prévenus, ils ne sont pas dans l’incompréhension, donc ils sont tolérants», affirme-t-elle. Puis les lumières s’éteignent, lentement, pour éviter que le changement ne soit trop brusque, et la séance peut débuter.

Mais avant que le museau roux du Chat Potté n’apparaisse à l’écran, un court clip de présentation de l’association permet également de sensibiliser le public à l’accessibilité de la culture et des loisirs aux personnes en situation de handicap. «Pourquoi il a du mal à parler le monsieur ?» demande une petite fille à sa mère en voyant la vidéo. Une question qui nourrira une discussion sur le handicap après la séance.

Car, comme le constate Amar Nafa : «Ce qui est paradoxal, c’est que les personnes en situation de handicap sont, par leur comportement, très visibles dans les lieux culturels lorsqu’elles y sont, mais elles sont largement invisibles au sein de notre société. Ce ne sont pas des personnes qu’on côtoie à l’école, ou au travail, et plus largement dans l’espace public, développe-t-il. Or ces séances permettent de créer des rencontres, d’amener le sujet du handicap dans les conversations, et de se rendre compte, finalement, d’une exclusion dont on n’a pas forcément conscience mais qui est la suivante : beaucoup de personnes en situation de handicap sont privées de loisirs culturels en général, et de cinéma en particulier.»

Dans la salle, le regard suspendu à l’écran où défilent le Chat Potté et ses amis, un petit garçon aux cheveux bruns serre fort la main de sa maman. Non loin de lui, les bénévoles observent la salle, prêts à offrir leur aide à celles et ceux qui le demanderaient. Et après une séance ponctuée par les questions et les rires des enfants, les lumières se rallument doucement. Pas de pleurs ni de cris, même devant les yeux rouges du grand méchant loup.

«C’est plus serein»

Si les conditions de projections sont minutieusement étudiées pour accueillir un public atteint de handicap, la programmation ne se limite pas aux films d’animation : «On choisit toujours des films en version française, pour que le public qui aurait du mal à lire les sous-titres ne soit pas perdu, et on fait attention à ce que le film ne soit pas trop long. Mais on propose des films familiaux, pas forcément des dessins animés», expose Katia. De même, le son y est moins fort que lors des séances ordinaires, afin que les personnes atteintes d’hyperacousie puissent assister sans mal à l’intégralité de la séance.

Par ailleurs, les projections sont sous-titrées et disponibles en audiodescriptions, afin de permettre aux personnes sourdes et malentendantes de voir le film sans difficulté. «Et ici, la séance Ciné Relax est à seulement 3€, se réjouit Katia, non sans une certaine fierté. Cela permet de toucher un plus large public, d’autant que beaucoup de personnes atteintes de handicap n’ont que de faibles revenus, justifie-t-elle. Et puis ça nous paraît dérisoire de faire payer plus cher alors que certains spectateurs ne resteront peut-être que dix minutes.»

«C’était super, mais ça devrait être la norme, pas l’exception, d’être tous ensemble comme ça !» observe Marianne. Enveloppée dans un long manteau rouge, la femme de 45 ans est venue avec son fils, Eloi. Près d’elle, Magali, cofondatrice de l’association Handmirable, qui œuvre à l’amélioration de l’accès aux loisirs pour les enfants en situation de handicap, tient la main de son fils Gabriel, âgé de 13 ans : «Le film lui a plu, et on est restés jusqu’à la fin, se réjouit-elle. On ne se sent pas gênés, on n’a pas peur d’importuner les autres, donc c’est plus sereinEt puis, ce qui est chouette, c’est que d’ordinaire, on ne va pas souvent au cinéma», souffle-t-elle avant de partir. A la sortie du cinéma, dans le livre d’or posé près des crayons de couleurs, on peut lire, écrit à l’encre bleue : «On en a eu les larmes aux yeux. Merci de me permettre de partager cela avec mon fils.»


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