Médecins, associations, politiques réclament un allongement temporaire du délai légal d’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines.
Avant de pousser la porte de La Maison des femmes, une grande brune, la vingtaine, prend un peu le soleil sur une chaise installée dehors, sous un rosier grimpant, en fleurs en cette mi-mai. Elle ajuste son masque et pénètre sous la verrière baignée de lumière. Située dans l’enceinte du centre hospitalier Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), cette structure unique en son genre réunit un centre de planification et un lieu d’accueil pluridisciplinaire pour les victimes de violences et de mutilations sexuelles.
A l’intérieur, adossées aux murs roses et blancs, quelques femmes patientent dans les couloirs. Seules, pour la plupart. Epidémie de Covid-19 oblige, « les accompagnants et les enfants ne peuvent pas entrer », prévient une affiche placardée à l’entrée. L’une d’elles est quand même venue avec son bébé, faute de pouvoir le confier à quelqu’un.
Malgré les allées et venues de l’équipe médicale et des visiteuses, le lieu est calme. « On n’est pas encore revenus au rythme d’avant », confie Latifa Aziz, une des infirmières. Avant le début du confinement le 17 mars, entre vingt et trente femmes en moyenne étaient accueillies chaque jour à l’unité de Planning familial pour des conseils sur la contraception ou pour une demande d’interruption volontaire de grossesse (IVG). Leur nombre a clairement baissé en l’espace de deux mois, une chute de fréquentation relevée aussi ailleurs, qui fait craindre un recul dans l’accès à l’IVG sur cette période.
« Pendant le confinement, c’était très frappant. Les femmes ne venaient pas, à l’exception de celles en tout début de grossesse souhaitant avorter, qui ont été plus nombreuses qu’à l’ordinaire », avance la docteure Mélanie Horoks, responsable du centre de planification. A partir du 11 mai, la sortie du confinement, certaines ont timidement repris le chemin de La Maison des femmes. Et, depuis, un autre constat s’est imposé, particulièrement inquiétant : celui de l’augmentation du nombre de femmes désireuses d’avorter mais ayant dépassé la date légale pour le faire – fixée à douze semaines de grossesse en France. Alors qu’elles étaient une ou deux par mois dans cette situation avant la pandémie due au coronavirus, leur nombre a grimpé en flèche récemment. Un constat également partagé par le Planning familial, qui estime que leur nombre a doublé par rapport à d’habitude, en se basant sur les appels reçus sur son numéro vert.
Privées de sorties
« En ce moment, on en reçoit une tous les jours ou tous les deux jours », estime la docteure Ghada Hatem, fondatrice de La Maison des femmes. Quand le confinement a débuté, la gynécologue obstétricienne a très vite tiré la sonnette d’alarme. « Peur du gendarme, sidération, honte, crainte de solliciter pour une IVG des équipes médicales mobilisées dans la lutte contre le Covid-19, désinformation… » font partie des raisons ayant conduit les femmes désireuses d’avorter à rester chez elles, énumère-t-elle.
Les profils de ces IVG « hors délai » sont multiples. C’est cette trentenaire, en couple depuis sept ans, qui s’était jurée de ne jamais avoir d’enfant, pour des raisons tenant à son histoire personnelle. Quand elle découvre sa grossesse au début du confinement, elle consulte un gynécologue pour une IVG. Ce dernier la décourage, la renvoie en lui conseillant de réfléchir, « à son âge ». « Elle est rentrée chez elle, a pleuré tous les jours et, quand elle est venue nous voir, c’était trop tard », raconte Ghada Hatem. C’est aussi cette jeune femme qui désirait, elle, avoir un enfant et s’est au départ réjouie de la nouvelle. Sauf qu’avec la grossesse sont arrivés les premiers coups de son conjoint. « Elle décide alors de le quitter et d’avorter, mais ils sont enfermés ensemble. A son arrivée chez nous, elle découvre qu’elle a dépassé le terme. »
Autre exemple, plusieurs fois rencontré : celui des mineures, qui refusent dans un premier temps d’affronter la réalité. Jusqu’à ce que l’arrivée subite du confinement les prive de toute possibilité de sortie, et donc d’alibi pour avorter. « Quand on est une jeune fille, comment en parler avec des parents enfermés dans un autre temps ? », interroge Ghada Hatem. « Pour chacune d’entre elles, quel que soit leur profil, la grossesse est une catastrophe », conclut la médecin, convaincue avec d’autres de la nécessité d’assouplir la loi en allongeant temporairement les délais de recours à l’IVG. « La crise sanitaire a révélé des inégalités d’accès à l’avortement, et bafoué le droit des femmes à disposer de leur corps, le droit doit lutter contre ça », considère à ses côtés l’avocate Michelle Dayan.
En temps normal, les femmes concernées n’ont pas d’autre choix que de poursuivre cette grossesse non désirée ou, pour celles qui peuvent se le permettre financièrement, de se rendre à l’étranger, dans les pays à la législation plus souple. Une gageure dans le contexte actuel de la fermeture des frontières. Reste une troisième voie : le recours à une interruption médicale de grossesse (IMG, autorisée au-delà de douze semaines), un parcours long et complexe. « Nous demandons donc que la procédure entourant l’IMG, aujourd’hui soumise à l’approbation de quatre médecins, dont un spécialiste de médecine fœtale, soit simplifiée », plaide le docteur Hatem.
Amendements rejetés
Sur le terrain politique, la sénatrice socialiste Laurence Rossignol a pris le relais. Dès le 19 mars, lors des débats sur le premier projet de loi d’urgence sanitaire, l’ancienne ministre de la famille de François Hollande tente de faire voter des amendements pour étendre temporairement les délais de recours à l’IVG. Ils sont rejetés. « J’ai écrit au ministre de la santé en expliquant que les médecins devaient s’engager à faire des interruptions médicales de grossesse pour ces situations », explique Mme Rossignol. Elle obtient quelques avancées.
Olivier Véran assouplit les règles pour le recours aux IMG par aspiration, en indiquant que les médecins pourront désormais faire valoir « la détresse psychosociale » comme motif. Mais rien sur la composition du collège des médecins, qui constitue pourtant un enjeu majeur.
« On a très peur que les femmes se débrouillent toutes seules », s’inquiète Sarah Durocher, coprésidente nationale du Planning familial
Le 14 avril, le gouvernement autorise par arrêté l’extension des délais prévus pour les IVG médicamenteuses jusqu’à sept semaines de grossesse, contre cinq habituellement. Il prévoit en outre que ces interventions puissent être prescrites et suivies entièrement par téléconsultation, pour limiter les déplacements. « C’est un début de réponse mais c’est insuffisant pour les femmes qui ont dépassé les délais en raison du confinement, juge Sarah Durocher, coprésidente nationale du Planning familial. On a très peur que les femmes se débrouillent toutes seules, en avortant par leurs propres moyens. »
Comme Ghada Hatem et ses soutiens, l’association plaide pour que le gouvernement autorise l’allongement de quinze jours des délais pour l’IVG chirurgicale, de douze à quatorze semaines, à titre temporaire. Une demande relayée également par une soixantaine de députés et de sénateurs, y compris au sein de la majorité, dans une tribune publiée dans Libération le 12 mai, et restée pour l’heure lettre morte. « J’ai entendu que ce sujet était trop important pour être traité dans l’urgence », s’indigne Laurence Rossignol, en dénonçant un « blocage politique incompréhensible de la part d’un gouvernement qui se présente comme le défenseur des droits des femmes ». Elle prévoit de revenir à la charge une nouvelle fois le 26 mai, lors du passage au Sénat d’un autre texte sur l’urgence sanitaire. Pendant ce temps, à La Maison des femmes, le flux des femmes concernées ne tarit pas.
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