Publié le 28/05/2020
Tout le monde a en tête ces masques à bec d’oiseau que portaient les médecins de la peste. Ce long bec contenait des parfums et des épices, destinés à neutraliser les miasmes contenus dans l’air entourant les malades. Cette pratique est devenue toutefois marginale dès le 18ème siècle et il a fallu attendre la fin du 19ème pour voir apparaître les masques faciaux tels que nous les connaissons actuellement.
Intrigués par la pénurie de masques au moment de l’arrivée de la pandémie, deux historiens des sciences ont mené l’enquête. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer la pénurie, de la panique qui a poussé les populations à stocker des masques au brusque arrêt des échanges commerciaux internationaux, en passant par la délocalisation des usines de fabrication. Mais la reconstitution de l’histoire du masque, à laquelle se sont livré les deux auteurs, braque le projecteur sur un tout autre élément : et si l’une des raisons de la pénurie était à rechercher dans le remplacement des masques lavables par les masques à usage unique ? Car, si en 1955, le Life Magazine célébrait la société du "tout jetable" dans un article triomphalement intitulé « Throwaway Living », il se pourrait que cette culture du jetable nous ait coûté bien cher. Remontons un peu dans le temps avec nos deux chercheurs.
Les chirurgiens, convaincus par Carl Flügge, adoptent le masque
C’est en 1897 que Johann Mikulicz, chef du département de chirurgie de l’université de Breslau, décide de porter un masque pendant les interventions chirurgicales. Peu de temps auparavant, le bactériologiste Carl Flügge avait montré expérimentalement que les minuscules gouttelettes émises lorsque nous parlons contiennent des bactéries cultivables. La même année, le chirurgien français Paul Berger l’adopte aussi. Le port du masque devient alors une arme dans la stratégie de contrôle de l’infection des sites opératoires et, malgré certaines oppositions, se généralise rapidement dans les salles d’opération.
Il quittera le seul théâtre chirurgical pendant l’épidémie de peste de Mandchourie de 1910-1911 et la pandémie de grippe de 1918-19, en devenant un moyen de protection porté, voire parfois imposé, à la fois par les soignants et les patients. Le port du masque acquiert alors sa fonction de protéger aussi les soignants et non plus seulement celle d’éviter la contamination d’un site opératoire par le praticien. Le personnel médical dans sa globalité l’adopte et de nombreuses recherches se concentrent alors sur la mise au point du modèle le plus efficace. Constitués le plus souvent de plusieurs couches de coton et maintenu par une armature métallique, les masques sont lavables et l’armature stérilisable.
Les années 60 ou l’avènement du tout jetable
Mais arrivent les années 60 et l’apparition de nouvelles matières synthétiques. Le masque en tissu réutilisable sera bientôt rangé au rayon des accessoires et remplacé peu à peu par le masque à usage unique. Cette substitution s’intègre dans la transformation en profondeur des soins hospitaliers, avec l’avènement du « tout jetable » qui concerne les seringues, aiguilles, plateaux et autres instruments chirurgicaux à usage unique. Destiné à réduire les risques d’une stérilisation défectueuse, ce changement est aussi motivé par le souhait de réduire les coûts en personnel de stérilisation, à faciliter la gestion des approvisionnements, mais aussi par la nécessité de répondre à la demande pressante des soignants, largement appuyée par des campagnes de publicités agressives.
Une solution : relancer la recherche sur les masques réutilisables ?
Les auteurs ont retrouvé des études, soutenues par l’industrie, montrant que les masques synthétiques sont supérieurs aux masques en coton réutilisables. Le plus souvent toutefois, ces derniers sont absents des études comparatives. En 1975, l’une des dernières études à inclure un masque réutilisable industriel en coton conclut pourtant que celui-ci, fait de mousseline de coton et à 4 plis, est supérieur au masque jetable en papier et aux masques synthétiques. La généralisation du jetable finira malgré cela par décourager la recherche et la fabrication industrielles des masques réutilisables.
Les auteurs notent au passage que, si le ralliement récent du public aux masques faits maison a été appréciable dans certain cas, il n’a contribué que marginalement à résoudre la pénurie et ne peut, quoi qu’il en soit, remplacer des masques réutilisables soigneusement conçus, manufacturés et testés, tels qu’ils l’étaient jusque dans les années 70.
Pour les auteurs, constituer des stocks importants de masques jetables en prévision de la prochaine pandémie ne peut suffire. Il est nécessaire aussi de reconsidérer les risques de la culture du jetable. Ils souhaitent qu’il soit à nouveau possible d’affirmer, comme des chercheurs en 1918 : « Un masque peut être lavé à plusieurs reprises et utilisé indéfiniment ».
Dr Roseline Péluchon
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