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Dans le métro à Paris, le 11 mai. Photo Benoit Tessier. Reuters
Après le confinement qui est apparu comme une protection salutaire, le déconfinement réprésente la phase de tous les dangers. La décompensation qui induit une rupture brutale avec le réel guette les individus, les entreprises comme les ménages.
Tribune. Depuis le déconfinement, il n’y a pas un jour sans que l’on entende parler de «décompensation». A juste titre. Après des semaines d’enfermement contraint et forcé par la nature, l’heure de la sortie prophylactique et masquée peut créer paradoxalement bien plus d’angoisses que de véritables soulagements. Face à la peur de contracter le virus ou de contaminer ses proches, face aux informations contradictoires et aux comportements parfois relâchés, la solution de repli peut sembler pour d’aucuns la meilleure. Ce «syndrome de la cabane» qui fait préférer la sécurité intérieure à l’exposition au monde extérieur, est connu comme un état de contre-choc transitoire. Toutefois, il est possible que cet état se transforme en véritable phobie sociale, en état de stress post-traumatique ou encore en décompensation.
En médecine, il existe plusieurs types de décompensation (cardiaque, respiratoire, métabolique, psychique…). Quel que soit son champ d’application, la décompensation correspond à une rupture ou à une dégradation brutale d’un organe, d’un organisme ou d’une structure psychique. Elle désigne une désorganisation d’un système qui ne parvient plus à s’autoréguler par ses modes habituels de défense. Face à l’excès de tensions, les émotions montent jusqu’à produire une dérégulation (implosive ou explosive). En psychologie, la décompensation désigne l’effondrement psychique d’une personne, suite à une crise interne, un contexte dangereux ou délétère, une épreuve inattendue, une confrontation à la mort… La décompensation survient le plus souvent dans l’après-coup, une fois le danger principal écarté.
Dans le cas du Covid-19, nombreuses sont les personnes qui se sont retrouvées en situation de stress intense face à la maladie, à la peur de mourir ou de perdre ses proches et face à l’isolement. Après la phase de sidération concomitante au choc, le confinement est apparu comme une protection salutaire qui permit la seconde phase, celle de la conscientisation au regard de la crise sanitaire en cours. Durant cette phase, des doutes, des angoisses et des peurs rétrospectives peuvent germer dans les esprits. Des sensations de danger et de vide existentiel aussi. La troisième phase est celle actuelle: celle de l’action. Elle correspond à une reprise, à une remise en route psycho-corporelle, relationnelle et professionnelle.
Décompensation ou l’insoutenable gravité de l’être
Certaines personnes, reprendront le rythme quotidien avec plus ou moins d’aisance, d’autres au contraire seront anxieuses à l’idée d’être confrontées de près ou de loin à un nouveau danger. En fonction du choc ressenti, les actions mises en place dans la phase de contre-choc, pour reprendre la vie quotidienne, vont être différentes selon les individus. Les personnes qui ont vécu le confinement comme un refuge protecteur peuvent ressentir le déconfinement avec circonspection, voire angoisse. C’est durant cette période que le retour du refoulé advient. Aussi, les acteurs de santé savent à quel point il est essentiel de pouvoir prévenir et diagnostiquer rapidement les personnes à risque afin d’éviter non pas une seconde vague de coronavirus, mais des flux et reflux d’insoutenable gravité de l’être, jusqu’à la possibilité même de l’effondrement.
Une décompensation induit une rupture brutale avec le réel. Les symptômes physiques et psychiques sont nombreux (sudations, douleurs thoraciques, arythmies cardiaques, insomnies, addictions, anxiété généralisée, crises d’angoisse, bouffées délirantes, phobies, TOC, dépression…). En psychiatrie, la décompensation correspond à une logique de construction d’un nouveau monde (psychotique) face à un réel trop angoissant, tétanisant et lourd à (sup)porter. C’est pourquoi, si le confinement a pu agir comme une structure contenante pour un bon nombre d’individus, le déconfinement représente la phase de tous les dangers.
Pour les formes de décompensations les plus sévères, de nombreux traitements existent (anxiolytiques, antidépresseurs et antipsychotiques). La pratique du sport, la méditation, le travail sur soi auprès de psychologues permettent de réduire les risques et d’avancer. Apprendre à retrouver confiance et à ne plus avoir peur n’est pas une chose aisée, mais c’est essentiel pour réapprivoiser peu à peu les lieux, le monde, les échanges avec autrui. L’objectif est de s’exposer lentement mais sûrement. Au quotidien tout d’abord, par une régularité de vie avec des rituels pour se donner des repères et éviter l’ennui ou le vide (vecteurs de d’angoisses). La mentalisation et l’anticipation de chaque sortie représentent également une technique d’exposition qui à force d’être réitérée, permet de se réacclimater au monde extérieur. La prévention des décompensations est donc un enjeu de santé publique pour réduire les risques psychiatriques. Si le déconfinement peut produire de nombreuses décompensations, il est essentiel de pouvoir informer et accompagner au mieux les personnes à risques afin d’éviter les situations spectrales.
La décompensation économique et sociale
Mutatis mutandis, en cette période sanitaire aléatoire, il serait possible de transposer voire d’adapter le phénomène de décompensation psychique à celui d’une décompensation économique et sociale. Si le confinement a permis de juguler la crise via les aides publiques octroyées par l’Etat, l’effondrement financier de certaines petites et moyennes entreprises est déjà en action. Le déconfinement est à la libération de l’être, ce qu’il peut être à la libération des marchés. Attention danger. Dans ce cadre (inhérent au modèle économique antérieur) seuls les plus aguerris au stress et les mieux lotis pourraient sans sortir sans trop de dommages collatéraux. La rupture avec le réel est une menace tangible qui guette les entreprises et les ménages aux revenus les plus faibles.
Aussi, à la décompensation individuelle, le spectre d’une décompensation collective est à prendre en considération. A moins que le monde d’après développe une économie qui tienne compte des conséquences de la crise, comme on tient compte des solutions de résolution d’un problème psychique… A ce titre, centrifuges ou centripètes, les effets sur l’économie psychique mais aussi sur l’économie industrielle et marchande donc, mériteraient d’être étudiés de près par nos dirigeants qui, par-delà les métaphores guerrières, pourraient s’inspirer actuellement des sciences de la psyché pour calmer les angoisses du marché et réduire les inégalités. Est-ce à dire que la réussite du post-confinement sera «care» ou ne sera pas ?
Dernier ouvrage paru de Magali Croset-Calisto : Moins de stress grâce au sexe, Albin Michel, 2019
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